Burkina : l’abolition de la peine de mort a été « précipitée pour permettre l’extradition de François Compaoré »

C’est ce qu’affirme le Congrès pour la démocratie et le Progrès (CDP), à la veille de l’audience qui doit se tenir à Paris mercredi 13 juin pour examiner la demande d’extradition de François Compaoré. Pour le CDP, l’abolition de la peine de mort a été « accélérée » pour « répondre aux interrogations de la justice française ».

François Compaoré à la sortie de la salle d’audience de la Cour d’appel de Paris, le mercredi 28 mars 2018. © Aïssatou Diallo / Jeune Afrique

François Compaoré à la sortie de la salle d’audience de la Cour d’appel de Paris, le mercredi 28 mars 2018. © Aïssatou Diallo / Jeune Afrique

Aïssatou Diallo.

Publié le 12 juin 2018 Lecture : 6 minutes.

C’était l’un des gages des avocats de l’État lors l’audience de la demande d’extradition de François Compaoré, devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris le 28 mars. C’est chose faite depuis le 31 mai : la peine de mort est abolie au Burkina.

Quelques jours avant une nouvelle audience à Paris le 13 juin, l’Assemblée nationale a en effet adopté le projet de loi du nouveau code pénal dont l’un des grands changements est la suppression de la peine de mort. 83 députés sur les 125 présents ont votés pour. Parmi les 42 autres ayant voté contre figurent les députés du groupe parlementaire du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), qui a tenu les rênes du pays jusqu’à l’insurrection populaire de 2014 qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré.

la suite après cette publicité

Pour le CDP, l’abolition de la peine de mort n’avait en fait qu’un seul et unique but : permettre l’extradition de François Compaoré. En droit français, quand la peine de mort est encourue par une personne visée par une demande d’extradition, pour que celle-ci soit possible, il faut que l’État ayant demandé l’extradition donne des assurances suffisantes que cette peine ne sera pas exécutée.

Le petit frère de l’ancien président, arrêté en octobre 2017 en France en raison d’un mandat émis par le Burkina est depuis placé en contrôle judiciaire. Les autorités de son pays souhaitent l’entendre dans l’affaire de l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo et de ses compagnons le 13 décembre 1998.

Déjà entendu par la justice française le 7 décembre 2017, puis par deux fois en mars, les 7 et 28, François Compaoré a répété être opposé à son extradition vers le Burkina. Lors de la dernière audience en date, l’avocate générale a requis un complément d’information auprès des autorités burkinabè et françaises et relevé un manque de pièces dans le dossier pour que les juges puissent statuer. L’audience du 13 juin pourrait donc sceller le sort de celui qu’on surnommait le « petit président ».

Alphonse Kirigahon Nombré, député du Boulgou dans la région du Centre-Est du Burkina et vice président du groupe CDP à l’Assemblée nationale, revient pour Jeune Afrique sur les raisons pour lesquelles les députés du parti ont voté contre la modification du code pénal et les préparatifs du CDP dans la perspective de la présidentielle de 2020.

Alphonse Nombré, vice-président du groupe parlementaire CDP. © DR

Alphonse Nombré, vice-président du groupe parlementaire CDP. © DR

la suite après cette publicité

Jeune Afrique : Pourquoi les députés du groupe parlementaire CDP ont-ils voté contre le projet de loi qui visait à réformer le code pénal ?

Alphonse Kirigahon Nombré : Le vote de cette loi intervient dans un contexte politique et judiciaire particulier. Après analyse, nous avons constaté que la procédure législative a été précipitée afin qu’elle soit adoptée pour viser une personne en particulier. À partir de ce moment-là, la loi perd son caractère impersonnel.

la suite après cette publicité

La réforme du code pénal a entre autres consisté en l’augmentation du quantum des peines. Les peines qui punissent les délits vont maintenant d’un à dix ans de prison. Mais la réforme majeure reste l’abolition de la peine de mort.

Lorsque vous dites que la modification du texte visait une personne en particulier, vous faites allusion à François Compaoré ?

Tout à fait ! Car en dehors du code pénal, deux conventions ont été signées entre les gouvernements du Burkina Faso et celui de la République Française. L’une concerne les demandes d’entraide judiciaire en matière pénale et l’autre les extraditions. Il y a une coïncidence suspecte du calendrier.

La demande d’extradition du gouvernement du Burkina Faso est pendante devant la cour d’appel de Paris dont la prochaine audience est prévue pour le 13 juin. Au cours de l’audience du 28 mars 2018, des questions précises ont été posées au gouvernement du Burkina Faso, qui n’a pas su y répondre. Il s’agissait notamment de l’abolition de la peine de mort et des deux conventions. Les juridictions françaises refusent d’extrader une personne si, dans son pays d’origine, elle risque la peine de mort. La signature des deux conventions a été précipitée et est intervenue le 24 avril.

