Guérillas des sables

Entre les rébellions touarègues au Niger et au Mali et les opérations djihadistes d’Al-Qaïda, la région est en passe de devenir l’une des plus inhospitalières de la planète. Deux infortunés touristes autrichiens viennent de le découvrir à leurs dépens.

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Reprise des hostilités, le 20 mars, entre l’armée malienne et l’Alliance touarègue Nord-Mali pour le changement (ATNMC), le mouvement rebelle dirigé par Ibrahim Ag Bahanga Regain de violence au Niger, où les forces gouvernementales ont fort à faire avec les combattants du Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), d’Aghaly Alambo Inquiétude pour les deux touristes autrichiens enlevés le 22 février dans le Sud tunisien par la branche maghrébine d’Al-Qaïda (leur présence dans le nord du Mali a été confirmée par les services américains) Depuis quelques semaines, le Sahel est en pleine confusion.
Pour ne rien arranger, la médiation entreprise à partir de Bamako par le diplomate autrichien Anton Prohaska (voir encadré) en vue d’obtenir la libération desdits otages par le biais de la fondation Kadhafi (que dirige Seif el-Islam, fils du « Guide ») paraît dans l’impasse. Confirmée puis démentie par les Libyens, elle s’est brutalement interrompue après que les ravisseurs eurent récusé Seif el-Islam. Manifestement, ils n’ont pas pardonné à la Jamahiriya le traitement réservé à Abderrezak el-Para. Arrêté en avril 2004 au Tchad, l’ancien émir salafiste avait été livré à la Libye, le mois suivant, puis extradé, en août, vers l’Algérie, où il attend toujours la tenue de son procès, plusieurs fois annoncée et sans cesse reportée.
Parmi les revendications des ravisseurs figure la libération de leur chef et de quatorze autres islamistes détenus en Algérie et en Tunisie. Mais aussi, accessoirement, le versement d’une rançon de 5 millions d’euros. Les djihadistes exigent que rien ne soit entrepris en vue de libérer les otages, faute de quoi ces derniers seraient immédiatement exécutés. Les autorités autrichiennes ont obtenu des armées algérienne et tunisienne qu’elles s’abstiennent de toute action susceptible de provoquer le pire. Mais on redoute que les accrochages périodiques entre militaires et rebelles maliens soient interprétés par les salafistes comme une menace. Qui sont les rebelles ? Qui sont les ravisseurs ? Pourquoi les salafistes ont-ils fait du Sahel leur terre d’élection ? À quoi joue l’armée malienne ? Comment l’armée nigérienne réagit-elle ? Voici quelques clés pour comprendre.

Les touaregs
Cette communauté de Berbères nomades (3 millions de personnes) occupe depuis des siècles une bande désertique de plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, du Niger à la Mauritanie en passant par l’Algérie, le Burkina et le Mali. Fortement hiérarchisée, elle se montre traditionnellement frondeuse à l’égard du pouvoir central. Les premières rébellions remontent à 1963, quand les Touaregs rejetèrent le découpage territorial des pays nouvellement indépendants. Résultat : les zones où ils vivent furent placées sous administration militaire. Et la cohabitation entre éleveurs nomades et cultivateurs sédentaires (Peuls, Songhoïs et Maures) devint vite difficile.
Des accords ayant néanmoins été conclus, le Sahel connaîtra par la suite une longue mais fragile période de paix. En fait, jusqu’au début des années 1990, quand le Mouvement de l’Azawad choisit ?de reprendre les armes au Mali, bientôt imité par les Touaregs du Niger.
Au Mali, la situation s’aggrava après que les sédentaires eurent constitué une milice armée, le Ganda Koy (« propriétaires de la terre »), pour lutter contre les rebelles touaregs. Le conflit, qui menaçait de dégénérer en guerre civile, fut finalement réglé grâce à une médiation algérienne. Au Niger, les bons offices de trois pays- Algérie, Burkina et France – furent nécessaires pour mettre un terme aux hostilités. Mais, dans les deux pays, la confiance n’a jamais été vraiment rétablie entre la communauté touarègue, pourtant beaucoup mieux représentée que par le passé au sein de l’appareil d’État, et le pouvoir central.
Malgré leur origine commune, la rébellion malienne conduite par Ibrahim Ag Bahanga, un « révolutionnaire permanent » qui n’a jamais cru aux différents accords de paix, ne ressemble en rien à celle dont le Niger est le théâtre depuis le mois de février. Ibrahim Ag Bahanga se bat uniquement pour faire respecter les droits de sa communauté. Aghaly Alambo inscrit son combat dans un cadre national. Le premier ne lutte pas spécialement contre le président Amadou Toumani Touré (ATT), le second ne cache pas son ambition de renverser le président Mamadou Tandja.
L’attitude des autorités centrales est également différente. Favorable au dialogue, ATT n’a vu aucun inconvénient à internationaliser le conflit en confiant une médiation au voisin algérien. À l’inverse, Tandja refuse le statut de rébellion au MNJ, qu’il qualifie de « ramassis de bandits ». Refusant toutes les propositions de médiation ou de bons offices, il n’envisage que la répression. Mais ces dissemblances n’excluent pas une active collaboration entre rebelles maliens et nigériens
Leur parfaite connaissance du terrain sahélien constitue pour les rebelles touaregs un incontestable avantage militaire. Mais cette maîtrise est de plus en plus contestée par deux catégories d’intrus : les trafiquants de toutes sortes et les salafistes. Si l’on peut reprocher aux Touaregs un penchant pour la contrebande, nul, en revanche, ne peut les soupçonner de sympathies pour les djihadistes d’Al-Qaïda. Seule exception : les Barabiches, une tribu qui a offert ses services aux émissaires d’Oussama Ben Laden dans le Sahel.
Les salafistes
Au début des années 2000, pour d’évidentes raisons logistiques, Al-Qaïda a choisi de faire du Sahel une base de repli. La mission a été confiée aux islamistes algériens regroupés au sein du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC). Déjà implantés dans le Grand Sud algérien sous la houlette de Mokhtar Ben Mokhtar, les hommes du GSPC ont alors commencé à sillonner le Sahel pour recruter des candidats au djihad, diffuser leur doctrine et conclure des alliances avec des notables locaux.
En février 2003, pour financer son opération « un Tora Bora au Sahel » (en référence au repaire afghan de Ben Laden), le GSPC kidnappe une trentaine de touristes occidentaux dans le Sud algérien. Dirigée par Abderrezak el-Para, l’opération est un franc succès. Les salafistes engrangent près de 5 millions d’euros en échange de la libération de leurs otages. Cet argent leur permet de poursuivre leur recrutement, de nouer des alliances avec diverses tribus locales, mais aussi d’acheter des armes, des véhicules et des moyens de transmission. Ils prennent rapidement le contrôle des rares points d’eau existant dans la région. Lesquels constituent évidemment un passage obligé pour tous les trafiquants qui écument la région. Entre terroristes et contrebandiers, la jonction devient inévitable.
Le rapt des deux touristes autrichiens obéit à la même logique : renflouer les caisses du djihad et prendre le contrôle du Nord-Mali, tout en bénéficiant d’une médiatisation planétaire, objectif majeur pour Al-Qaïda. La récente détérioration de la situation sécuritaire dans le Sahel, conjuguée à l’intransigeance des autorités algériennes et tunisiennes, qui refusent farouchement d’accéder aux exigences des ravisseurs, fait malheureusement craindre le pire pour Andrea Kloiber, 41 ans, et Wolfgang Ebner, 51 ans, deux infortunés Autrichiens qui risquent de payer fort cher leur fascination pour le désert.

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