Une éternelle fuite en avant ?

La pression sécuritaire qui a suivi l’enquête sur la tentative d’assassinat contre le président Conté rappelle de sombres pages de l’histoire du pays. Et laisse à l’arrière-plan difficultés économiques et blocages politiques.

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Présidents des « institutions républicaines » (Assemblée nationale, Conseil économique et social), ministres, préfets et autres élus locaux se sont relayés sur les ondes de la Radiotélévision guinéenne (RTG) pour condamner « l’acte infâme et ignoble » (la tentative d’attentat contre Lansana Conté, le 19 janvier) et réclamer « le châtiment de ses auteurs ». Les plus âgés des Guinéens ont l’impression de revenir trente-cinq ans en arrière, après « l’agression portugaise » du 22 novembre 1970 : de la même façon, organes de la Révolution et autres comités locaux s’étaient succédé à l’antenne de la « Voix de la Révolution » pour réclamer la tête des présumés coupables.
Toutefois, très peu de monde s’est manifesté à l’extérieur du pays, après la tentative d’assassinat de Conté. Laurent Gbagbo, proche de son homologue guinéen depuis l’éclatement, en septembre 2002, d’une insurrection armée en Côte d’Ivoire, lui a dépêché, dès le 20 janvier, son ministre de l’Intégration régionale et de l’Union africaine, Mel Eg Théodore. L’Union africaine a rappelé « la ferme condamnation de toute tentative d’assassinat politique et de tout changement anticonstitutionnel de gouvernement », non sans « encourager le dialogue entre le gouvernement et les forces politiques du pays, initié par le Premier ministre Cellou Dalein Diallo ».
Revenu précipitamment d’Accra vingt-quatre heures après l’attentat, ce dernier a aussitôt pris les choses en main. Pour écarter le ministre secrétaire général de la présidence Fodé Bangoura et son homologue de la Sécurité Moussa Sampil, tentés de lancer une chasse aux sorcières, il a convoqué un conseil interministériel dans l’après-midi du 21 janvier, qui a transféré la gestion judiciaire du dossier au ministère de la Justice. Après introduction d’une plainte contre X pour démarrer régulièrement la procédure, une commission de suivi de l’affaire a été mise en place, présidée par le Premier ministre lui-même et composée du chef d’état-major de l’armée, Kerfalla Camara, ainsi que des ministres de la Justice Mamadou Sylla, de l’Administration du territoire Kiridi Bangoura, de l’Information Aïssatou Bella Diallo…
Résultat des premières investigations : trois pistes – intérieure, sierra-léonaise et burkinabè – ont été évoquées au cours du conclave. Dès le lendemain matin, une mission d’enquête conduite par Abdoulaye Baldé « Gabro », patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), s’est rendue à Freetown. Certes, le numéro un guinéen n’est pas en odeur de sainteté en Sierra Leone, où ses alliances et ruptures répétées avec la rébellion de l’Ulimo lui ont aliéné bien des sympathies. De même, il est en froid avec Ouagadougou, où on ne lui pardonne pas, entre autres, d’avoir pris fait et cause pour l’ennemi intime de Blaise Compaoré, Laurent Gbagbo.
Pendant que les enquêtes se poursuivent, la pression sécuritaire sur le quartier Enco 5 s’intensifie. Pour mieux marquer leur présence, les forces de l’ordre, qui campent en permanence sur les lieux, ont porté sur la façade d’une boutique l’inscription « Poste de gendarmerie ». Les dos-d’âne qui, le 19 janvier, avaient obligé le cortège présidentiel à ralentir et facilité l’attaque des auteurs de l’attentat, ont été rasés. Les arrestations vont bon train. Une centaine de personnes sont détenues, interrogées, isolées de leurs familles et privées de l’assistance d’avocats.
L’imam el-Hadji Mamadi Touré, arrêté avec 53 de ses fidèles à la sortie de la mosquée de Simanbossia (secteur d’Enco 5), dans l’après-midi du 19 janvier, est décédé trois jours plus tard, officiellement des suites d’une crise d’hypertension survenue dans les locaux de la Sûreté nationale, à Conakry. La « rudesse » des interrogatoires infligés aux prévenus fait dire à un célèbre avocat du barreau guinéen que « les enquêteurs vont immanquablement obtenir des aveux ».
Dans ces conditions, comment seront jugés ceux qui ont reconnu leur culpabilité ? Cellou Dalein Diallo a insisté auprès du garde des Sceaux, Mamadou Sylla, pour que les accusés bénéficient de toutes les garanties d’un procès équitable.
Le chef de l’État, Lansana Conté, suit d’assez loin la campagne de répression. Aux imams inquiets, qui sont venus lui rendre visite le lendemain de l’attentat qui coïncidait avec la fête musulmane de l’Aïd el-Kébir, il a assuré qu’il s’en remettrait exclusivement à Dieu, avant de regagner, dans la soirée, sa retraite de Wava. Comme si de rien n’était… Pendant que la traque des prétendus coupables mobilise les énergies, les pressantes priorités économiques du pays passent à l’arrière-plan…

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