George Forrest

Entrepreneur belge établi en RD Congo, il est à la tête d’un empire industriel et minier de 10 000 employés. Mais il est aujourd’hui menacé par la concurrence chinoise et fragilisé par l’ouverture de son capital.

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 5 minutes.

Il n’a pas l’allure d’un requin de la finance, ni celle d’un redoutable capitaine d’industrie. Endossant le costume uniquement lorsque les circonstances l’exigent et préférant les chemises colorées, George Forrest, âgé de 68 ans, chevalière et gourmette en or, ressemble plus à un patriarche blanc en Afrique qu’au patron du premier groupe privé en RD Congo. « Il n’a pas l’esprit sapeur en vogue à Kinshasa. Il tient également par son apparence à marquer sa disponibilité et sa simplicité », explique l’un de ses collaborateurs. Et pourtant, avec son avion personnel et ses deux ranchs de 400 000 hectares comptant 32 000 têtes de bétail, M. Forrest pèse très lourd. L’étendue de sa fortune est à l’image du pays : mystérieuse. Et dans la riche province minière du Katanga, qui l’a vu naître d’un père néo-zélandais arrivé en 1921 et d’une mère italienne, ses détracteurs le surnomment le « vice-roi ». À Lubumbashi, une place porte son nom. Lui se décrit comme un simple « opérateur économique » tandis que le siège de son groupe s’apparente aux bureaux d’une petite entreprise.
Cette fausse modestie est sans doute une seconde nature, certainement aussi une tactique pour tromper son monde. Mais elle lui a surtout permis de traverser les nombreuses crises politiques, la faillite économique de la zaïrianisation durant les années 1970 et la guerre qui a fait plonger le pays dans le chaos. Opiniâtre, l’homme n’a jamais flanché. Même en 1978, lorsque les rebelles katangais ont été sur le point de l’exécuter après l’avoir fait prisonnier à son domicile de Kolwezi en présence de sa femme et de ses trois fils. Ses employés lui ont sauvé la vie. « Je parle le swahili, cela a également été déterminant. Ils m’ont épargné. Malgré cette épreuve, il était hors de question de partir, je suis congolais », affirme ce naturalisé belge, consul de France honoraire, qui a toujours su se faire apprécier à Kinshasa.
Que ce soit sous le maréchal Mobutu, Mzee Laurent-Désiré Kabila et à présent Joseph Kabila, George Forrest a l’habitude de fréquenter les allées du pouvoir. « Je représente un potentiel important. J’ai donc des relations avec le chef de l’État comme avec toutes les autorités du pays. Ni plus, ni moins », prétend l’intéressé, oubliant au passage de rappeler qu’il fut l’un des rares invités étrangers au mariage du président congolais en juin 2006. Toujours discret mais terriblement efficace, telle est la méthode Forrest, qui se revendique « libre-penseur » lorsqu’on l’interroge sur ses convictions religieuses.

Premier contribuable du pays
Comptant une société de génie civil (EGMF) qui rafle bon nombre de contrats dans le BTP, trois cimenteries (Cilu, Interlacs et Cimenkat) qui assurent 80 % de la production nationale et surtout les filiales dans le secteur minier, son groupe de plus de 10 000 salariés est devenu le premier investisseur et le premier employeur privé au Congo. Ses collaborateurs se dépêchent d’ajouter qu’avec 34 millions de dollars de taxes versées à l’État en 2006, il est également le premier contribuable. Pour la transparence financière, on s’arrêtera là en attendant que la concurrence en fasse autant. Tout juste peut-on savoir, à la fin d’un long entretien, que l’activité minière représente « la moitié du chiffre d’affaires mais que les cimenteries sont les plus rentables ». Impossible à vérifier. Mais une chose est sûre : aujourd’hui, George Forrest est à la croisée des chemins avec deux défis à relever.

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Remise à plat des permis miniers
L’arrivée des Chinois au Congo est en train de bouleverser la donne. En échange des 6 milliards de dollars accordés pour moitié dans les infrastructures et les mines, Pékin réclame au moins 10,6 millions de tonnes de cuivre et 660 000 tonnes de cobalt. La rétrocession en février des deux permis appelés « Dima », situés près de Kolwezi, moyennant un dédommagement de 825 millions de dollars a fait de Forrest la première victime de ce deal. « Nous avons trouvé un compromis équitable », répond Forrest, conciliant. Avant de dénoncer la frilosité des organisations internationales, qui tardent à concrétiser leur aide à Kinshasa. « Si vous laissez venir les Chinois, ils vont tout rafler car ils ont de gros besoins en matières premières », conclut-il. À l’aune de la remise à plat des concessions minières accordées ces dix dernières années, ce constat sonne comme le signe d’une légitime inquiétude. Le 20 mars, la Commission de « revisitation » chargée d’examiner 61 contrats a rendu public son rapport. Des pas-de-porte à verser, une renégociation à la hausse des royalties et de la fiscalité, une augmentation des parts dans les joint-ventures au bénéfice des différentes entreprises minières publiques (Gécamines, Sodimico, Miba, Okimo) telles sont les principales exigences du gouvernement. Toutes les compagnies minières sont épinglées. Forrest ne fait pas exception.
Dans la ligne de mire notamment, la mine de cuivre de Musoshi, située près de la frontière zambienne, que Kinshasa veut récupérer. Pour la remettre aux Chinois ? « Si nous perdons ce gisement, cela va générer une forte insécurité chez nos partenaires financiers », menace Ludovic Biemar, directeur général de la Minière de Musoshi et Kinsenda (MMK). En fait, le groupe Forrest a déjà engagé 40 millions de dollars sur le site de Kinsenda pour dénoyer les cavités et prévoit d’ajouter 100 millions à Musoshi dans des équipements industriels. L’équilibre financier de l’ensemble repose sur une exploitation conjointe des deux sites. L’autre appréhension concerne la Société du terril de Lubumbashi (STL), qui affirme avoir versé à la Gécamines plus de 109 millions de dollars en 2007. La Commission estime cette somme insuffisante. « Il y aura des changements sur les contrats, mais ils ne seront pas dramatiques », assure Forrest.

Qui pour lui succéder ?
L’autre actualité concerne l’entrée en Bourse d’une entreprise familiale contrainte de multiplier les partenariats avec d’autres investisseurs pour financer son développement. Avec, dans l’immédiat, la question du leadership et à terme, celle de la succession. La bataille fut spécialement rude pour le contrôle du pactole géologique de Kamoto et Kov, à Kolwezi. Après la tentative avortée d’OPA de la société Camec sur Katanga Mining Limited (KML), un mariage a finalement été conclu avec le groupe Nikanor. Au passage, Forrest, qui contrôlait 24,5 % de KML, est descendu à 9 % du nouvel ensemble. « Oui, mais en fusionnant Kamoto et Kov, nous valorisons les actifs. Qui plus est, nous étions obligés de lever des fonds », fait valoir celui qui reconnaît, toutefois, la « différence de culture » entre les places financières et son empire, dont il n’a pas l’intention d’abandonner les rênes. « Cette dilution des parts ne menace pas la pérennité de la maison mère », tranche ce père de quatre enfants. Outre la fille cadette, surtout attirée par les arts, ses trois fils sont déjà aux affaires à ses côtés. L’aîné, Malta (36 ans), membre du conseil d’administration de KML, semble avoir pris l’ascendant sur les jumeaux, Mike et George (35 ans). « Pour la succession, tout est réglé », conclu le patriarche, toujours quelque peu énigmatique.

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