Ils ont tué Martin Luther King

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

En cette fin d’après-midi du 4 avril 1968, Martin Luther King, Prix Nobel de la paix 1964, se détend sur le balcon du Lorraine Motel, à Memphis (Tennessee). La préparation de la marche destinée à soutenir, le lendemain, les éboueurs noirs en grève a été fatigante. Il interpelle Jesse Jackson – « Va mettre une cravate pour le dîner ! » – et demande à son ami Ben Branch de lui jouer, le soir, au saxo, sa mélodie préférée, « Precious Lord ». C’est à ce moment que la balle le frappe en pleine tête. Martin Luther King s’effondre, tiré comme un lapin par un repris de justice, James Earl Ray. L’enquête n’établira jamais clairement si les commanditaires étaient bien des militants racistes du Parti américain indépendant qui auraient offert 100 000 dollars pour le meurtre de l’apôtre des droits civiques.
Dans les minutes qui suivent l’annonce de la mort du pasteur King, des jeunes Noirs en colère pillent et brûlent le centre de Memphis. L’émeute gagne Washington, Chicago, Baltimore, Kansas City, la Californie et même la Floride. Une centaine de villes sont à feu et à sang, et l’on déplore 46 morts et 2 600 blessés. Martin aurait détesté cette vengeance, lui qui croyait aux vertus de la non-violence chère à Gandhi.
Né à Atlanta (Géorgie) le 15 janvier 1929 dans une famille de la bourgeoisie noire, dont le père est ministre d’un temple baptiste de la ville, il suit l’exemple paternel et devient à son tour pasteur à Montgomery (Alabama), en se faisant une spécialité de concilier le service de Dieu et la défense de la communauté noire. Car, dans le Sud, Blancs et Noirs sont séparés au cinéma, au restaurant ou dans les bus : cette somme d’humiliations s’appelle la ségrégation, qui sera interdite en 1954 par la Cour suprême des États-Unis.
Le 2 décembre 1955, Rosa Parks, une couturière noire, rentre chez elle à Montgomery en bus. Elle est assise juste derrière les sièges réservés aux Blancs. Prétextant l’affluence, le conducteur lui ordonne de céder sa place à un Blanc. Elle refuse et se retrouve au poste de police. Informé de ce scandale, Martin Luther King organise le boycottage de la société de bus. Son domicile est plastiqué ; il est incarcéré. Mais aucun Noir ne monte dans un bus de la ville et la société de transport, au bord de la faillite, cède au bout d’un an et instaure l’égalité des droits pour ses usagers. Le pasteur King va poursuivre ce combat à travers les États-Unis avec une constance que ne lasseront ni les attentats, ni la prison (il sera incarcéré quatorze fois), ni les menaces de mort, ni les pressions du FBI, qui tente de le faire passer pour un communiste.
Cette non-violence active le conduit à organiser des marches de protestation, des grèves de loyers, des campagnes de désobéissance civile pour concrétiser ce qu’il appela un « rêve » dans son sermon le plus célèbre : « Je rêve, dit-il, qu’un jour, sur les collines rouges de Géorgie, les fils des anciens esclaves et les fils des anciens propriétaires d’esclaves s’assoient ensemble à la table de la fraternité […]. Je rêve qu’un jour mes quatre enfants vivent dans un pays où ils seraient jugés selon leur personnalité et non sur la couleur de leur peau. »
Au moment de sa mort, le mouvement d’émancipation des Noirs traverse une crise. Il est lui-même traité d’Oncle Tom et accusé de mollesse par les plus radicaux des militants noirs du Black Power. Il n’est pourtant pas un doux candide et proclame que les institutions et le droit ne suffisent pas pour libérer ses frères, que l’économie demeure un fossé infranchissable pour la plupart d’entre eux. Dans son livre Où allons-nous ?, il écrit, en 1967 : « La vraie compassion ne consiste pas à jeter un sou à un mendiant ; compatir, c’est vouloir changer le système qui crée des mendiants. »
Voilà trente-cinq ans que Martin Luther King est mort, et, pourtant, son « rêve » de fraternité demeure d’une brûlante actualité. Imaginons-le rencontrant Colin Powell et Condoleezza Rice, ses frère et soeur de peau qui empruntent ces temps-ci les sentiers de la guerre pour le compte de George W. Bush. Il leur crierait à nouveau de sa voix de prophète : « Il n’est pas juste de résoudre les conflits par la guerre. Brûler les gens au napalm, multiplier les veuves et les orphelins, injecter le poison de la haine dans les veines de peuples paisibles, accepter que les survivants des meurtriers champs de bataille rentrent chez eux mutilés et mentalement aliénés, cela n’est conforme ni à la sagesse, ni à la justice, ni à l’amour. » L’écouteraient-ils pour autant ?

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