Visiteurs d’Afrique

Venus d’Europe, d’Amérique ou d’Asie, chefs d’État et de gouvernement, ministres et autres personnalités politiques, par intérêt ou par obligation, se sont rendus sur le continent l’année dernière. Revue de détail de ces hôtes pas encore totalement gagnés

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 9 minutes.

Dis-moi qui tu reçois, je te dirai ce que tu vaux sur l’échiquier planétaire. À cette aune, si l’on en juge par le nombre de voyages qu’y ont effectués en 2004 les dirigeants et responsables du monde riche, le continent africain demeure – comparativement aux autres – à la traîne de la mondialisation. On s’en doutait, hélas ! encore fallait-il aller y voir de plus près. Cette revue des visites officielles du « Nord » (au sens très extensif, puisque nous y avons inclus la Chine) en Afrique est un exercice que nous répéterons chaque début d’année afin d’en dégager les principales évolutions. Que nous apprend cette première livraison ? Qu’il existe, aux yeux du monde extérieur, une Afrique utile avec ces musts que sont l’Algérie et le Maroc, l’Afrique du Sud et surtout, en 2004, la Libye en pleine réhabilitation internationale – sans doute le pays le plus visité du continent cette année. Une Afrique des crises aussi, où l’on ne se rend que pour des raisons militaro-humanitaires ponctuelles : Soudan et Grands Lacs. Une Afrique pétrolière, de plus en plus offshore. Une Afrique délaissée enfin, largement majoritaire et qui, hors sommets internationaux du type Francophonie, ne voit venir personne si ce n’est les ministres de la Coopération dont c’est le programme obligé. Ni médiatique, ni économique, ni signifiante d’un point de vue géopolitique, cette Afrique-là attend toujours qu’on s’intéresse à elle.

Offensive générale au nord du continent

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La Libye est redevenue fréquentable. Incontestablement, de tous les pays africains, c’est la Libye qui détient la palme des visites officielles les plus prestigieuses en 2004. Tous les grands d’Europe sont venus sous la tente du colonel Kadhafi : le Premier ministre britannique Tony Blair, le président français Jacques Chirac, l’ancien chef du gouvernement espagnol José María Aznar, le président du Conseil italien Silvio Berlusconi, le chancelier allemand Gerhard Schröder. Même un officiel américain a fait le déplacement de Tripoli : le secrétaire d’État adjoint américain William Burns. Ce qui était inimaginable en 2003 s’est tout à coup réalisé en 2004. Pourquoi ? Kadhafi a réussi cette prouesse en avouant à la fin de 2003 qu’il avait un programme d’armes de destruction massive (ADM) et en annonçant qu’il y renonçait. La Libye a également reconnu sa responsabilité dans l’attentat contre le Boeing de la PanAm au-dessus du village écossais de Lockerbie qui a fait 270 morts en décembre 1988 et a accepté de dédommager les familles des victimes. Mouammar Kadhafi a fait de même pour les familles des 170 victimes de l’attentat contre le DC-10 d’UTA, au-dessus du désert du Ténéré en septembre 1989. Du jour où la Libye est sortie de sa mise en quarantaine, tout le monde s’est donc bousculé sous la tente du « Guide » pour décrocher des contrats à forte odeur de pétrole. Le géant anglo-néerlandais Shell, le numéro deux du pétrole mondial, a signé, après douze ans d’absence, avec la compagnie étatique National Oil Corporation (NOC) un accord de partenariat stratégique à long terme dans l’exploitation et la production de pétrole et de gaz avec un programme d’exploration de cinq à sept ans d’un montant de 200 millions de dollars. La Grande-Bretagne a vendu un système de vision nocturne et de radars. L’Italie a inauguré avec son ancienne colonie la construction d’un gazoduc de 520 km de long qui doit amener 8 milliards de m3 de méthane libyen en Italie. L’Italie a également vendu à la Libye quatre avions d’observation et des radars de visée nocturne pour lutter contre l’immigration clandestine à partir des côtes libyennes longues de 1500 km.

Forte présence française en Algérie. La lutte contre l’immigration clandestine et le terrorisme a été l’une des priorités des délégations étrangères qui se sont succédé en Algérie. C’est le Français Jacques Chirac qui a ouvert le bal. Son voyage qualifié de « réchauffement des relations avec un pays ami » une semaine après la réélection d’Abdelaziz Bouteflika, a entraîné d’autres séjours d’officiels français comme ceux de Xavier Darcos (Coopération), Nicolas Sarkozy (ex-Économie et Finances), Dominique de Villepin (ex-Affaires étrangères), Michel Barnier (Affaires étrangères) et Michèle Alliot-Marie (Défense). La visite de la ministre de la Défense était une première depuis l’indépendance de l’Algérie. Tout un symbole. Sont venus aussi à Alger le chancelier allemand Gerhard Schröder, le nouveau chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero et le secrétaire général de l’Otan, Jaap de Hoop Scheffer.

