La guerre de 1991

Comment Jeune Afrique a couvert la première guerre du Golfe : extraits de ce que nous avons écrit il y a douze ans.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 6 minutes.

«Les États-Unis se comportent comme une puissance impériale. Tous les pays qui ne s’alignent pas sur leur politique d’hostilité sans nuance à l’égard de Saddam Hussein sont montrés du doigt et soumis à des pressions diverses et parfois lourdes », c’est ce qu’écrivait Jeune Afrique dans son n° 1566 il y a douze ans, à la veille du déclenchement de la guerre du Golfe, le 17 janvier 1991, par George Bush père. Au moment où George Bush fils déclarait la seconde guerre à Saddam, le 18 mars 2003, j’ai revisité, par curiosité, la collection de Jeune Afrique. J’ai sélectionné les principaux numéros de la première guerre – du n° 1566 du 12 janvier au n° 1576 du 13 mars 1991. Votre journal vous a abondamment informé alors : 300 pages en dix semaines, avec des spéciaux de 18 à 36 pages, des illustrations, des analyses, des reportages, des interviews, des documents… sur l’avant-guerre, la guerre et l’après-guerre. J’ai retrouvé presque les mêmes propos qu’aujourd’hui, même si leurs auteurs ont changé : Bush père a été remplacé par Bush fils, Margaret Thatcher par Tony Blair, Itzhak Shamir par Ariel Sharon…
Autour d’eux, le Moyen-Orient est resté figé : le même Saddam Hussein, les mêmes monarques ou presque… avec en plus un Yasser Arafat finissant et un roi Fahd gravement malade. Ces quelques extraits vous permettront, j’espère, de vous rafraîchir la mémoire et de nuancer le déluge d’informations qui vous – et nous – attend avec la nouvelle guerre en Irak.

L’autorisation de tuer
Muni de l’autorisation de tuer (et amplement pourvu de moyens de destruction massive), George Bush
pourra, à volonté et impunément, faire
raser tout ou partie de l’Irak Avec
la complicité active et criminelle d’une poignée de dirigeants arabes qui, aveuglés par leurs passions, ne voient pas qu’ils creusent leur propre tombe.
Ainsi, en 1991, la plus grande puissance du monde – une démocratie ! – équipée des armes les plus terrifiantes et nantie d’alliés plus ou moins dociles, se dit habilitée à écraser sous les bombes un pays de 17 millions d’habitants dont le crime principal, celui qui, en réalité, a fait réagir George Bush, est de désobéir à Washington, de contrevenir d’une manière trop voyante à l’ordre américain. CQJC, n° 1568

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Ce n’est pas ma guerre
Qu’ai-je à faire dans un pugilat où l’hypocrisie et la bonne conscience occidentales n’ont d’égales que le déni de droit dont fait preuve l’Irak à l’égard du Koweït ?
Réflexe d’autodéfense d’un Béninois
à qui le gigantisme du voisin nigérian
donne des sueurs ? Possible. Il n’empêche. Les États-Unis, suivis par d’autres, partent aussitôt en guerre. Au nom d’un droit international que l’Occident n’a pas cru devoir respecter en Namibie, longtemps occupée par l’Afrique du Sud. FRANCIS KPATINDÉ, N° 1568

Par principe
Jeune Afrique n’a jamais, aujourd’hui comme hier, soutenu Saddam Hussein et son régime. Par principe, nous n’avons de sympathie pour aucun autocrate. Par principe, nous ne pouvons pas défendre un homme déjà responsable d’une guerre de huit ans ruineuse pour son propre pays. Par principe, nous condamnons l’invasion du Koweït, violation évidente du droit international, mais aussi erreur dramatique dont le peuple irakien subit les conséquences.
Par principe, nous refusons également la guerre. Surtout quand celle-ci est le résultat d’une décision trop programmée pour être honnête. Pourquoi les Américains n’ont-ils laissé aucune chance à une solution politique ? Pourquoi ont-ils abandonné, sans explication, la stratégie du blocus ? Parce que, pour les États-Unis, la guerre était considérée, dès le début, comme le plus probable des moyens, sauf si Saddam Hussein s’imposait une capitulation sans conditions. Zyad Limam, n° 1569

L’information est contrôlée
Dans cette guerre que vous vivez heure par heure comme jamais précédemment, l’électronique et l’information jouent un rôle capital. Vous devez savoir, on ne vous le rappelle pas assez, que toute l’information est contrôlée, orientée, censurée par les militaires. Entre leurs mains, elle fait partie des armes de la guerre et bien souvent devient de la désinformation.
À cela s’ajoute que tous les journalistes
qui vous informent sont d’un seul côté ; informés eux-mêmes par les militaires américains, européens ou israéliens.
Si l’on veut y voir clair et avoir plus de chances de ne pas être trompé, il faut se garder de « coller » à l’événement heure par heure. Il ne faut surtout pas prendre au sérieux chaque déclaration de « responsable » ni chaque « vérité » énoncée avec gravité par tel ou tel « expert ». CQJC, nos 1569 et 1570

