Carlos Lopes : « Il n’y aucune raison que les États africains ne négocient pas mieux leurs contrats »

Toujours optimiste au sujet des principaux dossiers concernant le développement de l’Afrique (croissance, intégration régionale, leadership économique et politique) Carlos Lopes, le secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA), n’en reste pas moins incisif dans son diagnostic des difficultés et des faiblesses du continent. Il a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».

Carlos Lopes, le 17 mars dernier, lors de l’édition 2014 du Africa CEO Forum. © Eric Larrayadieu pour Jeune Afrique

Carlos Lopes, le 17 mars dernier, lors de l’édition 2014 du Africa CEO Forum. © Eric Larrayadieu pour Jeune Afrique

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Publié le 20 octobre 2014 Lecture : 5 minutes.

Rencontré lors du dernier forum organisé par la Commission économique pour l’Afrique (CEA), Carlos Lopes, son secrétaire exécutif, profite d’un moment entre deux visites protocolaires pour livrer ses impressions sur quelques grands dossiers. Le Bissau-guinéen se veut toujours aussi optimiste, mais pas question de baisser la garde.

Propos recueillis par Olivier Caslin

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Le forum de Marrakech avait pour but d’identifier et de mobiliser de nouvelles ressources financières. Est-ce que le développement du continent est aujourd’hui davantage lié à un manque de fonds ou à leur mauvaise affectation ?

Non, il manque toujours de l’argent en Afrique. Si vous comparez les flux financiers en direction des différentes régions du monde, le continent progresse mais reste encore très marginale, notamment par rapport à la taille de son économie continentale. L’Afrique attire un peu plus de capitaux que l’Inde, mais la répartition entre les 54 pays est très inégale et concentrée sur un petit nombre de pays.

Je crois que tout le monde a compris que la constitution d’un marché unique africain pour 2017 est tout simplement impossible.

Le morcellement de l’Afrique est par exemple difficilement compatible avec une industrialisation tardive, qui nécessite la proximité d’un marché de taille suffisante. Il faut donc faire de sérieux efforts au niveau sous-régional.

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La SADC, l’EAC, la COMESA nous ont tous contacté pour réfléchir à la mise en place de stratégies industrielles et c’est exactement la démarche qu’il faut avoir. J’espère maintenant que cela inspirera les autres.

Comment avance l’intégration du continent ?

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Il faut féliciter la Communauté d’Afrique de l’Est qui progresse très vite, avec des échanges intra-communautaires qui représentent aujourd’hui 26 %, soit l’équivalent de l’Asie du Sud-est.

C’est l’exemple qui confirme qu’il faut mettre en place des ensembles sous-régionaux. Pas forcément sous la forme des institutions actuelles mais constitués de pays partageant des outils communs, comme une zone douanière ou une monnaie, autour de préalables macro-économiques.

Et donc faciliter les échanges intra-africains si importants dans le développement ?

Tout à fait ! Et je constate ces derniers mois une évolution importante sur ces questions en Afrique. Avant, toutes les discussions tournaient autour de la constitution d’un marché unique africain pour 2017. Je crois que tout le monde a compris que c’était tout simplement impossible, surtout à 54, alors doucement le concept d’une intégration à plusieurs vitesses, en fonction des réalités de chacun, commence à faire son chemin. Je pense qu’en 2017, une vingtaine de pays peuvent être prêts à travers le continent. Ils constitueront le noyau dur sur lequel pourront s’appuyer les autres pays. Nous entrons enfin dans des négociations réalistes !

La CEA établit un classement des États africains, en fonction de leur contribution à l’intégration. Il désignera au final bons élèves et cancres. C’est le seul moyen de discipliner les États.

D’ailleurs, nous préparons pour 2015, avec l’UA et la BAD, un indice d’intégration régionale.

Nous établirons un classement des États africains, en fonction de leur contribution à l’intégration, en nous appuyant sur les statistiques du commerce, mais également en tenant compte des infrastructures et des connexions en matière de transport, des régimes de visa, des systèmes douaniers… Pour au final désigner le bon élève et identifier le cancre.

