« Un chef, ça se respecte ! »

Pétrole, argent, militaires, corruption, affaire des disparus du Beach, Kolélas, Lissouba, Kabila, Kagamé, Côte d’Ivoire… Le président congolais n’esquive aucune question. Entretien.

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 16 minutes.

Les 4 et 5 février, le bassin du fleuve Congo et ses 200 millions d’hectares de forêt feront à Brazzaville l’objet d’un examen clinique. Au chevet de cet immense poumon vert d’un seul tenant, qui va du Cameroun au Kasaï, une demi-douzaine de chefs d’État dont le Français Jacques Chirac tenteront d’enrayer la dégradation de cet extraordinaire écosystème miné par la déforestation sauvage. Vaste tâche, qui passionne l’hôte de ce sommet, Denis Sassou Nguesso. À 61 ans, dont vingt au pouvoir, en deux périodes séparées par une traversée du désert, le président congolais ambitionne désormais de jouer pleinement sa partition dans le concert panafricain. Lui aussi estime avoir, pour ce rôle où la compétition est rude tant le continent recèle d’archéo- et de néo-doyens, patriarches jaloux de leurs prérogatives, à la fois l’expérience, la sagesse et les moyens. De la Centrafrique à la Côte d’Ivoire, des Grands Lacs au Darfour en passant par le développement durable, Sassou dit son mot et le fait savoir comme à l’époque lointaine où il présida aux destinées de la défunte OUA. Sa nouvelle dimension fait certes grincer quelques dents… Il en sourit et n’en a cure.
Si ce général « civilisé » depuis des lustres, au point que chacun a oublié qu’il porta un jour l’uniforme, joue aujourd’hui dans la cour réservée des médiateurs aux conseils appréciés, c’est qu’il estime avoir réglé l’essentiel de ses problèmes domestiques. À raison ? Sept ans après la fin de la guerre civile, le Congo semble politiquement apaisé et économiquement sur la bonne voie, à en croire la communauté des bailleurs de fonds et le cartel des sociétés pétrolières. Pourtant, à y regarder de plus près, comme sous la surface des eaux calmes du grand fleuve, des courants contradictoires et potentiellement dangereux sont toujours à l’oeuvre. Tribalisme, désarmement, enrichissement illicite, prédation, injustices sociales : si DSN, réélu jusqu’en 2009, n’a que peu de choses à craindre de la part d’une opposition en panne de leaders crédibles, c’est à l’instar du lait sur le feu qu’il se doit de surveiller ces dossiers-là et de les gérer au quotidien,
sous peine de lendemains qui déchantent. Chef militaire, chef d’État à Brazzaville et chef traditionnel dans son « village » d’Oyo, cet homme au regard perçant et à l’élégance étudiée, qui manie l’ironie avec ses interlocuteurs à la manière de ce que font les chats avec les souris, est donc triplement chef. « Un chef, ça se respecte ! » martèle Denis Sassou Nguesso au cours de l’entretien qui suit. Sans doute. À deux conditions cependant. Qu’il inspire le respect de ses collaborateurs à les observer, c’est ici une évidence. Et qu’il se fasse respecter de ses concitoyens en se souciant d’eux ce qui, tout au moins à l’entendre, est heureusement le cas. Mais a besoin chaque jour d’être démontré.

Jeune Afrique/l’intelligent : Il y a quelques semaines, en guise de cadeaux de fin d’année, les Congolais ont eu droit à des bonnes nouvelles en cascade : accord avec le FMI, rééchelonnement d’une bonne partie de la dette publique, prêts de la BAD et de la Banque mondiale… À quoi est due cette soudaine embellie ?
Denis Sassou Nguesso : Il ne s’agit pas de cadeaux, mais du résultat de négociations menées avec des institutions financières, dont les conditions sont souvent draconiennes. Depuis la fin de la guerre civile, en octobre 1997, jusqu’à maintenant, notre programme de reconstruction s’est fait vaille que vaille, avec nos ressources propres, sans l’aide de quiconque. Impossible d’aller plus loin cependant sans réduire le poids de la dette et impossible d’atteindre cet objectif sans être éligible à l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés. Les négociations en ce sens ont duré vingt-cinq mois.

