Bras de fer à Harare

Alors que le pays, menacé de famine, souffre toujours des sanctions économiques, forces de l’ordre et militants de l’opposition s’affrontent dans la rue.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 4 minutes.

Robert Mugabe, 79 ans, au pouvoir depuis vingt-trois ans, est carrément invité à rendre son tablier avant le 18 avril 2003, date anniversaire de l’indépendance pour laquelle il avait combattu de 1963 à 1980. Ainsi se résume l’actualité du Zimbabwe en ces derniers jours de mars. L’opposition intérieure est activement soutenue par l’ex-puissance coloniale et… par les États-Unis, les deux principaux alliés dans la guerre contre Saddam Hussein.
Le 24 mars, avant même d’évoquer le conflit en Irak, le porte-parole du département d’État américain Richard Boucher commence par demander aux journalistes de l’interroger sur le… Zimbabwe. Sans réaction de ses interlocuteurs qui n’ont cure de Mugabe. Déçu, Richard Boucher publie un communiqué officiel dans lequel il dénonce le « Black Hitler » et décrit en long et en large la situation intérieure du Zimbabwe, après les manifestations de l’opposition des 18 et 19 mars. Et se garde de dire le moindre mot sur les marches organisées par le parti au pouvoir contre l’opposition… Qu’est-ce qui se passe dans ce pays, marxiste, hier, mais converti au libéralisme depuis 1990 ? Rappel.
L’ex-Rodhésie a longtemps été dirigée – dominée – par les fermiers blancs, qui, malgré la chute de leur leader Ian Smith en 1980, ont continué à accaparer les meilleures terres et à contrôler la manne de devises (recettes d’exportation du tabac, du sucre et de l’or). Une réforme agraire était bien prévue dans les accords d’indépendance (dits de Lancaster House). Mais Mugabe a eu tort d’attendre les financements promis par le Royaume-Uni et la Banque mondiale pour indemniser les fermiers blancs. Sa conversion à l’économie de marché n’y a rien fait. Et la tolérance dont il croyait pouvoir bénéficier éternellement de la part de Londres et de Washington s’est arrêtée au lendemain de sa réélection à la tête du pays, le 24 mars 2000. Son quatrième mandat (2000-2005) est un mandat de trop.
À peine né, en 1999, le Mouvement pour le changement démocratique (MDC), dirigé par le leader syndicaliste Morgan Tsvangirai, 51 ans, est parvenu à contester le pouvoir du vétéran de la guerre d’indépendance : il a obtenu 42 % des voix à la présidentielle et 48 % des élus à l’Assemblée nationale, des scores appréciables.
Au lieu de montrer ce dont il est capable sur le terrain – le MDC dirige les principales villes du pays, y compris la capitale -, Morgan Tsvangirai a choisi la voie de la contestation des résultats électoraux. Début 2001, il change de cap après la décision de Mugabe de s’en prendre violemment aux fermiers blancs qui ont refusé d’obéir aux décrets d’expropriation. La majorité écrasante de leurs ouvriers – mis au chômage ou menacés de l’être – est membre du MDC. La boucle est bouclée : en 2001, la démarche du MDC est encouragée par les sanctions décrétées contre le régime Mugabe par les États-Unis, le Royaume-Uni et, conséquence « logique », par le Commonwealth, l’Union européenne, le FMI et la Banque mondiale. Les membres du gouvernement sont interdits de voyage en Europe, aux États-Unis et en Australie. Leurs avoirs financiers sont gelés et les aides internationales coupées, sauf pour les secours alimentaires…
Mugabe – comme Saddam Hussein – ne recule pas. Au contraire, plus le MDC durcit ses positions, plus il se raidit. La nationalisation forcée des terres laisse des champs sans cultures. Elle est détournée de son vrai objectif par les caciques du Zanu-PF : la redistribution au profit des paysans sans terres. À cela s’ajoute la sécheresse qui sévit depuis 1999. Résultat : le pays, qui affichait une production de maïs excédentaire, est menacé de famine (les ONG estime que 7 millions de personnes seraient touchées cette année). Les cultures de rente (tabac, sucre) rapportent moitié moins que d’habitude. Les réserves de devises fondent comme neige au soleil. Pas d’argent, pas de pétrole, pas d’essence, pas d’électricité, hausse des prix (+ 200 % en 2002, + 500 % en 2003), marché noir (la monnaie locale a été dévaluée de 93 % en février et continue à être bradée contre le dollar américain à la moitié de sa nouvelle valeur)…
Devant ce tableau noir, le MDC décide un mouvement général de grève stay away ») et de désobéissance civile. Les deux premières journées d’action (18-19 mars) sont violemment réprimées : 400 arrestations, 250 blessés, 1 mort dans les rangs du MDC. Mugabe répond, le 21 mars, par des insultes et des menaces : « la police ne restera pas les bras croisés face aux ordures du MDC » ; « ceux qui jouent avec le feu périront avec le feu » ; « c’est l’Occident qui finance le MDC »… Richard Boucher lui rétorque, le 24 mars à Washington : « vous êtes un Black Hitler », « vous devez stopper immédiatement la répression et faire juger les coupables »… Morgan Tsvangirai renchérit : « Vous devez satisfaire toutes nos exigences sinon vous serez renversé avant le 18 avril 2003 »…
À Londres et à Bruxelles, on a annoncé que le Commonwealth et l’Union européenne reconduisaient leurs sanctions pendant encore douze mois. Dans ce climat tendu, la seule consolation est venue de la Libye, qui a promis de reprendre ses livraisons de pétrole (par camions-citernes)…

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