Pourquoi précipiter la procédure, si ce n’est pas pour répondre aux interrogations de la justice française ?

À l’audience, les avocats représentant le Burkina Faso ont précisé que le renouvellement de ces conventions était déjà en cours, car elles dataient des années 1960…

Mais pourquoi, alors, précipiter la procédure, si ce n’est pas pour répondre aux interrogations de la justice française ?

Que disent ces nouvelles conventions ?

Elles permettent aux juridictions des deux pays d’échanger des informations et de faciliter les commissions rogatoires. La deuxième convention facilite les procédures d’extradition entre les deux pays.

Lorsque vous dites que la procédure de réforme du code pénal a été précipitée, cela signifie-t-il que d’autres textes à l’ordre du jour ont été décalés ?

Oui. Nous avons par exemple dû retirer l’examen du code électoral pour insérer le code pénal. Cette session parlementaire a débuté le 7 mars et a duré 90 jours. Le code pénal n’a été inscrit que le 3 mai, à quelques jours de sa clôture.

Le code pénal comporte 9 livres et plus de 900 articles. On ne peut pas étudier un tel dossier en moins d’un mois, surtout qu’il est très technique. Il y a eu une accélération inhabituelle de la procédure législative pour l’adopter.

Il en est de même pour les deux conventions qui ont aussi été inscrites à l’ordre du jour de la session parlementaire le 3 mai. Les deux conventions ont été ratifiées dès le 17 mai et la loi portant code pénal le 31 mai.

L’avocat de François Compaoré dénonce un acharnement sur celui qu’on surnommait le « petit président ». Le CDP a-t-il aussi la même lecture des événements ?

On ne peut pas faire une autre analyse que celle-là. C’est pratiquement un acharnement. Notre groupe [parlementaire] n’est pas contre l’abolition de la peine de mort. Bien au contraire !

La présente réforme a commencé en 2013, sous notre gouvernement. En octobre 2014, un projet de loi avait déjà été adopté en conseil des ministres. Mais à cause des événements de fin octobre [l’insurrection populaire qui a conduit à la chute de Blaise Compaoré], la procédure n’a pas abouti.

Nous serions plus à l’aise pour voter cette loi portant code pénal si elle avait été proposée avant la demande d’extradition, ou alors après le délibéré de la cour d’appel de Paris. Mais dans ce contexte politique et judiciaire, nous trouvons cela suspect.

Le CDP a également introduit un projet de loi pour supprimer une disposition de l’article 135 du code électoral, voté pendant la Transition, qui stipule que ceux qui ont soutenu « un changement anticonstitutionnel qui porte atteinte au principe de l’alternance démocratique » ne peuvent pas être candidat à une élection. Où en est ce texte ?

À la présidentielle et aux législatives de 2015, puis lors des municipales de 2016, certaines candidatures des membres du CDP ont été invalidées au regard de cette loi. Nous estimons qu’il faut expurger notre code électoral des dispositions qui consacrent l’exclusion.

En 2016 déjà, nous avions déposé cette proposition de loi. On nous avait alors expliqué qu’on ne pouvait pas modifier le code électoral car les municipales se tenaient dans la même année. Une convention de la CEDEAO interdit toute modification des lois électorales 6 mois avant la tenue d’un scrutin. Nous avions compris l’argumentaire et retiré notre proposition de loi.

Mais maintenant que les élections sont passées, nous avons réintroduit notre dossier en février 2018, pensant qu’il allait passer au cours de la première session parlementaire de l’année. Aujourd’hui je ne saurai vous dire à quel stade il se trouve…

Comment votre parti se prépare-t-il pour les prochaines échéances électorales ?

Nous venons d’achever notre 7e congrès ordinaire au cours duquel nous avons réorganisé le parti en le dotant d’une nouvelle direction politique. Celle-ci se mettra à la tâche pour préparer les prochaines échéances. Nous comptons être présents à toutes les élections.

Pour l’instant, au regard de notre représentation à l’Assemblée et dans les conseils municipaux, nous sommes la troisième force politique du pays. Malgré toutes les brimades et les injustices subies, nous demeurons la deuxième force politique de l’opposition. Le CDP travaille à redevenir majoritaire après la présidentielle de 2020.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Burkina Faso : Eddie Komboïgo réélu à la tête du CDP, Blaise Compaoré nommé président d’honneur

Contenus partenaires