Show judiciaire à Tana

Les juges ont donné un coup d’accélérateur aux procédures contre les barons de l’ancien régime. Au nom des droits de l’homme…

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Le palais de justice d’Antananarivo ne désemplit pas. Depuis trois semaines, les procès à sensation se succèdent à un rythme soutenu. Un spectacle très couru par les habitants de la capitale, ravis d’entendre leurs ex-dirigeants rendre des comptes. À la barre, militaires et politiques se présentent à tour de rôle. Tous ont à répondre de leurs actes durant la crise qui, au lendemain de l’élection présidentielle de décembre 2001, a déchiré le pays six mois durant. Le bras de fer s’est soldé en juillet 2002 par la victoire de Marc Ravalomanana sur le chef de l’État sortant Didier Ratsiraka.
En attendant la comparution de l’ancien Premier ministre Tantely Andrianarivo, le public assiste à celle des seconds couteaux, comme l’ancien ministre de l’Information Frédo Betsimifira, qui a dû répondre « de vol de fréquence et de matériels audiovisuels appartenant à l’État ». Condamné en première instance à deux ans de prison ferme, il a fait appel.
Autre affaire, celle concernant l’ancien vice-Premier ministre Pierrot Rajaonarivelo, aujourd’hui réfugié en France, ainsi que son directeur de cabinet, Elire Rabemananjara. Les deux hommes devaient répondre le 14 mars de complicité d’usurpation de fonction pour le premier, et de concussion et usurpation de fonction pour le second. Rajaonarivelo, qui est également le secrétaire national de l’Avant-Garde pour la rénovation de Madagascar (Aréma), le parti de Ratsiraka, est en outre accusé d’avoir dilapidé des fonds spéciaux pour un montant de 177 milliards de francs malgaches (28 millions d’euros). Finalement, il a écopé de cinq ans de prison par contumace, et son collaborateur de quatre ans ferme. Ce procès est particulièrement symbolique dans la mesure où il touche l’un des barons de l’Aréma. Après vingt-trois années au pouvoir, la formation de l’ancien président dénonce les « purges » déclenchées par le nouveau pouvoir à son encontre. « Ravalomanana montre que son régime est fondé sur la pensée unique et fait régner la terreur, a déclaré Pierrot Rajaonarivelo une fois le verdict rendu. Ce procès est un simulacre, car j’étais coupable avant même d’être jugé. »
Si la plupart des civils sont mis en cause pour leur gestion des affaires de l’État, les militaires sont poursuivis pour leur rôle dans les affrontements qui ont opposé les partisans de Ratsiraka à ceux de Ravalomanana. Beaucoup d’entre eux se voient aussi reprocher leur participation au blocus de la capitale. Personnage dévoué à l’ex-chef de l’État, le lieutenant-colonel Coutiti est accusé d’avoir semé la terreur sur le nord-est de la Grande Île. Jugé à plusieurs reprises, Coutiti cumule à ce jour dix-huit années d’emprisonnement. Déjà condamné pour coups et blessures avec préméditation, il a été reconnu coupable à la mi-mars d’avoir édifié des barrages routiers entre février et juin 2002. L’ex-officier, qui est surtout connu pour avoir mené une chasse impitoyable aux partisans de Ravalomanana, a été capturé le 22 septembre dans une petite localité située sur la côte nord-est de l’île.
Les gouverneurs de région restés fidèles à Ratsiraka jusqu’à la dernière heure sont également dans la ligne de mire. C’est notamment le cas d’Emilson, l’ex-gouverneur de Fianarantsoa, qui s’est illustré en se retranchant dans son palais, entraînant la mort de plusieurs partisans du nouveau régime. Il est également mis en cause dans l’édification de « barrages antiéconomiques ». Son homologue de Toamasina, Samuel Lahady, devra lui aussi répondre prochainement de ses actes durant la crise. Il a été placé sous mandat de dépôt à la prison d’Antanimoro. Idem pour le général Jean-Paul Bory, ex-secrétaire d’État à la Gendarmerie, poursuivi pour rébellion. Il risque les travaux forcés.
Autre proche de l’ancien président à être inquiété, Roland Ratsiraka, maire de Toamasina jusqu’en juillet 2002. Sept chefs d’inculpation ont été retenus contre le neveu de l’amiral. Il est soupçonné d’avoir collaboré avec des miliciens et d’avoir incité à la guerre tribale. « Ces accusations sont excessives, souligne un avocat. Comme maire de Toamasina, dernier bastion ratsirakiste lors de la crise, il ne pouvait éviter que des soupçons pèsent sur lui. Il faut toutefois reconnaître qu’il a été l’un des rares proches de l’ancien chef de l’État à faire allégeance au nouveau pouvoir et à calmer le jeu. »
Pour l’heure, les magistrats malgaches donnent un coup d’accélérateur aux procédures contre les hiérarques de l’ancien régime. Une manière de répondre aux critiques formulées par Amnesty International en décembre dernier. Non sans évoquer les atteintes aux droits de l’homme commises pendant la crise par les fidèles de Ratsiraka, Amnesty se dit préoccupée par les irrégularités dans les procédures judiciaires en cours. « Le nombre total de personnes arrêtées dans le cadre de la crise et placées en détention préventive est estimé entre 400 et 500, mais le gouvernement n’en reconnaît officiellement que 144 », déclarait l’organisation le 12 décembre dernier. Dénonçant des « arrestations arbitraires », l’organisation regrettait le maintien en détention de « prisonniers d’opinion […] arrêtés pour avoir tenu des propos interprétés comme étant des critiques des autorités actuelles ». Réponse du ministre de la Justice, Alice Rajaonah : il n’y a pas de prisonniers politiques dans les prisons malgaches. Selon elle, « toutes les personnes actuellement détenues relèvent du droit commun puisque aucune n’a été poursuivie pour ses convictions. En clair, on ne reproche pas aux gens d’être pro-Ratsiraka ou anti-Ravalomanana, mais uniquement d’avoir commis des délits et des crimes que la loi condamne », rapporte L’Express de Madagascar.
À Antanimoro, la maison d’arrêt de la capitale, les détenus « de sécurité » sont mélangés avec les droit commun. Dans ce pénitencier prévu pour 800 prisonniers, ils partagent le quotidien de 2 400 codétenus. Ministres, officiers supérieurs, hauts fonctionnaires… une soixantaine de dignitaires de l’ancien régime sont passés par Antanimoro en attendant leur procès. Forcés de s’adapter à un mode de vie éprouvant, ils ont troqué leurs costumes-cravates contre de simples survêtements. Malgré les conditions de détention, aucun d’entre eux ne se plaint de mauvais traitements. En attendant leur jugement, les détenus VIP préparent leur défense. La ligne adoptée est souvent la même. La plupart d’entre eux « estiment qu’à l’époque de la crise politique, ils ne faisaient qu’obéir aux ordres. Implicitement, cela vise Didier Ratsiraka ».
Sans remonter jusqu’à l’ancien président, il est évident qu’un certain nombre de justiciables vivent désormais en dehors du pays. Un groupe de juristes étudie d’ailleurs les recours possibles contre les exilés. Mais la question est difficile à résoudre, car, en matière de procédure d’extradition, beaucoup de paramètres juridiques doivent être pris en compte. Le sujet est toutefois régulièrement débattu, d’autant que l’opinion malgache qui se presse aux procès a la désagréable impression que les véritables commanditaires sont ailleurs. Mais le régime souhaite-t-il véritablement pousser plus loin ses poursuites… jusqu’à réclamer des comptes à Didier Ratsiraka lui-même ? Avec tous les risques qu’une telle démarche comporterait ?

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