Normalisation des relations Maroc-Espagne. Le Maroc a eu son lot de visiteurs de marque. C’est même à Rabat que José Luis Zapatero a fait sa première mission à l’étranger après la victoire des socialistes aux élections espagnoles de mars 2004. Sous le gouvernement Aznar, les relations entre Rabat et Madrid étaient exécrables, à la suite du conflit de
souveraineté sur l’îlot Persil. Après les attentats du 11 mars 2004 qui ont fait 191 morts à Madrid, José Luis Zapatero est allé à Rabat pour renforcer la coopération
policière entre les deux royaumes contre le Groupe islamique des combattants marocains (GICM) lié à al-Qaïda. De son côté, le roi Mohammed VI a apprécié que l’Espagne modère son soutien au Front Polisario et se montre favorable à une solution négociée au Sahara occidental. Côté belge, le couple royal a posé ses valises à Rabat pour apporter son appui
« à quarante ans de proximité belgo-marocaine ». Après le séisme du 24 février dans le nord du Maroc, la Belgique a financé la reconstruction de 200 maisons. Et, côté français, le ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin est venu à Rabat discuter de la lutte contre la drogue. Sur 78 tonnes de résine de cannabis saisies en France en 2003, 63 tonnes provenaient du Maroc.

Timides visites en Tunisie. Moins courtisée en 2004, la Tunisie a tout de même reçu, elle aussi, quelques hôtes de prestige : l’Espagnol Zapatero, le nouveau chef de la diplomatie française Michel Barnier et le prince Philippe de Belgique accompagné de 147 chefs d’entreprise belges. Comme à Tripoli, Alger et Rabat, coopération économique et lutte contre l’immigration clandestine ont été au cur des entretiens de Tunis.

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Au chevet de l’Afrique centrale

Baisser la tension dans les Grands Lacs. La Belgique a fait pratiquement cavalier seul pour tenter de faire baisser la tension dans la région des Grands Lacs. Quatre missions en République démocratique du Congo (RDC), trois au Rwanda et une en Ouganda. De l’ex-ministre belge des Affaires étrangères Louis Michel, au ministre de la Défense et à celui
de la Coopération, les Belges se sont investis dans la région afin notamment de « donner une chance » de réussite au processus de transition en RDC. Le vice-président de l’Internationale socialiste, le Belge Elio Di Rupo, s’est également rendu au Congo pour les mêmes raisons. Dans le même ton, Louis Michel a rencontré les autorités de l’Afrique du Sud pour demander leur soutien dans la recherche d’une solution à la crise dans les
Grands Lacs.

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La paix au Darfour passe par le Soudan et le Tchad. L’épineuse question de la crise du Darfour et son éventuel règlement ont mis sur le devant de la scène le Tchad et le Soudan. Les ministres français Dominique de Villepin, Michèle Alliot-Marie, Xavier Darcos et Michel Barnier se sont succédé à N’Djamena et à Khartoum. Une fois dans la région, à travers Dominique de Villepin, la France a multiplié les initiatives économiques devant permettre à la compagnie pétrolière Total de reprendre ses activités au Soudan. Cette
compagnie, qui contrôle un bloc de 100 000 km2 dans le sud du pays, avait dû arrêter son exploration en 1985, avec le début des hostilités. Les officiels français se sont « investis » à Khartoum. Une concurrence subtile les opposait aux Américains. Le secrétaire d’État, Colin Powell, s’est donc déplacé au Darfour pour marquer la présence américaine,
mais aussi permettre à son pays de diversifier ses sources d’approvisionnement en pétrole et accentuer la lutte contre le terrorisme. Kofi Annan a coupé la poire en deux en allant une fois au Tchad et au Soudan. À la différence de Tony Blair (Royaume-Uni) qui s’est rendu uniquement à Khartoum.

