Le FLN, à gauche toute !

Lors de son VIII e Congrès, le parti au pouvoir ne s’est pas contenté de plébisciter son secrétaire général. Il a surtout manifesté sa volonté de se démarquer de l’État. Et de se rapprocher du mouvement syndical.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Qui aurait pu imaginer qu’un jour viendrait où les délégués au Congrès du Front de libération nationale (FLN) s’exprimeraient indifféremment en français et en arabe ? C’est pourtant ce qui s’est passé, du 18 au 20 mars à Alger, lors des huitièmes assises de la formation que dirige le Premier ministre Ali Benflis. L’ancien parti unique n’est décidément plus ce qu’il était. Dans les couloirs de l’hôtel Aurassi, pendant les pauses-café, les hauts-parleurs diffusaient de la musique hip-hop. La présence féminine était loin de se limiter à quelques anciennes combattantes de la guerre de libération, et les jeunes étaient venus en force. Clichés ? Bien sûr, mais quand même très révélateurs des changements en cours.
Reste que, comme au bon vieux temps, une étrange atmosphère d’unanimisme a marqué les travaux du Congrès. Le discours d’ouverture d’Ali Benflis s’est ainsi achevé par une standing ovation. Et sa reconduction à la tête du parti n’a été qu’une formalité. Il est vrai que le bilan du secrétaire général depuis sa prise de fonctions, en septembre 2001, est plus que positif : grâce à deux victoires électorales (en 2002), il est parvenu à faire de sa formation la première force politique du pays.
Les 1 350 congressistes ont scrupuleusement respecté la consigne qui leur avait été donnée de ne pas aborder, lors des séances plénières, la question de l’élection présidentielle de 2004. Ce qui est une sorte d’exploit, tant le sujet, à moins d’un an de l’échéance, obsède la classe politico-médiatique. On ne sait donc toujours pas qui sera le candidat du parti. Selon Abderrezak Dahdouh, le chef de cabinet du secrétaire général, « un congrès extraordinaire se tiendra à la veille ou au lendemain de la convocation du corps électoral », pour en décider. Sans doute en janvier 2004.
Le Congrès s’est borné à adopter les nouveaux statuts du parti. Le texte, qui compte soixante-huit articles, accorde des prérogatives très étendues au secrétaire général, désormais élu (et, le cas échéant, destitué) par le Congrès, et non plus par le Comité central. « Cette réforme permettra une plus grande stabilité, souligne une congressiste. Dans le passé, il est arrivé qu’un secrétaire général soit mis en minorité et destitué par le Comité central sans que la base ait été consultée. » En fait, le « SG » concentre entre ses mains tous les pouvoirs. C’est lui qui nomme les membres du Bureau politique, les présidents des cinq commissions permanentes (finances, élus, contrôle, organique et discipline), les commissaires départementaux (Mouhafedh), les titulaires des portefeuilles ministériels qui échoient au FLN et les présidents des groupes parlementaires à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il dispose en outre du pouvoir de convoquer un congrès extraordinaire et de faire amender les textes par le Comité central. Ce n’est plus un secrétaire général, c’est le grand timonier !
« Non, il ne s’agit pas d’un retour au centralisme démocratique, mais d’une adaptation au nouvel environnement politique du pays », plaide un député FLN, proche de Benflis. D’autant moins convaincant que de grandes manoeuvres sont en cours en vue de la reprise en main par le parti des « organisations de masses » et, en premier lieu, de l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA). Lors de la grève générale des 25 et 26 février, la centrale syndicale a fait la démonstration d’une capacité de mobilisation qui pourrait en effet se révéler très utile lors des prochaines échéances électorales.
Abdelmajid Sidi Saïd, le patron de l’UGTA, a tenu à assister à la séance d’ouverture du Congrès, sans doute pour obliger Benflis à prendre position sur « la principale préoccupation des travailleurs ». Autrement dit : « les privatisations et leur lot de menaces sur l’emploi ». Le chef du gouvernement s’est déclaré favorable à une « économie sociale de marché », formule qui a apparemment comblé d’aise Sidi Saïd. Dans une intervention qui n’était pas prévue au programme, celui-ci a insisté : « L’UGTA n’a pas de problème avec Ali Benflis, seulement avec certains membres de son équipe. » Il visait, à l’évidence, Chakib Khelil, le ministre des Mines et de l’Énergie, et Hamid Temmar, celui des Privatisations et de la Promotion de l’Investissement, tous deux considérés comme des hommes du président Abdelaziz Bouteflika.
Cet échange d’amabilités a aussitôt alimenté les plus folles rumeurs. « Benflis prend ses distances avec le chef de l’État », ont titré, le lendemain, les quotidiens indépendants. Certains observateurs n’ont pas manqué de relever que, dans son long (une heure et demie) discours d’ouverture, le secrétaire général s’est abstenu de mentionner le nom de Bouteflika. D’autres, qu’un certain nombre de cadres réputés proches du président ont été écartés du Comité central (dans un souci de rajeunissement, cette instance a été renouvelée à 50 %).
« Des critères d’un autre âge ont prévalu lors de la désignation, s’indigne l’un des exclus. Le nombre des avocats et des magistrats parmi les nouveaux arrivants traduit un souci corporatiste [Benflis est avocat de profession, NDLR]. Et le régionalisme a également joué un rôle. Même si la commission des candidatures a été dirigée par Abdelkader Saadi, un élu de Chlef, dans l’ouest du pays, la plupart des candidats originaires de cette région ont été rejetés. » Ces accusations sont sans doute à mettre sur le compte la déception. Car ce serait faire injure à l’habileté du Premier ministre que d’imaginer qu’il s’efforce d’isoler Bouteflika en vue d’obtenir l’investiture du parti pour la présidentielle de 2004. « Pourquoi Benflis manoeuvrerait-il en coulisses, il a toutes les cartes en main, s’étonne Dahdouh. S’il le désire, il sera tout naturellement notre candidat. »
Autre caractéristique du Congrès : la volonté d’indépendance affichée par le parti. « Nous n’accepterons plus ni injonctions ni tutelle », a martelé Benflis, sous les acclamations de l’auditoire. Quelles injonctions ? Quelle tutelle ? Selon le Premier ministre, on a trop souvent eu tendance, dans le passé, à imputer au « parti-État » les carences et les dysfonctionnements de l’administration. « Il est impératif de mettre une certaine distance entre nous et les centres de décision de la République, estime un ancien ministre. La confusion des genres n’est dans l’intérêt de personne. » Certes, mais apparemment il y a encore du pain sur la planche. Une anecdote.
Le FLN est installé à Hydra, sur les hauteurs d’Alger. Arrivé dans le quartier, je demande mon chemin à un jeune homme. « Vous allez au siège du FLN ? » me demande-t-il. Je lui réponds par l’affirmative. « Eh, mon frère, tu ne pourrais pas leur demander de me donner un logement ? » Certaines réputations ont décidément la vie dure.

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