Dis-moi ce que tu payes

Rendre plus transparentes les transactions : tel est l’objectif de la campagne lancée par une coalition de soixante-dix ONG.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Avec le BTP et l’armement, le pétrole figure sans conteste au palmarès des secteurs d’activité les plus corrompus. Ce tiercé, établi par l’organisation Transparency International en mai 2002, n’est pas surprenant. La signature de contrats d’exploitation d’hydrocarbures a toujours donné lieu au versement de commissions, surtout chez les nouveaux membres du club des producteurs d’or noir.
L’affaire Elf, actuellement jugée à Paris, illustre de façon caricaturale la complexité des réseaux financiers alimentés par cette compagnie dans les pays du sud du Sahara. La faiblesse des institutions et l’absence de garde-fous y favorisent les inégalités entre la population et les élites au pouvoir, premiers bénéficiaires de cette nouvelle manne. Et encouragent la corruption.
Pour prévenir les transactions occultes, une coalition de soixante-dix organisations non gouvernementales (ONG) s’est constituée en Grande-Bretagne. Depuis février dernier, son action est relayée en France par plusieurs associations, dont le Secours catholique/ Caritas, qui fait actuellement pression auprès de Jacques Chirac pour que le sujet soit inscrit à l’ordre du jour du prochain sommet du G8, présidé par la France en juin 2003.
L’an dernier, la coalition a lancé la campagne Publiez ce que vous payez(*), dont l’objectif est d’inciter les compagnies extractives (pétrole, gaz et ressources minières) à publier les versements – impôts, taxes et autres – qu’elles font aux gouvernements des pays où elles opèrent.
Des problèmes de gestion des ressources sont régulièrement évoqués en Algérie, en Angola, en Guinée équatoriale, en République démocratique du Congo, au Congo-Brazza, au Nigeria, au Gabon, au Soudan et au Tchad. Mais l’Afrique n’a pas le monopole de l’opacité : l’Azerbaïdjan, le Kazakhstan et le Venezuela sont également épinglés. Enfin, des États comme la Colombie ou la Birmanie sont cités pour les déplacements forcés de populations qu’occasionne l’exploitation de ces ressources. Cette initiative vise donc à fournir à la société civile et aux Parlements de ces pays les informations sur la base desquelles ils pourront demander des comptes à leurs gouvernants.
Les animateurs de cette campagne rappellent que « les États qui gèrent ces ressources rendent rarement compte de leurs actions à leurs administrés : les recettes d’exploitation ne sont rendues publiques ni par les gouvernements en question, ni par les entreprises privées impliquées. Ce qui facilite les détournements de fonds. Par ailleurs, l’accès aux ressources naturelles peut alimenter les conflits régionaux. »
Cette campagne s’étend à tous les pays dont les ressources minérales représentent une large part des revenus et où la corruption est associée à ce revenu. Sont précisément concernés une cinquantaine de pays en développement, où vivent quelque 3,5 milliards de personnes. Douze des pays les plus dépendants de leurs ressources minières, et six des pays les plus dépendants des revenus du pétrole, sont classés par la Banque mondiale comme « pays pauvres extrêmement déficitaires ».
« Si les compagnies minières et pétrolières ne sont pas responsables de la façon dont les gouvernants dépensent les impôts, redevances et autre taxes, elles ont en revanche le devoir de rendre publics les versements qu’elles effectuent aux États partenaires », estiment les militants des ONG. Toutefois, une telle campagne ne peut se faire sur la base du volontariat, les entreprises les plus transparentes risquant d’être pénalisées.
Au début de l’année dernière, la société British Petroleum (BP) a bien failli en faire les frais. Alors que le pétrolier souhaitait publier le montant exact des sommes versées à l’Angola pour l’exploitation de ses hydrocarbures, sa direction s’est vu rappeler à l’ordre par la Sonangol. La compagnie pétrolière étatique a adressé à BP une missive laissant entendre que ses intérêts angolais risquaient de pâtir d’une telle déclaration.
Pour éviter ce type de menaces, le collectif milite donc pour l’adoption d’une réglementation internationale : « Il ne s’agit pas de stigmatiser telle entreprise ou tel pays, explique-t-on au Secours catholique, mais de travailler à plus de transparence, à des marchés plus sains. »
Des initiatives en ce sens ont déjà été prises, notamment par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui a adopté des directives, sous l’impulsion de Transparency International. Mais au-delà de la publication de chiffres, c’est à l’instauration de mécanismes de contrôle des revenus qu’appellent désormais les ONG.
Reste à en convaincre les États bénéficiaires, ainsi que les opérateurs. Certaines compagnies, telle BP, n’y seraient pas forcément hostiles, mais la plupart des pétroliers interpellés se réfugient derrière la concurrence que leur livrent les autres majors pour temporiser.
Face à ces atermoiements, le collectif Publish what you pay a reçu le soutien de poids d’une personnalité à la mesure de la cause qu’il défend. En juin 2002, George Soros, le milliardaire américain devenu philanthrope, est intervenu personnellement dans le débat pour appeler les multinationales à faire preuve de civisme. Pour le célèbre financier, « les opérateurs impliqués dans les activités d’extraction ne peuvent échapper à leur responsabilité quant à ce qui se passe dans les pays où ils signent des contrats ».

* www.publishwhatyoupay.org

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