Issues de secours

La crise ivoirienne prive le Burkina et le Mali de leur débouché maritime. Les ports de Lomé, Cotonou, Tema et même celui de Dakar pourraient tirer profit de cette situation.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Poumon économique de la sous-région, la Côte d’Ivoire, en crise depuis maintenant sept mois, perturbe son voisinage. Les filières coton du Mali et du Burkina, traditionnellement exportatrices faute de marché domestique suffisant pour absorber la production locale, sont fortement désorganisées. Les régions productrices sont coupées de leur débouché maritime : le port autonome d’Abidjan. Du fait de la fermeture des frontières terrestres et de l’inactivité forcée du réseau ferroviaire de la Sitarail, les sociétés cotonnières maliennes et burkinabè ont dû trouver rapidement de nouvelles voies de communication avec le golfe de Guinée. Trois ports de la côte ouest-africaine ont été identifiés : Lomé, Cotonou et Tema, rejoints par les installations en eau profonde de Takoradi, au Ghana.
Les enjeux sont énormes. Ils portent à la fois sur l’approvisionnement des régions cotonnières en intrants (engrais, pesticides, insecticides), en pièces détachées (destinées aux unités de production) et sur l’évacuation du coton-fibre. Avant la crise, Abidjan était le point de passage obligé du coton burkinabè et malien, traitant chaque année près de 80 % de leurs exportations et de 65 % à 70 % de leurs importations, soit au total plusieurs centaines de milliers de tonnes.
Une occasion dont les autorités portuaires du Ghana entendent bien profiter. Accra a d’ailleurs envoyé, au début du mois, une délégation d’une quarantaine de membres au Burkina. Objectif ? Attirer sur les ports ghanéens une part significative du trafic burkinabè. Restée deux jours à Ouagadougou, la délégation a assuré la promotion des ports de Tema et de Takoradi auprès des autorités publiques et des opérateurs privés locaux. Afin de renforcer les liens économiques entre les ports et l’arrière- pays, un bureau de représentation de l’Office des ports du Ghana a été inauguré dans la capitale burkinabè. L’installation d’un port sec près de la ville de Kumasi (centre du Ghana) est également prévue pour cette année. Cette plate-forme de regroupement des marchandises transportées par route aura pour but de servir d’interface entre les trois pays enclavés (Burkina, Mali, Niger) et les principaux ports du Ghana.
Le blocage du corridor ivoirien handicape plus particulièrement certaines régions productrices de coton, jusqu’alors reliées à Abidjan par des axes routiers et ferroviaires en très bon état. Premières concernées : les grandes zones burkinabè du centre (Koudougou) et du Sud (Bobo-Dioulasso), ainsi que les vastes plantations de la région voisine de Sikasso, au sud du Mali. Situées à 800 km de la capitale ivoirienne, ces zones sont maintenant à plus de 1 400 km des ports de substitution les plus proches (Lomé, Cotonou, Tema).
Un premier coup d’arrêt a déjà été constaté dans ces régions durant les derniers mois de l’année 2002, lorsque des conteneurs chargés de pièces détachées destinées aux usines d’égrenage se sont trouvés bloqués sur les terminaux ivoiriens. Il a fallu attendre plusieurs semaines avant qu’ils puissent rallier par route le sud du Burkina et du Mali, via l’est de la Côte d’Ivoire et le Ghana. L’alerte avait alors été sérieuse pour les sociétés en charge de la filière : la Société burkinabè des fibres textiles (Sofitex) et la Compagnie malienne de développement du textile (CMDT), confrontées à un important retard dans le démarrage de la phase d’usinage du coton-graine.
Les deux compagnies cotonnières ont donc réorienté leurs couloirs logistiques. Les tonnages en jeu sont conséquents. D’après les dernières estimations portant sur la campagne en cours, les productions malienne et burkinabè additionnées devraient représenter 400 000 tonnes de fibre à évacuer, auxquelles viennent s’ajouter, à l’import, 130 000 tonnes d’intrants divers destinés aux zones cotonnières des deux pays. La production de la région est du Burkina, estimée à 40 000 tonnes de coton-fibre, va continuer de passer par Lomé, selon la stratégie appliquée depuis 1999. Idem au Mali, où les 60 000 tonnes produites dans les environs de Kayes, à l’ouest du pays, transiteront par le port sénégalais de Dakar. Reste donc un peu plus de 420 000 tonnes à l’import et à l’export, que les trois ports de « remplacement » choisis par les responsables de la Sofitex et de la CMDT vont devoir se partager.
Les directions portuaires doivent donc agrandir leurs surfaces de stockage. À Lomé, un responsable dit « travailler sur la mise en place des équipements nécessaires au stockage du coton-fibre ». Il reste ensuite à répartir les tonnages pour éviter tout engorgement, tant des plates-formes d’entreposage que des postes à quai des navires.
Depuis février, les embarquements de marchandises ont commencé tant bien que mal à Cotonou et à Tema. Un négociant constate avec soulagement « qu’au moins, les exportations de coton n’ont pas été interrompues et que les contrats de livraison devraient, pour la plupart, être honorés ». Mais beaucoup d’observateurs estiment que la production des deux pays sahéliens ne pourra être évacuée dans sa totalité sans un règlement de la situation ivoirienne avant la fin de l’année.
Allongement de plusieurs centaines de kilomètres des itinéraires de rechange, routes souvent inadaptées au passage des nombreux camions nécessaires : la « facture transport » des compagnies cotonnières risque de fortement s’alourdir. Les responsables de Dagris, numéro un français du coton présent au Burkina et au Mali, chiffrent déjà le surcoût entre 70 et 110 euros la tonne. De leur côté, les associations cotonnières évaluent le renchérissement des coûts à près de 5 millions d’euros pour la CMDT et à 2,5 millions d’euros pour la Sofitex… en espérant que la crise ivoirienne ne s’éternise pas. Un scénario que redoute pourtant Gilles Peltier, le tout nouveau PDG de Dagris, qui « ne voit pas comment la situation pourrait se remettre rapidement sur pied ».
C’est toute l’économie de ces deux pays qui en dépend. Au Mali, premier producteur de la zone et deuxième en Afrique derrière l’Égypte, la filière coton emploie plus ou moins directement près de 3 millions de personnes, soit 30 % de la population du pays. Première culture industrielle malienne, le coton rentre pour près de 60 % dans les recettes à l’exportation. Au Burkina, le poids du secteur cotonnier pèse tout aussi lourd : plus de 2 millions de personnes (20 % de la population) vivent de cette filière, qui constitue 55 % des recettes à l’exportation du pays.

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