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J.A.I. : Avec, sur la fin, un coup de pouce de Jacques Chirac.
D.S.N. : Nous avons bénéficié de la compréhension de nos partenaires, ce qui n’a rien à voir avec une quelconque complaisance. La France, comme d’habitude, est au premier rang de ceux qui nous comprennent. Sa solidarité nous a été particulièrement précieuse lorsqu’il s’est agi de régler les arriérés dus à la Banque africaine de développement ou de renégocier notre dette devant le Club de Paris.

J.A.I. : La voie est donc ouverte pour que le Congo bénéficie enfin de l’initiative PPTE. Ce sera chose faite en 2005 ?
D.S.N. : Le point de décision sera atteint en juin, avec de premières retombées positives dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. À condition, bien sûr, que nous sachions maintenir le cap. On a vu des pays comme le Cameroun en arriver au point d’achèvement de l’initiative PPTE et se trouver brusquement renvoyés à la case départ comme des élèves recalés à un examen. Rien n’est jamais acquis.

J.A.I. : L’allocution que vous avez prononcée, lors de la cérémonie des voeux aux forces armées, a été, cette année, pour le moins musclée : réseaux mafieux, corruption, nécessité d’une épuration, etc. Vous n’avez ménagé personne. Que se passe-t-il ?
D.S.N. : On a connu pire, vous savez, lorsque des groupes de jeunes gens en armes tiraient dans tous les quartiers de Brazzaville. Nous n’en sommes plus là, fort heureusement. Reste que nos effectifs doivent impérativement être maîtrisés : lorsqu’un bataillon reçoit du Trésor une solde pour six cents hommes alors qu’il en compte en réalité cent de moins, il y a problème. J’ai donné trois mois, jusqu’à fin mars, pour en finir avec ces systèmes mafieux.

J.A.I. : Pourquoi en est-on encore là ? Est-ce un héritage du temps des milices ?
D.S.N. : En octobre 1997, il n’y avait plus ni armée, ni gendarmerie, ni police au Congo. Il a fallu tout reconstruire, y compris les textes organiques qui régissent la force publique. Croyez-vous que cela se fasse en un tour de main ? Nous avons dû réinsérer les miliciens, nous avons dû reforger une armée éclatée entre ceux qui s’étaient battus à nos côtés, les partisans de Pascal Lissouba et ceux qui se sont un moment laissés tenter par l’aventure du pasteur Ntoumi. Il fallait mettre de l’ordre dans tout cela, sans pour autant bénéficier d’un appui extérieur massif du type de celui que les Britanniques ont accordé à la Sierra Leone. Je ne dis pas que notre réussite a été totale, mais des progrès sensibles ont été réalisés. Il faut les consolider. D’où mon rappel à l’ordre.

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J.A.I. : « Les hommes de troupes », avez-vous dit, « font aussi partie des pauvres ». Ceci n’explique-t-il pas cela ?
D.S.N. : Sans doute. Parmi d’autres catégories, les soldats font partie de ces trop pauvres dont le niveau de vie doit impérativement être relevé et dont l’entretien revient exclusivement à l’État. Cela est prévu dans le cadre des financements dont nous allons disposer pour la lutte contre la pauvreté.

J.A.I. : Manifestement, la question sociale vous inquiète. Dans vos voeux à la nation, vous l’avez qualifiée de « lancinante, multiforme, plurielle, sensible et délicate ». Cela fait beaucoup de qualificatifs…
D.S.N. : J’aurai pu encore en rajouter, car tous les secteurs de notre vie publique sont concernés. La famille, bien sûr, l’école, la rue, la délinquance, le banditisme : tout s’enchaîne lorsque le front social est enfoncé. Dans un pays comme le nôtre, où toutes les armes de guerre n’ont pas encore été ramassées, c’est même la paix tout court qui est en jeu. Les couches fragiles de la société sont une proie facile pour les démagogues, les populistes, les marchands d’illusions et tous ceux qui rêvent de manipuler les foules pour les lancer à l’assaut de l’État. Dans pareille aventure, un pays ne peut que sombrer.

