Candide dans le Yorkshire

Dans le dernier roman de Fouad Laroui, un jeune économiste marocain se mue en ethnologue pour étudier les murs des Anglais. Et ne cesse de s’étonner de leurs bizarreries. Un récit tendre et féroce à la fois.

Publié le 31 mars 2008 Lecture : 3 minutes.

En découvrant le titre et la jaquette de couverture – des pieds féminins chaussés d’escarpins roses sur lesquels tombent des fanfreluches de la même couleur -, on se dit que Fouad Laroui va encore nous entraîner dans une de ces histoires abracadabrantesques dont il a le secret. On n’est pas déçu.
« La femme la plus riche du Yorkshire », ainsi que se présente d’emblée celle qui donne son nom au dernier roman de notre collaborateur, n’a en effet rien de banal. Elle habite seule dans une luxueuse maison de York, ayant expédié son (deuxième) mari un peu fêlé dans un ashram indien tout en abritant le précédent, jongleur de profession, dans une cabane au fond du jardin. Et noie son ennui et son mal de vivre dans le champagne au Blue Bell, un pub de la ville.
C’est là que le narrateur, Adam Serghini, fait un jour la connaissance de cette Anglaise extravagante – un pléonasme, diront certains. Le jeune Marocain – dont quelques aspects biographiques ne sont pas sans rappeler ceux de l’auteur lui-même s’ennuie ferme dans cette cité du nord-est de l’Angleterre où il vient de débarquer pour poursuivre des recherches en économétrie. Le troquet façon british, a-t-il pensé, serait l’endroit idéal pour découvrir les murs des habitants de la contrée. Appliquant les méthodes des ethnologues occidentaux lorsqu’ils partent observer les peuplades à leurs yeux primitives, il note consciencieusement sur un carnet tout ce qui lui paraît révélateur des rites et coutumes indigènes.

Brouiller les pistes
Mais pourquoi, diable, est-ce avec cette étrange créature féminine que s’établit un lien privilégié ? Tout oppose l’universitaire besogneux, buveur de jus d’ananas devant l’éternel, et Cordelia, c’est son nom, propriétaire de boutiques de luxe, de restaurants et d’un magasin d’antiquités. D’autant que la bonne femme, « désastre alcoolisé », se révèle arrogante et cynique au possible.
Le lecteur aura du mal à comprendre l’essence de cette relation, car, fidèle à ses habitudes, Fouad Laroui s’applique à brouiller les pistes et à bouleverser les repères. La rombière a-t-elle trouvé en la pâle figure du jeune étranger un miroir qui lui renvoie l’image de sa propre splendeur ? Cherche-t-elle très classiquement à le séduire ? On pourrait le penser quand, vers la fin du récit, Serghini se retrouve dans la chambre de Cruella – ainsi a-t-il baptisé Cordelia -, qui l’invite carrément à passer dans son lit. Ce à quoi le chercheur se refuse. Car, lui, a des principes, des valeurs.
« J’écris pour dénicher la bêtise sous toutes ses formes », a dit un jour le chroniqueur de Jeune Afrique. Elle existe sous tous les cieux, veut-il nous signifier, y compris sous ceux, chargés de nuages pluvieux, d’un coin d’Angleterre où l’a conduit un jour sa carrière universitaire. Après avoir longuement épinglé la société marocaine dans ses précédents romans, le temps lui semble venu de mettre au jour les bizarreries des Européens.
Tout son art est de se glisser dans la peau de cet Adam, faux Candide mais vrai caricaturiste, habile à rendre crédibles des personnages au profil invraisemblable. Aussi tendre que féroce à leur égard, il les fait apparaître, au fond, plus déboussolés que vraiment méchants. Ici comme ailleurs, le propos – surtout quand il est énoncé entre deux bières dans un estaminet – dépasse souvent la pensée. Et ce n’est pas un hasard si le seul habitant du Yorkshire qui trouve grâce aux yeux du narrateur est une ravissante jeune vendeuse prénommée Emma, dont il ferait bien sa petite amie. Sa particularité ? Elle est sourde et muette.

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