Un quarteron d’« allumés »

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Au dixième jour de la guerre anglo-américaine « pour libérer l’Irak de la dictature de Saddam Hussein », qu’avons-nous vu, qu’avons-nous appris ?

1) Cette guerre est bien celle que nous avions pressentie : un conflit armé atroce et inégal pour la conquête du pouvoir en Irak, préalable au contrôle politico-économique du Moyen-Orient.
On sait désormais que la décision de faire la guerre pour écarter Saddam a été prise à Washington dès le début de 2002, l’épisode de l’envoi en Irak des inspecteurs de l’ONU n’étant pour Cheney, Rumsfeld, Perle et Wolfowitz que de la « poudre aux yeux » ou « une perte de temps qu’on ne peut guère éviter ».
Dès que leurs militaires ont dit qu’ils étaient prêts – le corps expéditionnaire a commencé à s’installer autour de l’Irak en juillet dernier -, l’invasion a été déclenchée par ce quarteron de conservateurs américains qui occupent les allées du pouvoir depuis l’élection, en novembre 2000, de George W. Bush.
Ils se croient « idéologues » et ne sont en réalité que des « allumés » ; la collusion de certains d’entre eux – Cheney et Perle en particulier – avec le monde des affaires inquiète tout le monde, sauf, jusqu’ici, leur « patron »

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En frappant l’Amérique à la tête et au coeur le 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, Ayman el-Zawahiri et leur organisation el-Qaïda ont donné à ce quarteron le coup de fouet rêvé pour l’accélération et la réussite de son projet.
Arrivé à la tête d’Israël au terme d’un long (et équivoque) combat, Ariel Sharon a sauté sur l’occasion qui se présentait : il a poussé le quarteron à réaliser sa folle entreprise et en est devenu, de fait, le cinquième homme.
Et, coup de chance, il s’est trouvé un Premier ministre britannique – réputé socialiste -, le très intelligent Tony Blair, pour leur donner une caution de gauche inespérée.
C’est à cet étrange et détestable attelage que nous devons l’aventure dans laquelle les États-Unis se sont embarqués, et nous ont entraînés depuis cette nuit fatidique du 19 au 20 mars 2003

2) Sur cette première grande guerre du XXIe siècle, qui se déroule sous nos yeux grâce à la télévision, nous sommes dans l’ensemble bien informés – et en temps réel.
Des dizaines de journalistes sont restés en Irak, et en particulier à Bagdad, bravant ainsi l’injonction de quitter le pays qu’a osé leur adresser George W. Bush, désireux de bombarder et de tuer sans témoins gênants. Des centaines de leurs confrères, européens, asiatiques et autres, sont du côté anglo-américain : la presse américaine (audiovisuelle et écrite) ne domine plus l’information sur la guerre qui est, de ce fait, plurielle ; la presse des pays arabes n’est pas absente.
Cette information plurielle nous a permis de voir et de comprendre. Voici ce que, pour ma part, j’ai retenu.

– La disproportion des moyens militaires fait que les Anglo-Américains mènent une guerre de riches et une guerre du XXIe siècle contre un pays appauvri et épuisé par vingt-cinq ans de guerres et de sanctions.
Après dix jours de combats, malgré leur courage et leur sacrifice, faute d’armement adéquat – ni aviation, ni marine, des armes fabriquées il y a vingt ou trente ans -, les Irakiens ont infligé peu de pertes aux envahisseurs anglo-américains et en ont subi d’énormes (ratio : 1 à 100 !).
Il résulte de cette criante inégalité que, quelles que soient l’issue, la durée et la férocité des batailles pour le contrôle de Bassora, de Bagdad et de Tikrit, qu’ils les assiègent ou les envahissent, les Anglo-Américains finiront par faire tomber ces villes en avril ou en mai prochain.
Ils les occuperont comme les Russes ont fini par occuper Grozny, la capitale de la Tchétchénie.
Et l’expédition, que le Pentagone a osé appeler « Liberté en Irak », méritera davantage le nom d’« opération pour détruire l’Irak ». Non sans y introduire la guerre civile par l’utilisation des Kurdes contre les autres Irakiens.

– George W. Bush voulait liquider physiquement Saddam Hussein. Il pensait en tout cas que l’entrée des troupes américaines en Irak suffirait à le faire renverser par les Irakiens eux-mêmes, qui se soulèveraient contre lui et accueilleraient les Américains en libérateurs.
Le père de l’actuel président américain vient de reconnaître, dans une interview à Newsweek daté du 31 mars, qu’il était persuadé, en février 1991, que Saddam ne survivrait pas à sa défaite. « J’ai pensé qu’il était fini, pour ainsi dire mort, et tous les dirigeants arabes en étaient convaincus, comme moi. Il en allait de même pour les Français, pour les Anglais. Je me suis trompé… »
Jusqu’à présent, le fils n’a pas fait mieux que le père et s’est trompé tout autant : non seulement il n’a pas réussi à tuer Saddam, ni à le renverser, mais il l’a renforcé, lui a donné une nouvelle vie politique, un autre destin. Bravo !

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Ma conclusion paraîtra à certains d’entre vous hâtive et hasardeuse ; je vous la livre tout de même : qu’ils parviennent ou non à tuer Saddam et à contrôler son pays, les Américains ont déjà, selon toute probabilité, perdu la paix. Ils ne libéreront pas plus l’Irak que les Russes n’ont libéré la Tchétchénie : ils l’occuperont.
Le pays de Saddam ne sortira de la dictature et des sanctions que pour tomber dans la condition de « protectorat » américain.
Le gouvernement qu’ils installeront à Bagdad n’aura pas plus de légitimité que celui installé par le Kremlin et le FSB (successeur du KGB) dans la capitale tchétchène. Ils trouveront principalement pour le constituer des Chalabi et autres émigrés « achetés » par la CIA (dont vous avez remarqué l’absence et le silence).
La résistance irakienne à l’occupation s’organisera peu à peu, passera un jour au stade de guérilla rurale et urbaine contre l’occupant étranger et contre les Irakiens qui collaborent avec lui.
Les Américains diront que ses membres sont… des terroristes.
Dans un an ou deux, ils en seront à demander à Ariel Sharon, ou à son successeur, de leur dire comment on fait pour ramener « la sécurité et la paix » dans un pays qu’on occupe…

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