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J.A.I. : Qu’avez-vous donc à dire aux jeunes chômeurs, aux retraités privés de pension, aux licenciés sans indemnités. Que 2005 sera meilleure que 2004 ?
D.S.N. : Oui, je le pense. Pour la première fois, fin 2004, les fonctionnaires ont reçu, outre leurs salaires habituels de novembre et décembre, un mois supplémentaire d’arriérés dus par l’État. L’effort a été considérable : 55 milliards de F CFA au total. Un gouvernement qui pose ce type d’acte n’a pas l’intention de s’arrêter en chemin. Mais chacun doit comprendre que, sans une remise en ordre de notre économie sur des bases saines, aucun vrai progrès n’est possible. Il fallait reconstruire les fondations de la maison Congo et ne pas bâtir sur du sable. Nous y sommes presque parvenus.

J.A.I.: Le Congo a perçu, en 2004, 136 milliards de F CFA de surplus pétrolier par rapport aux recettes prévues. Où est passé ce bonus ?
D.S.N. : Pour moitié à la couverture d’une partie de notre déficit budgétaire et pour moitié au remboursement de la dette extérieure. Cela fait partie de la remise en ordre, sans laquelle il serait chimérique de vouloir réduire la pauvreté.

J.A.I. : Tout de même. Il y a au Congo de l’argent, mais trop inégalement réparti. L’enrichissement ostentatoire, parfois illicite de certains, pose problème. Comptez-vous mettre de l’ordre, aussi, en ce domaine ?
D.S.N. : Écoutez : la richesse produite au Congo est tout entière contenue dans son budget, auquel chaque élu du peuple a accès pour vérification et approbation – ou refus. Il n’existe aucune répartition occulte de l’argent public. Tout est transparent. Maintenant, qu’il y ait ici ou là des corrompus et des corrupteurs, c’est une évidence. Au Congo comme en France ou ailleurs. Le scandale Enron n’a pas eu lieu à Brazzaville, que je sache. En ce qui nous concerne, si ces pratiques existent, nous ne les tolérons pas. Sinon, pourquoi aurions-nous mis en place une commission de lutte contre la corruption ?

J.A.I. : Pourquoi le Congo importe-t-il encore l’essentiel de ce qui le nourrit ? L’autosuffisance alimentaire était pourtant l’un des grands projets de Sassou I…
D.S.N. : L’une des particularités des Congolais est apparemment de tout détruire pour tout recommencer de zéro et cela de façon cyclique. Eh bien, nous recommençons. Le secteur agricole se réveille, des fermes se recréent autour de Brazzaville. Nous redémarrons.

J.A.I. : Lors de la dernière campagne présidentielle, en 2002, vous avez pris douze grands engagements devant les Congolais. Où en êtes-vous de ces promesses ?
D.S.N. : Elles sont toutes en voie de concrétisation. La paix et la sécurité, par exemple : par rapport à la situation qui prévalait ici entre 1990 et 1999, beaucoup de choses ont changé et se sont améliorées, c’est indéniable. La distribution de l’eau et de l’électricité : des actions sont en cours, forages, centrales thermiques, barrages, groupes électrogènes de substitution, etc. C’est vrai, les gens attendent et parfois se désespèrent face aux délestages et aux coupures d’eau dont ils ne voient pas la fin. Sans doute n’avons-nous pas assez – ou mal – communiqué à ce sujet. Mais il faut savoir d’où nous venons : en octobre 1997, il n’y avait à Brazzaville ni eau, ni électricité, ni marchés, ni banques, ni commerces, ni système scolaire, ni administration, rien. Encore une fois, de la rénovation du port de Pointe-Noire à la construction de l’aéroport d’Ollombo, tout ce qui a été réalisé ici depuis sept ans s’est fait sans aide extérieure.

