Moscou redresse la tête

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 2 minutes.

On se croirait revenu au temps de la guerre froide. Le gouvernement américain a brusquement lancé une accusation directe contre la Russie, qui aurait, prétend-il, vendu récemment à l’Irak un matériel militaire dont elle ne pouvait ignorer qu’il lui servirait dans la guerre programmée qui allait l’opposer aux États-Unis et dont, de toute façon, la livraison est interdite par les résolutions de l’ONU.
Sur le bien-fondé des reproches américains, que conteste le gouvernement russe, plusieurs remarques s’imposent. Le remboursement de sa dette extérieure oblige la Russie à augmenter à tout prix ses exportations pour dégager un surplus dans sa balance commerciale et, en dehors du pétrole, du gaz et du bois, son armement est le produit qui se place le mieux sur le marché international. Plus encore : les pays qui se sont équipés en matériel militaire soviétique – dont l’Irak – sont obligés d’acheter aujourd’hui le matériel vendu par la Russie pour se procurer les pièces de rechange. Faute de quoi, c’est tout l’équipement de leurs armées qui deviendrait inutilisable, et, de leur côté, les sociétés d’armement russes, faute d’exporter, seraient bientôt acculées à cesser toute activité du fait du très faible volume des crédits d’équipement du budget militaire russe. En cas de besoin, des sociétés-relais, biélorusses ou ukrainiennes, par exemple, peuvent servir d’intermédiaires.
Mais, de toute façon, il ne s’agit pas de transactions importantes, et, pour Washington, ce n’est naturellement pas là le coeur du problème. Ce qui est en cause, c’est le tour pris par les relations entre la Russie et les États-Unis. Dans les calculs faits par le département d’État, en septembre dernier, pour convaincre le président Bush d’obtenir l’aval des Nations unies, la Russie n’était pas considérée comme un obstacle. On estimait que Vladimir Poutine aurait fait un choix à long terme en décidant, après le 11 septembre, de s’associer pleinement aux États-Unis dans leur guerre contre le terrorisme international, et l’on prévoyait qu’il jugerait capital le soutien américain dans l’affaire tchétchène. Logiquement, la Russie aurait donc dû voter une résolution du Conseil de sécurité conduisant à la guerre, ou tout au moins s’abstenir.
Ces calculs – comme d’autres, du reste – se sont révélés faux. Moscou, le moment venu, a clairement annoncé qu’il opposerait son veto à une résolution américaine en faveur de la guerre si elle risquait d’obtenir la majorité de neuf voix. Bien entendu, les responsables américains sont convaincus que c’est la diplomatie française qui a amené la Russie à en arriver là – non sans raison – et ils savent que c’est le couple franco-russe qui a décidé la Chine à annoncer aussi son veto au lieu de négocier son abstention avec Washington, comme à l’accoutumée à propos des affaires du Moyen-Orient. C’était pourtant une décision très difficile à prendre pour Poutine, car cela revenait à renverser la politique choisie par lui après le 11 septembre et à mettre en danger sa gestion de l’affaire tchétchène. Mais les responsables américains savent quel fut l’argument qui l’a convaincu – et qu’il a lui-même invoqué publiquement : l’occasion s’offrait de faire comprendre aux États-Unis qu’ils ne profiteraient pas indéfiniment d’un système « unipolaire » dont ils étaient le seul pôle, et de faire un pas significatif vers un monde « multipolaire ». C’est justement ce que Washington ne pardonne pas à Poutine.

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