Reconstruction entre amis

Comme par hasard, les entreprises favorites pour la réhabilitation des infrastructures irakiennes sont américaines. Et ont des liens avec les républicains.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

A Wall Street comme à Bagdad, le temps, c’est de l’argent. Du coup, mieux vaut vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Et confier la gestion du port d’Oum Qasr à la société américaine Stevedoring Services of America (SSA), basée à Seattle, avant que la ville ne tombe aux mains des États-Unis et de la Grande-Bretagne. La compagnie pourra, moyennant 4,8 millions de dollars (4,5 millions d’euros), en superviser l’activité et y « assurer une livraison fluide et efficace des denrées alimentaires ainsi que des équipements humanitaires et de reconstruction », a annoncé, le 24 mars, l’agence américaine d’aide au développement Usaid.
L’anticipation, il n’y a que ça qui vaille. Les dirigeants de Kellog, Brown & Root (KBR), à Houston, ne s’y sont pas trompés. Eux ont été choisis par le corps des ingénieurs de l’armée américaine pour éteindre d’éventuels incendies dans les puits de pétrole et réparer des installations endommagées. International Resources Group assurera, lui, la logistique dans l’Irak de l’après-guerre pour 7,1 millions de dollars. Rien de plus normal, selon Alan Larson, le sous-secrétaire aux Affaires économiques, venu défendre les contrats américains à Bruxelles, parce qu’il « s’agit d’apporter une aide rapide au peuple irakien ». Encore que lesdits contrats soient, bien sûr, « la dernière chose que nous avons en tête au moment où nos jeunes soldats mettent leur vie en danger pour débarrasser l’Irak des armes de destruction massive ».
Et c’est vrai qu’il va y en avoir des routes, des ponts et des villes à reconstruire : trois guerres en moins de trente ans et douze ans de sanctions internationales, ça laisse des traces. George W. Bush entend donc mener en Irak le plus ambitieux projet de reconstruction depuis le Plan Marshall pour l’Europe de l’Ouest, en 1947. Le Wall Street Journal évoquait, à la mi-mars, l’attribution d’une enveloppe de 1,5 milliard de dollars de contrats confidentiels, contre seulement 50 millions pour les organisations internationales telles que Sauvez les enfants.
Nombreuses sont évidemment les entreprises candidates, pour la plupart américaines et privées. Washington a adressé, via Usaid, un discret appel d’offres à cinq d’entre elles (Bechtel, Parson, le Washington Group, Louis Berger, allié à Fluor, et KBR) pour un contrat de reconstruction de 900 millions de dollars. Une procédure peu transparente justifiée en haut lieu par « l’urgence des circonstances » et « la nécessité de leur transmettre des informations militaires sensibles ». Soit. Sauf qu’ensemble, les cinq compagnies ont contribué pour 1,86 million de dollars au financement du Parti républicain entre 1999 et 2002.
Ce n’est pas tout : Bechtel, qui a déjà oeuvré pour la reconstruction du Koweït, contre 2,5 milliards de dollars, a eu pour président George Schultz, ancien secrétaire d’État de Ronald Reagan. Et le directeur général de Bechtel, Riley Bechtel, a été nommé en février membre de l’Export Council, l’organisme qui conseille le président des États-Unis. KBR est, quant à elle, une filiale d’Halliburton, une société de recherche pétrolière dont le PDG, entre octobre 1995 et août 2000, n’était autre que Dick Cheney, actuel vice-président des États-Unis. C’est aussi KBR qui a construit le fameux centre de détention de Guantánamo Bay (Cuba) et qui travaille pour le Pentagone en Afghanistan et au Koweït. Le monde est décidément tout petit.
Certains, évidemment, font la grimace. Parmi eux, Londres, qui entend bien ne pas rester à l’écart et à qui les États-Unis, beaux joueurs, ont promis une partie des contrats, mais aussi… Paris. La reconstruction de l’Irak, a affirmé, le 23 mars, Francis Mer, ministre français de l’Économie, devra se faire dans le cadre des Nations unies. Un chantier estimé à une vingtaine de milliards de dollars par an et dont il « n’imagine pas » que TotalFinaElf soit exclu.
Reste que les infrastructures pourraient bien ne pas représenter la plus grosse part du gâteau. Les investisseurs, qui font grimper l’indice Standard & Poor’s des équipementiers pétroliers, ont vu juste : c’est du côté des champs de brut qu’il faut regarder. La production de l’Irak tourne à 2 millions de barils par jour (b/j). Mais elle pourrait bien flirter avec les 8 millions de b/j si ses installations sont modernisées. Pas moins de 5 milliards de dollars seront nécessaires sur trois ans pour que la production retrouve son niveau d’avant 1991. Un chiffre qui pourrait monter à 15 milliards de dollars pour que les puits irakiens tournent à plein régime. Comme quoi la guerre peut aussi être une bonne affaire.

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