Vote et tais-toi !

Moscou s’abrite derrière un simulacre de référendum pour ramener la petite république dans le giron de la Fédération russe.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

«Les autorités de la Fédération de Russie et de la République tchétchène ont donné la possibilité aux citoyens de Tchétchénie de prendre part à un vote clair et indépendant. Le taux de participation au référendum constitutionnel, organisé dimanche 23 mars, a atteint 85 %. Les premiers résultats font état de 96,1 % de voix en faveur du « oui » aux trois questions posées, c’est-à-dire pour ou contre le maintien de la Tchétchénie dans la Fédération de Russie, la tenue d’élections législatives et d’une présidentielle. »
Anatoli Popov, le Premier ministre tchétchène nommé par Moscou, a par ailleurs affirmé avoir vu « des files d’attente partout dans les bureaux de vote, de la musique et des concerts ». Quant au président russe Vladimir Poutine, il a déclaré que « les résultats dépassent toutes les espérances, montrant ainsi que les rebelles ne bénéficient d’aucun soutien dans la population ».
La réalité du terrain est pourtant loin d’étayer ces déclarations. De nombreux témoignages, y compris dans quelques journaux russes comme Nezavissimaïa Gazeta, sont venus contredire la version officielle. Dans Grozny, la capitale en ruines, où se terrent entre 50 000 et 100 000 personnes, l’heure n’était pas à la fête et les rues sont restées désertes. La levée des points de contrôle, les fameux blockpost, synonymes d’arbitraire et de corruption, n’a pas rassuré les électeurs potentiels. Pas plus que le retrait des « militaires superflus », c’est-à-dire environ 1 000 hommes sur les 80 000 soldats présents dans toute la République. La violence n’a donc pas cessé. Certains bureaux de vote ont été mitraillés et, la veille du scrutin, une personne a été tuée et plusieurs autres blessées dans l’attaque de véhicules militaires russes par des mines télécommandées.
Moscou veut à tout prix assimiler ce « référendum constitutionnel » à un processus de règlement politique de la guerre qui oppose indépendantistes et forces russes depuis trois ans et demi. Tout a donc été fait pour que le « oui » l’emporte : propagande télévisée, distribution de tracts et promesses à la pelle. Vladimir Poutine a promis, après l’adoption de la nouvelle Constitution, le retrait des troupes, une large autonomie et l’amnistie générale. Sur place, les autorités se sont engagées à accélérer la reconstruction et à indemniser les familles dont les maisons ont été pulvérisées par les bombardements. Une gageure quand on sait que Grozny a été détruit à 80 % par les pilonnages russes. En revanche, signe de l’atmosphère qui y règne, comme dans les zones rurales ou même en Ingouchie, la petite république voisine, où vivent une centaine de milliers de « déplacés » tchétchènes, des fonctionnaires ont menacé de réduire l’aide alimentaire aux citoyens tentés par le « non » ou par l’abstention. Dans ces conditions, il n’est nullement étonnant que la majorité des Tchétchènes qui se sont rendus aux urnes ait voté « oui ». Nombre de bulletins avaient d’ailleurs été cochés à l’avance. « Ceux qui sont contre sont restés chez eux », a déclaré un habitant de Grozny aux quelques journalistes, dûment encadrés, qui faisaient le tour des bureaux de vote.
Dans la campagne électorale, aucune place n’a été faite aux partisans du « non ». Aslan Maskhadov, président élu démocratiquement en 1997, mais dont l’autorité n’est pas reconnue par le Kremlin, n’a trouvé aucun écho à ses mises en garde. Sauf auprès des organisations de défense des droits de l’homme et dans les partis russes libéraux, minoritaires. Là, l’ambiance est davantage au réalisme, au point qu’un politologue a osé ce mot : « Comme disait Staline, l’important n’est pas le vote, mais qui fait le décompte. Or, dans ce cas, c’est le FSB [ex-KGB]. Il ne faut donc pas se faire de souci pour le scrutin. » Aux banderoles « Le référendum, c’est notre chance pour la paix » n’ont donc répondu que quelques graffitis anonymes « Boycottage du référendum, qui est la poursuite de l’assassinat des Tchétchènes ».
Par ailleurs, le corps électoral a été largement manipulé. Les autorités ont fait état de 500 000 inscrits, alors que ce chiffre correspond à l’ensemble de la population recensée par les organisations humanitaires sur le territoire, tous âges confondus. Les soldats russes ont aussi été autorisés à voter. Le quotidien français Libération a révélé, dans son édition du 24 mars, qu’un journaliste français a réussi à se faire inscrire sur une liste électorale dite « complémentaire » en montrant son passeport, puis à voter sous les yeux du président de la commission électorale.
Conscient de la situation, le Conseil de l’Europe avait refusé d’envoyer des observateurs. Ceux qui s’y sont rendus venaient d’Égypte, de Malaisie, d’Indonésie et du Yémen. Ils n’ont pu que constater les irrégularités et noter l’indifférence de la population. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) s’est bornée à dépêcher une « mission de recherche d’information ».
La Tchétchénie est dans une position à la fois absurde et cruelle. Épuisés par trois ans et demi de guerre, de terreur, de privations, ses habitants sont las de lutter. C’est pourquoi la Russie va pouvoir légitimer, sans grands efforts et a posteriori, son action militaire, et conserver la petite république dans son giron. La manipulation du référendum n’avait presque pas lieu d’être tant la perspective d’un retour à la paix – quelle qu’en fussent les modalités est aujourd’hui séduisante pour les résidents comme pour les exilés.
Pourtant, les revendications des indépendantistes sont parfaitement légitimes et correspondent aux accords signés en 1997, au lendemain de la première guerre. Mais ils s’y sont fort mal pris pour obtenir gain de cause. Dans un contexte international encore marqué par les attentats du 11 septembre 2001, toute action violente produit l’effet inverse de celui recherché. On l’a vu dans l’affaire de la prise d’otages au théâtre de Moscou, en octobre 2002, largement condamnée par une opinion publique traumatisée. La Tchétchénie n’est donc pas au bout de sa guerre.

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