Tuer Saddam Hussein
Dans le cas de Saddam Hussein, on n’a pas négocié avant la guerre ; on a seulement fait, un peu, semblant pour leurrer l’opinion publique ; et l’on a dit clairement qu’on ne négocierait pas après. On ne se cache même pas de vouloir plus que son renversement
: sa mort. Ne bombardet-on pas ses résidences dans l’espoir de le tuer, alors qu’on n’a jamais bombardé Berchtesgaden, ni essayé de tuer Hitler ? Ces mêmes Américains ont
fait la guerre à Kim Il-sung en Corée, à
Hô Chi Minh et Pham Van Dong au
Vietnam, sans jamais bombarder leurs
résidences, ni même le siège de leur
gouvernement. CQJC, N° 1569

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Que faire après la guerre ?
Appliquer bien sûr un nouvel ordre fondé sur la modernisation des régimes arabes, qui pourront alors « discuter » avec Israël. Le droit pour l’Amérique d’intervenir pour régler la vie des États et des peuples est donc définitivement acquis. Le problème, pour les Américains, est d’éviter de transformer Saddam Hussein s’ils parviennent à l’atteindre en martyr. FRANÇOIS SOUDAN, NOS1569 ET 1571

Les malheurs de la région
La guerre du Golfe est, dès son
origine, une entreprise anglo-américaine. Ce n’est pas très original : tout ce qui se fait au Moyen-Orient depuis deux siècles (au moins) a été voulu par la Grande-Bretagne (jusqu’en 1950-1960), puis par les États-Unis (aidés par la Grande-Bretagne). Tous les malheurs de la région ont été fomentés à Londres, et, ensuite, à Washington, qui a assumé l’héritage de la Grande-Bretagne ; ils ont été exécutés sur place avec la complicité de potentats locaux stipendiés ou non, agents conscients ou inconscients d’un impérialisme étranger. CQJC, N° 1571

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Comme l’Amérique latine
Si les Américains gagnent cette guerre, l’arrogance et l’insensibilité que nous leur voyons déployer aujourd’hui le langage de leur président, celui de leurs généraux et des porte-parole de leur complexe militaro-industriel en sont la plus crue des illustrations seront multipliées par dix.
Ils réaliseront alors, mais il sera trop tard, qu’ils ont contribué à installer sur notre planète un hégémonisme qui, pour être celui d’une puissance démocratique, n’en sera pas moins lourd à supporter que celui exercé naguère par l’URSS sur l’Europe de l’Est : nous serons tous des satellites…
Tout ce que j’entends, tout ce que je vois venir, me fait craindre pour le Moyen-Orient une ère américaine qui le fera ressembler à l’Amérique latine des années soixante et soixante-dix. La région risque fort d’être dirigée pendant des années par les pétroliers américains, encadrés par les spécialistes de la sécurité, utilisant, les uns et les autres, des politiciens-valets locaux. CQJC, n° 1573

Profession journaliste
J’ai relu attentivement tout ce que nous avons écrit dans Jeune Afrique depuis six mois sur la crise (et la guerre) du Golfe. Faites-le, si vous le pouvez.
Lecture gratifiante : grâce à Dieu, à notre vigilance, à notre indépendance
et aux moyens (intellectuels) mis en uvre, nous ne nous sommes pas trompés et, par conséquent, nos lecteurs ont été bien informés (selon le
sondage auquel J.A. a procédé à la fin de février, 80 % des lecteurs ont exprimé leur satisfaction, NDLR).
Ce n’était pas facile, car la crise et la guerre ont été bâties sur beaucoup de secrets et de malentendus.
Comprenez que nous exprimions notre satisfaction et même, si on nous le
permet, notre fierté. Nous sommes à Jeune Afrique cas unique une équipe qui rassemble des musulmans, des chrétiens et des juifs, des Noirs et des Blancs. L’intérêt de chacun pour cette crise n’est pas le même, nos sensibilités et nos cultures diffèrent, nos analyses concordent ou divergent mais aucun d’entre nous n’a écrit ce qu’il ne pensait pas, nul n’a été censuré.
Nous sommes fiers d’avoir, au cours de tous ces mois de bruit et de fureur, en respectant « le devoir d’informer », en exerçant notre « liberté d’écrire » selon notre conscience, emporté l’adhésion de la majorité de nos lecteurs. Et, d’après les témoignages que nous recevons, l’estime de bien des professionnels de l’information et de la politique.
BÉCHIR BEN YAHMED, Nos1571 ET 1576

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