J.A.I. : Revenons à la sécurité. Il ne se passe pratiquement pas de mois sans que le train qui relie Brazza à Pointe-Noire via la région du Pool soit victime de braquages de la part de miliciens se réclamant du pasteur Ntoumi. Or cette voie ferrée est vitale pour l’économie du Congo…
D.S.N. : Il s’agit là de banditisme résiduel. Le Pool n’est plus en guerre. Ce monsieur Ntoumi ne vit pas au maquis, mais à Vinza, chez lui, au milieu de ses adeptes. Il n’est pas hors la République. Pour le reste, il est vrai que nous ne sommes pas encore parvenus à ramasser toutes les armes en circulation, mais rappelez-vous que le Congo a connu une guerre civile. Certains pays de la région, qui n’ont pas vécu une telle épreuve, ont quand même leurs coupeurs de routes et autres bandits de grand chemin.

J.A.I. : S’il n’est pas au maquis, Ntoumi reste tout de même en dissidence. Pourquoi, malgré l’accord de paix signé avec lui en mars 2003, n’est-il toujours pas venu à Brazzaville ?
D.S.N. : Cela ne dépend que de lui. De son côté, le gouvernement a rempli la totalité de ses engagements. Qu’il se rende à Brazzaville ou qu’il demeure dans son village, nul ne touchera à un seul de ses cheveux. À Vinza, il y a d’ailleurs des policiers et des militaires, comme partout ailleurs au Congo. Personne ne le dérange.

J.A.I. : L’insécurité n’avait pas permis que se tiennent les législatives dans une partie du Pool. Quand comptez-vous les organiser ?
D.S.N. : Nous créerons les conditions pour que ces législatives partielles se déroulent cette année, en 2005. Les villages se sont repeuplés, un recensement aura lieu, et tout rentrera dans l’ordre.

J.A.I. : Le temps est donc révolu où des bandes armées d’ex-miliciens Ninjas pouvaient s’infiltrer de nuit dans des quartiers de la capitale et y semer la panique ?
D.S.N. : Tout à fait. Ce type de projet n’aurait aucune justification politique, encore moins aujourd’hui qu’hier. Je ne pense pas que quiconque y songe encore.

J.A.I. : Le Parti congolais du travail, votre parti, vient de fêter ses 35 ans. Ses structures, sa dénomination même qui rappelle une autre époque, celle du marxisme-léninisme, ne sont-elles pas obsolètes ? Ne convient-il pas de le rénover ?
D.S.N. : Une réflexion en ce sens est en cours, qui devrait déboucher sur une refondation du PCT. Les militants en débattent de façon démocratique. Le parti doit coller à la réalité et s’adapter au changement. Si cela passe par une modification de nom, pourquoi pas ?

J.A.I. : L’affaire des disparus du Beach a connu une évolution qui vous est favorable puisque la cour d’appel de Paris a en quelque sorte renvoyé le dossier à la justice congolaise. La balle est donc dans votre camp…
D.S.N. : La cour d’appel de Paris a dit le droit, je ne peux que m’en féliciter. Le dossier sur cette affaire est ouvert à Brazzaville. Une instruction est en cours, et j’invite tous ceux qui détiennent ou disent détenir des informations à ce sujet à venir les présenter. Un procès se tiendra dans les règles de l’art.

J.A.I. : Sans pressions ?
D.S.N. : Bien évidemment. Nos magistrats agissent en toute indépendance.

J.A.I. : Vous dites donc aux témoins et aux parents de disparus qui se trouvent actuellement en France : revenez, vous bénéficierez de toutes les garanties…
D.S.N. : Tout à fait. S’ils ne venaient pas déposer leur part de vérité devant le tribunal, ce serait regrettable. Je les invite, c’est le moment ou jamais, qu’ils s’expriment !

J.A.I. : Et s’ils ne viennent pas ?
D.S.N. : Ils donneraient alors l’impression de participer à une sorte de manipulation, ce que, j’imagine, ils ne souhaitent pas.

J.A.I. : L’affaire des disparus connaîtra-t-elle son épilogue judiciaire, tout au moins à Brazzaville, en 2005 ?
D.S.N. : Absolument. Sans aucun doute.

J.A.I. : Votre prédécesseur, Pascal Lissouba, a quitté Londres pour se réinstaller à Paris. Avez-vous des contacts avec lui ?
D.S.N. : Non. Pas de contacts directs.

J.A.I. : Et Bernard Kolélas ? On le dit également à Paris…
D.S.N. : Oui. À Paris ou ailleurs, peu importe. Il est forcément quelque part.

J.A.I. : L’un et l’autre ont été condamnés au Congo. Le temps n’est-il pas venu d’une amnistie générale dans laquelle ces personnalités seraient incluses ?
D.S.N. : Il faut laisser le temps au temps. Les procès qui ont eu lieu ici concernant Lissouba et Kolélas n’ont pas été des fabrications du pouvoir, en aucun cas. Les dossiers des parties civiles sont au tribunal, vous pouvez les consulter. Qu’il s’agisse des atteintes aux droits de l’homme s’agissant de Kolélas ou du scandale Oxy qui concerne Lissouba, les pièces à conviction sont là. Prenez le cas du premier : des témoins sont venus raconter les tortures qu’ils avaient subies dans ses geôles privées. Nul ne les a forcés en cela – je connais d’ailleurs un colonel qui a, lui, refusé de témoigner contre Kolélas bien que sa femme l’y ait encouragé. C’est son droit, personne ne l’a inquiété. Quant au cas du second, c’est une affaire connue de tous. C’est trop facile de jouer éternellement les victimes sans faire un minimum d’autocritique ni demander pardon au peuple. Cela dit, si l’on doit discuter pour revenir à une situation autre, tout est envisageable, pourvu que l’autre partie fasse preuve d’un peu d’humilité et de modestie. Je suis persuadé que le temps fera son oeuvre.

J.A.I. : Vous suivez évidemment l’évolution de la situation intérieure en Côte d’Ivoire. Parlons clairement : Alassane Ouattara doit-il être éligible à la présidence de la République ?
D.S.N. : Il ne s’agit pas de lui ou d’un autre. De Marcoussis à Accra III, l’orientation a toujours été de faire en sorte que ceux des dirigeants ivoiriens qui souhaitent se présenter à l’élection présidentielle ne rencontrent pas d’obstacles. Il faut sortir de l’impasse dans laquelle nous avons tous été enfermés par l’article 35 de la Constitution. Je crois avoir été clair.

J.A.I. : La Centrafrique connaît un processus préélectoral chaotique : qui est responsable ?
D.S.N. : Ce pays a connu, en novembre, un référendum constitutionnel qui s’est remarquablement bien déroulé. Vote massif en faveur du oui, participation massive, climat d’apaisement, bref, un galop d’essai réussi. Et puis, il y a cette décision de la Cour constitutionnelle sur les candidatures, un faux pas, une sorte de couac. Aidons les Centrafricains à dépasser tout cela. Si les voisins de ce pays, dont le Congo, ont appuyé le processus en cours en permettant à l’État de payer ses fonctionnaires, c’était dans une perspective précise : l’élection présidentielle. Sinon, le cercle vicieux qui veut qu’en Centrafrique les problèmes sociaux rejoignent la rue, puis l’armée, va de nouveau s’imposer.

J.A.I. : Vos relations avec la République démocratique du Congo, le grand pays d’en face, n’ont jamais été simples. Où en êtes-vous ?
D.S.N. : Nos relations sont bonnes, en dépit de ce qu’en dit parfois la presse de Kinshasa. À croire ces gazettes, que personne ne prend au sérieux ici, chaque jour des bataillons partent de Brazzaville pour tenter de renverser le président Kabila ! Du pur fantasme…

J.A.I. : Il y a eu pourtant, en mars 2004, une tentative de coup d’État sur laquelle la lumière n’a jamais été faite. On a voulu vous y impliquer, avec des militaires ex-mobutistes réfugiés au Congo…
D.S.N. : Ne vous laissez pas abuser par les rumeurs et les intoxications. Le président Kabila et les quatre vice-présidents sont régulièrement mes hôtes à Brazzaville. Croyez-vous qu’il en serait ainsi si cette affaire avait la moindre réalité ?

J.A.I. : On dit aussi que vous auriez une préférence pour le vice-président Jean-Pierre Bemba.
D.S.N. : C’est ce que dit la rue, et cela ne repose sur rien. Ce sont les Congolais qui éliront leur président, pas moi. Pensez-vous réellement que j’aie une telle influence sur l’électorat d’un pays qui n’est pas le mien ? Soyons sérieux et évitons de perdre notre énergie à commenter des ragots.

J.A.I. : Ce qui est sûr, en revanche, c’est que vous vous êtes réconcilié avec le président rwandais Paul Kagamé, lequel était votre invité aux festivités du 15 août 2004. Or le même Kagamé vous accusait il y a peu d’abriter chez vous des miliciens Interahamwes…
D.S.N. : Écoutez, Interahamwes ou non, ces Rwandais sont venus au Congo sous Lissouba et je les y ai trouvés en arrivant. Croyez-vous qu’il était facile de les renvoyer chez eux ? Lorsqu’on nous a signalé la présence parmi eux de deux présumés génocidaires, eh bien nous les avons arrêtés et remis au Tribunal pénal international pour le Rwanda d’Arusha. Les autres sont de simples réfugiés, des gens du peuple, des Hutus dont on ignore s’ils ont été ou non Interahamwes. Le ministre rwandais des Affaires étrangères, lorsqu’il est venu ici, leur a d’ailleurs rendu visite. Le malentendu, si malentendu il y a eu, est dissipé.

J.A.I. : Votre rapprochement avec Paul Kagamé n’inquiète-t-il pas Joseph Kabila ?
D.S.N. : Non. Pourquoi donc ? Je suis le président en exercice de la Communauté des États de l’Afrique centrale. Le Congo n’a de contentieux avec personne et discute avec tout le monde, il a la prétention d’être une passerelle utile. Ni plus ni moins. Et puis, Kagamé et Kabila discutent ensemble de leurs problèmes, ils n’ont pas besoin de moi pour cela.

J.A.I. : Toujours au chapitre des rumeurs : on parle d’une rivalité, en matière de leadership, entre vous-même et votre gendre, le président Bongo Ondimba.
D.S.N. : Pure invention de journalistes. Il n’y a rien de tel.

J.A.I. : Vous êtes à la fois chef d’État et chef traditionnel. Est-ce cela, la différence entre un président africain et un président européen ?
D.S.N. : Je ne vois pas où est la différence. En Europe, le président est élu, les députés aussi. Il y a un gouvernement et un pouvoir judiciaire. Tout comme au Congo. Les institutions sont les mêmes.

J.A.I. : Sans doute, mais le mythe, la révérence et la déférence qui entourent les chefs d’État en Afrique n’ont que peu de choses à voir avec ce qui se pratique en la matière ailleurs.
D.S.N. : Et alors ? Pensez-vous qu’insulter son chef à chaque carrefour est une bonne chose ? Croyez-vous qu’il soit convenable que le petit magistrat du coin puisse venir frapper à la porte du président afin de le convoquer ? En Afrique, nous n’aimons pas cela, nous n’admirons pas cela. Les Français sont fiers de Napoléon, ils n’ont pas rasé le château de Versailles et, pourtant, certains vont jusqu’à calculer les frais de bouche de leur chef d’État ! Nos valeurs à nous font qu’un chef, cela se respecte. En ce domaine, l’Afrique n’imitera jamais l’Europe, soyez-en sûr.

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