Les raisons d’une explosion

À l’origine des affrontements interethniques qui, une nouvelle fois, ont dévasté la région de Delta, des revendications économiques, mais aussi… électorales.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

Dans le sud du Nigeria, l’État de Delta, cette véritable éponge à pétrole, est, depuis le 22 mars, en proie à de sanglants affrontements interethniques. Ce n’est pas la première fois, hélas ! Mais la grande différence est que, cette fois, ces troubles ont de sérieuses répercussions internationales. Trois compagnies pétrolières, l’anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell, l’américaine Chevron Texaco et la française TotalFinaElf ont en effet interrompu leurs opérations de pompage. La production a aussitôt diminué d’un tiers (800 000 barils/jour), ce qui a contribué à accroître les tensions sur le marché international. Alors que la guerre en Irak bat son plein, cette baisse est un très mauvais coup pour les États-Unis, qui importent habituellement 560 000 barils de brut nigérian par jour.
Comment en est-on arrivé là ? Au coeur du conflit, une vieille rivalité entre ethnies, ranimée par la proximité des élections. Les Itsekiris, dont le royaume se trouve dans l’État de Delta, accusent les Ijaws, originaires de l’État de Rivers, au Sud-Est, et les Urhobos de l’État d’Edo, au Nord, d’envahir leur territoire et de les déposséder de leurs terres jusque dans Warri, leur capitale. Aujourd’hui majoritaire dans la région, la communauté ijaw se plaint, de son côté, d’être ignorée par le pouvoir fédéral et de ne recevoir que des miettes de l’exploitation du pétrole « extrait de la terre ancestrale ». Les Itsekiris ont la même revendication, mais ne sont pas prêts à partager avec ceux qu’ils considèrent comme des usurpateurs.
Dans un premier temps, les combats ont donc opposé les deux communautés. Ils ont fait trois cents morts et des milliers de déplacés vers Warri. Dix villages itsekiris ont été réduits en cendres. Le gouvernement fédéral a dépêché sur place un millier de soldats pour ramener le calme. En fait, ceux-ci ont attisé les braises en s’en prenant – à tort ou à raison – aux villages ijaws. En réaction, les militants armés des Communautés fédérées ijaws du delta du Niger (FNDIC) se sont emparés de onze stations de pompage. Les installations du dépôt d’Escravos, sur la côte, ont été attaquées, et une roquette tirée sur une citerne, qui, par miracle, ne s’est pas enflammée. Une dizaine d’oléoducs ont été endommagés. À bord de bateaux lourdement armés, les combattants ijaws s’en sont également pris aux plates-formes offshore, provoquant l’intervention de la marine gouvernementale. Le 25 mars, le bilan s’élevait à soixante-huit morts : dix soldats, trois membres du personnel nigérian de TotalFinaElf et cinquante-cinq combattants des FNDIC. Affolées par cette flambée de violence et inquiètes de voir les communautés locales s’en prendre à leurs intérêts, les compagnies pétrolières ont donc décidé d’interrompre leur production et d’évacuer leur personnel, y compris celui de Warri.
Nombreux, bien organisés et déterminés, les Ijaws poursuivent un double objectif : outre une meilleure redistribution de l’argent du pétrole, ils souhaitent en effet obtenir d’être représentés au Parlement. Leur mouvement avait donc aussi pour but d’exercer une pression en ce sens sur le président Olusegun Obasanjo, qui sollicitera des électeurs un second mandat lors des élections générales du 19 avril, et sur la Commission nationale électorale indépendante (Inec), pour la contraindre à procéder, avant le scrutin, à un redécoupage des circonscriptions. À leur avantage, bien sûr.
« Si Obasanjo et James Onanefe Ibori, le gouverneur de Delta, ne nous écoutent pas, nous allons rendre la région totalement ingouvernable », a menacé un de leurs porte-parole. Les jeunes militants ont également fait parvenir un message aux directions de Chevron et de Shell, les invitant à retirer l’ensemble de leur personnel « en prévision d’actions de sabotage » des installations pétrolières. La mise en garde a été prise très au sérieux. Il faut dire que, depuis le 1er janvier, treize pipelines ont déjà été saccagés. Ce qui a provoqué un ralentissement de l’activité des raffineries, mais aussi des deux centrales électriques de la région. Depuis, les coupures se multiplient et le mécontentement des habitants s’accroît en conséquence.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires