1991-2003 : ce qui a changé

Il y a douze ans, les experts prévoyaient un conflit difficile face à la « quatrième armée du monde ». Il n’en fut rien. Aujourd’hui, ils pourraient bien s’être encore fourvoyés.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 3 minutes.

En 1991, les acteurs principaux étaient les mêmes. En 2003, tout le reste, ou presque, est différent. En 1991, l’agresseur était l’Irak de Saddam Hussein, qui s’était lancé à la conquête de son voisin le Koweït. Action, bien entendu, rigoureusement interdite par la charte des Nations unies.
Aujourd’hui, l’agresseur est à l’évidence George Walker Bush, président des États-Unis, qui s’est lancé à la conquête de l’Irak sans l’aval des Nations unies sous des prétextes incompatibles avec sa charte.
Les pronostics occidentaux sur la difficulté du conflit divergent, eux aussi, totalement. En 1991, la majorité des experts prévoyait pour les alliés une guerre difficile face à la « quatrième armée du monde ». Le ministre français de la Défense Jean-Pierre Chevènement parlait d’au moins cent mille morts dans les rangs des ennemis de Saddam.
Il y a quelques semaines, avant l’ultimatum de George W. Bush, tout le monde, ou presque, prévoyait au contraire une victoire certaine et facile des forces anglo-américaines, grâce à leur « écrasante supériorité ».
D’une guerre à l’autre, les données militaires sont totalement différentes. Au cours de la première guerre du Golfe, les forces irakiennes ont eu très vite des problèmes logistiques considérables. En effet, dès les premières heures de la guerre, les alliés ont coupé les ponts sur l’Euphrate et interdit à peu près toute circulation de véhicules ennemis au sud de l’Irak et au Koweït. À partir de ce moment-là, il n’y avait plus qu’à attendre. Les unités irakiennes, isolées pour la plupart, ont souffert de la faim. Au bout de quelques semaines, les soldats sont rentrés en masse « à la maison ». Après six semaines, lorsque les unités terrestres alliées ont lancé l’assaut, Saddam Hussein n’avait plus de résistance sérieuse à leur opposer. Les chars, abandonnés, ont fourni des cibles idéales aux forces alliées. La puissance offensive irakienne a été « cassée », et le Koweït libéré. Sonnez trompettes !
Saddam Hussein avait eu le tort de croire que les Américains lanceraient leur offensive terrestre juste après leurs grandes attaques aériennes. Si les coalisés avaient agi ainsi, ils auraient certainement subi de lourdes pertes face aux soldats irakiens sortant de leurs abris. Mais les Américains ont eu la grande sagesse d’attendre, et ils ont vaincu avec des pertes minimes (quelques centaines de morts, y compris les pertes fratricides).
Aujourd’hui, Saddam n’a pour ainsi dire plus de chars, mais ce sont les Américains qui vont avoir le plus de problèmes logistiques, leur domaine d’excellence pourtant ! Ils ont, certes, sur leurs navires, leurs bases au Koweït, au Qatar, à Bahreïn, en Turquie des réserves suffisantes pour mener une guerre de quelques jours, voire de quelques semaines. Mais si les combats se prolongent, ces réserves seront rapidement épuisées, et il faudra acheminer ne serait-ce que les munitions sur des milliers de kilomètres, par-dessus l’Atlantique, puis sur des centaines de kilomètres de routes dangereuses. Et ce, en pleine chaleur. Si les combats présentent des difficultés, la situation des Américains sera très vite délicate, même s’ils enregistrent peu de pertes. Tout dépend donc de la résistance à Bagdad.
Les défenseurs peuvent-ils espérer s’opposer sérieusement à « l’écrasante supériorité américaine » ? À mon sens, ils le peuvent, surtout s’ils disposent d’un nombre suffisant d’armes antichars légères. En effet, aujourd’hui, les armes défensives (missiles, roquettes…) donnent un avantage considérable à celui qui se défend en ville sans trop se faire voir par rapport à celui qui avance avec, obligatoirement, peu de discrétion. Bien sûr, dans un premier temps, les nids de résistance peuvent être écrasés par l’artillerie ou par des bombes guidées par les illuminateurs laser des fantassins. C’est sans doute ce qui s’est passé le 25 mars à Nadjaf. D’après les Américains, ils ont réussi à conquérir un pont essentiel sans pertes… mais au prix de mille morts irakiens.
Cette technique peut-elle être transposée sur le front de Bagdad ? Je ne le crois pas. Les Américains pourront sans doute tenter une percée vers le centre. Ils le feront au prix d’une énorme consommation de munitions. Ils le feront au prix d’effroyables pertes civiles et militaires irakiennes.
Mais après ? Bagdad est immense. Bagdad ne peut être totalement conquis. Totalement occupé. Les troupes anglo-américaines n’en ont pas la capacité.
Reste une solution : revenir au Moyen Âge, organiser le siège de la ville. Affamer ses habitants. Or, comme ce sont sûrement les combattants qui disposent des plus grandes réserves de vivres, affamer Bagdad, c’est d’abord affamer les enfants, les femmes, les vieillards. Est-ce cela que veulent les « libérateurs » ? Est-ce cela que veulent ceux qui se prétendent les défenseurs du Bien contre l’« axe du Mal » ?

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