Tout le monde sera cité. C’est le seul moyen de discipliner les États, de les sortir des discours d’intention pour enfin passer à l’action.

Est-ce que la baisse actuelle des matières premières ne devrait pas pousser les pays africains à accélérer la transformation et l’industrialisation de leurs économies ?

Le continent doit utiliser ses matières premières comme une porte d’entrée vers son industrialisation. Les pays africains sont aujourd’hui dans une situation de contrôle sur un certain nombre de matières premières en termes de production. Il n’y aucune raison que les contrats ne soient pas mieux négociés. Regardez la Guinée, en se donnant le temps et les moyens, le pays vient d’obtenir de Rio Tinto un accord cinq fois mieux valorisé que l’initial, avec l’arrivée d’infrastructures qui vont profondément changer la Guinée elle-même. C’est exactement ce que sont en droit d’attendre les États africains.

>>> Investissements : les États africains prennent des avocats

Vous êtes donc d’accord avec le président Macky Sall, lorsque ce dernier a rappelé pour d’ouverture du forum, la difficulté des autorités publiques à négocier face aux compagnies minières et leurs cohortes d’avocats ? Comment faire pour rééquilibrer les rapports ?

C’est un problème très largement débattu aujourd’hui à travers le continent. Les chefs d’États se sont accordés autour d’une « vision minière africaine » et nous ont mandaté, avec encore une fois l’UA et la BAD, pour constituer à Addis-Abeba un centre de réflexion et d’information dont le rôle est de renforcer la capacité de négociation des pays africain pour justement rééquilibrer la donne. Il est en place depuis six mois, et nous sommes en train de recruter une vingtaine d’experts qui seront là pour appuyer les négociateurs africains, notamment sur les questions de fiscalité.

Tels qu’ils existent aujourd’hui, les APE ne sont ni des accords ni des partenariats.

La question des capacités de négociations africaines est également ressortie lors des discussions sur les APE face aux experts de la Commission européenne. Quel est votre opinion sur le contenu de ces accords ?

Tout d’abord nous ne sommes pas d’accord avec le choix qui a été fait d’ouvrir des négociations par sous-région. Nous l’avons dit à la Commission, ainsi que notre opposition à certaines conditionnalités qui sont loin d’être favorables à l’Afrique, je pense notamment aux mécanismes et au montant de l’aide compensatoire européenne qui restent très vagues. Là encore, il y a un déséquilibre frappant.

Comment l’Afrique pourrait-elle être prête dans un délai de cinq ans ? Il lui faut beaucoup plus de temps. Surtout que les points les plus fâcheux, comme la propriété intellectuelle, les normes industrielles, ont été sortis des négociations. Comment l’Afrique va pouvoir s’industrialiser en étant confrontée à une batterie de réglementation imposée par son principal partenaire commercial ? L’accord ne dit pas un mot à ce sujet.

>>> Lire aussi : Faut-il avoir peur de l’APE ?

Vous êtes donc très septique sur la portée de ces accords ?

Les Africains semblent déjà être les grands perdants de ces négociations. Et nous comprenons les réticences de l’EAC à les signer. Tels qu’ils existent aujourd’hui, les APE ne sont ni des accords ni des partenariats.

La Banque mondiale parle d’un coût de 32 milliards pour Ebola… Les économies concernées n’en pèsent que 6, à elles trois.

Un mot sur Ebola. Que pensez-vous de la façon dont la crise est gérée en Afrique et ailleurs ?

L’afro-pessimisme cohabite toujours avec l’afro-optimisme et les deux sont tout aussi dangereux.

La Banque mondiale parle d’un coût de 32 milliards alors que les économies concernées ne pèsent que six milliards de dollars à elles trois, quand dans le même temps le FMI table sur une croissance africaine de 5 %.

Je reviens de Guinée et je trouve que c’est en Europe où la panique est la plus grande. Comme pour le SRAS d’ailleurs à l’époque. Conakry manque de moyens, mais ne panique pas et les institutions semblent très bien maîtriser la situation.

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