Des peacemakers dans la Corne de l’Afrique. Dans la Corne de l’Afrique, en dehors du ballet « économique » entamé dès janvier en Éthiopie par le ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, avec sa délégation d’une trentaine d’hommes d’affaires, les neuf autres visites dans la région ont été surtout dominées par la recherche d’une solution durable au conflit frontalier qui oppose l’Éthiopie à l’Érythrée depuis 1998. Le président allemand Horst Köhler, le chancelier Gerhard Schröder et Kofi Annan ont rencontré les parties éthiopienne et érythréenne pour tenter une médiation. À 10 km de la capitale djiboutienne, des combats au nord-ouest du Yémen opposent des islamistes aux forces gouvernementales. Pour éviter toute « contagion » et accentuer la lutte contre le terrorisme, Michèle Alliot-Marie, par deux fois, a joué les bons offices à Djibouti, petit pays de 23200 km2. L’Allemagne a axé, de son côté, son action sur deux registres: la diplomatie au président Köhler et la campagne de lutte contre la corruption
confiée au chancelier Gerhard Schröder.

Timides visites à l’ouest du continent

La Côte d’Ivoire lasse, le Ghana et le Burkina en vedette. Malgré la crise qui la secoue depuis deux ans, la Côte d’Ivoire n’a reçu que Dominique de Villepin. Il s’agissait pour le ministre français de préparer l’arrivée du président ivoirien, Laurent Gbagbo, en France, alors qu’Abidjan et Paris ont entretenu en 2003 des relations tendues et difficiles. La situation de ni paix ni guerre et le jusqu’au-boutisme des acteurs du conflit ivoirien agacent. Les différents médiateurs ne délaissent pas le pays Houphouët-
Boigny, mais ils se lassent En revanche, plus stable avec John Kufuor, un président qui récite à merveille le binôme démocratie et droits de l’homme et présentant également des
garanties aux investisseurs, le Ghana a été visité par Xavier Darcos, Gerhard Schröder et Kofi Annan. Le président burkinabè Blaise Compaoré a renforcé ses relations avec l’ancienne puissance coloniale en recevant, d’abord, Xavier Darcos dans le cadre du sommet contre la pauvreté, ensuite Jacques Chirac lors du dixième sommet de la Francophonie. Et pour diverses raisons, l’ex-président américain Jimmy Carter s’est rendu au Bénin, au Cap-Vert, au Togo et au Mali. Un bilan de visites un peu décevant, notamment
pour Paris, car cette région a la réputation d’être une « pouponnière » française

La Chine, le Brésil aux côtés des pays économiquement utiles

L’odeur du pétrole attire au Gabon, en Guinée équatoriale et à São Tomé e Príncipe. Le retour de la stabilité sur le continent n’a pas été la seule raison des visites. Si, par exemple, le voyage au Gabon du Français Xavier Darcos s’explique par des raisons historiques et stratégiques, celle des présidents chinois Hu Jintao et brésilien Luiz Inácio Lula da Silva répond à des préoccupations économiques. La croissance de 9,1 % de
la Chine la soumet à une dépendance énergétique. En privilégiant les relations économiques portant sur le pétrole avec, entre autres, Libreville, la Chine cherche à ne pas dépendre de la région troublée du Moyen-Orient d’où proviennent 30 % de ses importations et diversifier ainsi ses fournisseurs. Le Brésil a signé, de son côté, de nouveaux contrats pour ses entreprises, et son offensive économique s’est poursuivie dans l’archipel de São Tomé e Príncipe. La France a suivi le Brésil dans cette zone puis en Guinée équatoriale.

Le pays de Mandela confirme. La bonne santé des relations économiques entre Pékin et Pretoria a été illustrée par un séjour du vice-président chinois Zeng Qinghong. En cinq ans, l’Afrique du Sud est devenue le premier partenaire commercial de la Chine sur le continent comme l’indique le volume des échanges bilatéraux entre les deux pays, passé de 1,5 milliard de dollars en 1990 à 3,7 milliards de dollars en 2003. Le Premier ministre adjoint israélien Ahud Olmert a aussi rencontré Thabo Mbeki et les hommes d’affaires du pays pour développer un partenariat économique avec l’Afrique du Sud. Enfin, Gerhard
Schröder a privilégié le social comme à Djibouti en lançant une opération de lutte contre le sida en Afrique du Sud, un des pays les plus touchés du monde.

« Tana », la grande oubliée. Grande oubliée, Madagascar n’a reçu que le seul président Chirac. Cette visite a eu tout de même le mérite de mettre un terme définitif au contentieux qui opposait le président malgache Marc Ravalomanana à la France, qui avait mis du temps à reconnaître sa victoire en 2001 face à Didier Ratsiraka, alors chouchou de Paris.

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