Ben Laden court toujours

Désormais concentrée dans la partie pakistanaise du Balouchistan, la traque du numéro un d’el-Qaïda continue. Et piétine.

Publié le 2 avril 2003 Lecture : 5 minutes.

Dans un entretien accordé le 22 mars à l’organe d’information de son armée, le président pakistanais, le général Pervez Musharraf, a affirmé qu’Oussama Ben Laden pourrait avoir trouvé une planque dans la partie pakistanaise du Balouchistan, région montagneuse qualifiée par les Américains de triangle de la mort en raison de son relief escarpé et de son climat rigoureux. Pourquoi cette volte-face de Musharraf, qui était persuadé de la mort de Ben Laden et qui a longtemps soutenu que « s’il est vivant, il n’est pas chez nous » ?
L’explication tient à deux faits. Le premier remonte au 1er mars. Ce jour-là, un commando de l’Inter Service Intelligence (ISI, services secrets pakistanais) interpelle, dans la ville pakistanaise de Rawalpindi, Khaled Cheikh Mohamed, cerveau des plus grands « coups » du réseau islamiste. Le matériel saisi – disque dur d’un micro-ordinateur, lettres manuscrites signées par Ben Laden et une dizaine de téléphones portables – ainsi que les confessions du numéro trois de l’organisation terroriste ont donné un nouvel élan à la traque des dirigeants d’el-Qaïda. Des dizaines de planques localisées deviennent inutilisables, ainsi que les contacts et les boîtes postales. « Ben Laden est vivant, je l’ai rencontré en décembre », confie, en substance, Cheikh Mohamed à ses geôliers pakistanais avant d’être livré aux Américains, qui l’incarcèrent à Bagram, en Afghanistan. Le décryptage du disque dur apporte également de nombreux éléments. Suffisamment pour que les limiers de l’ISI évoquent une avancée significative dans la chasse à Ben Laden.
Autre facteur ayant conduit Musharraf à changer de discours : les suspicions autour de l’engagement de l’ISI dans la guerre mondiale contre le terrorisme. Une méfiance régulièrement entretenue par les rapports adressés à la Maison Blanche par les trois agences américaines de sécurité en charge du dossier War on Terror : CIA, FBI et NSA. Mettant en doute la loyauté d’un service de renseignements, certes allié mais dont les membres sont largement acquis aux thèses islamistes, les Américains ont amené l’ISI, et par voie de conséquence l’armée pakistanaise, à faire du zèle. Depuis les attaques du 11 septembre 2001, l’ISI et ses troupes d’élite ont accompli plus de 130 opérations contre les structures d’el-Qaïda. Plus de 442 membres actifs du réseau terroriste ont été neutralisés, dont 346 ont été remis aux forces américaines. « Difficile de faire mieux ! » soupire un officier des services pakistanais. « Si ! » grondent les Américains qui reprochent aux Pakistanais d’avoir « travaillé » Cheikh Mohamed durant quarante-huit heures avant de le leur livrer, et d’avoir négligé la coordination avec la CIA et le FBI. Bref, de prendre avec légèreté la traque de Ben Laden. Ces arguments ne rencontrent pas un écho favorable uniquement à Washington.
Cité par le Wall Street Journal, Robert Oakley, ancien ambassadeur américain au Pakistan entre 1988 et 1991, période durant laquelle l’ISI était particulièrement puissant, incite cependant le Pentagone et les agences de sécurité à plus de retenue dans leurs critiques à l’adresse des services pakistanais, dont il loue l’apport dans la guerre contre le terrorisme. « Qu’aurions-nous fait sans l’ISI ? se demande-t-il. Un malentendu avec ces alliés pourrait avoir un impact négatif sur le combat que nous menons contre el-Qaïda. »
La guerre en Irak a relégué au second plan la traque d’OBL. Et mis fin aux folles rumeurs de son arrestation qui avaient fait le tour du monde après l’interpellation de Cheikh Mohamed. Tantôt on annonçait la capture du milliardaire, tantôt celle de sa progéniture. Durant la première quinzaine de mars, Américains et Pakistanais ont passé leur temps à démentir ces informations distillées aussi bien par les islamistes pakistanais que par des sources semi-officielles iraniennes.
Occultées par l’offensive des « forces coalisées » dans le sud de l’Irak et la bataille de Bagdad, de discrètes opérations commandos n’en continuent pas moins d’être menées à quelques milliers de kilomètres à l’est : de Khost, ancien fief d’el-Qaïda, à Ribat Qila, point de rencontre des frontières afghane, iranienne et pakistanaise, en passant pas Spin Boldak, où se produisent des accrochages quasi quotidiens entre GI’s et combattants du seigneur de guerre afghan Gulbudine Hekmatyar. Mais Ben Laden reste introuvable.
Les Américains n’ont pourtant pas lésiné sur les moyens pour débusquer l’ennemi public numéro un. Qu’on en juge : commandos paramilitaires de la CIA, éléments de la Delta Force de l’armée de terre et troupes d’élite de la Navy. Tout ce beau monde bénéficie de l’appui logistique de la coalition mondiale, des renseignements fournis par le système d’écoute Échelon et de la coordination du Centcom (Commandement central des opérations) en Floride. Mais, jusqu’à présent, cet important dispositif n’a permis que la neutralisation d’éléments subalternes d’el-Qaïda. « Ils mobilisent la technologie la plus récente, ironise Pacha Khan, seigneur de guerre afghan, maître incontesté de la région voisine de Paktia, pour traquer un général, mais ils ne neutralisent que des sous-officiers ! » Il est vrai que, hormis quelques grosses pointures d’el-Qaïda (voir J.A.I. n° 2200), le tableau de chasse des limiers américains est assez modeste.
Au lendemain de l’arrestation de Cheikh Mohamed, l’heure était à l’euphorie à Langley (siège de la CIA), où l’on parlait de l’imminente arrestation de Ben Laden. « Ce n’est plus une affaire de semaines ou de jours, disait-on alors, mais de quelques heures. » Depuis, l’euphorie a cédé la place au scepticisme. Donald Kerr, adjoint du patron de la CIA, en charge du département Science et Technologie, reconnaît volontiers que la chasse à Ben Laden ressemble à la recherche d’une aiguille dans une botte de foin. « Il est difficile de remplir une mission de ce type car elle a pour cadre un pays hostile, culturellement différent, à la configuration sociologique et géographique complexe. »
À toutes ces difficultés s’ajoute la multiplication des seigneurs de guerre, qui ont taillé le pays en autant de territoires échappant totalement à l’administration centrale de Kaboul. Et, malgré leur cupidité, aucun d’eux n’a songé à « donner » Ben Laden pour empocher les 25 millions de dollars offerts par le FBI pour sa capture, mort ou vif. Une augmentation sensible de cette prime rendra-t-elle plus efficace la recherche d’indice conduisant à la cache de Ben Laden ? « Peu probable, répond Hekmatyar. Le combat pour la libération de l’Afghanistan de l’occupation militaire américaine se confond aujourd’hui avec la protection de Ben Laden et de ses combattants. » Ce qui n’est pas pour arranger les affaires des limiers américains.

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