Mondial 2018 – Racisme : en Russie, « les supporters continuent à viser les joueurs noirs avec des cris de singe »

Le racisme prospère dans les stades russes et inquiète la planète football à quelques heures du coup d’envoi de la Coupe du monde 2018. Témoignages et analyse.

Des supporters russes dans le stade Luzhniki à Moscou, lors du match entre la Russie et le Brésil, le 23 mars 2018. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

Des supporters russes dans le stade Luzhniki à Moscou, lors du match entre la Russie et le Brésil, le 23 mars 2018. © Alexander Zemlianichenko/AP/SIPA

Publié le 13 juin 2018 Lecture : 5 minutes.

La Russie, pays organisateur du Mondial 2018, dont le match d’ouverture opposera la sélection russe à l’Arabie Saoudite le 14 juin, fait face à deux dangers à l’aune de sa Coupe du monde. Le plus anecdotique est sportif. La Sbornaya, le surnom de l’équipe nationale, court le risque d’une élimination précoce, tant ses résultats récents sont médiocres. Une sortie de route dès la phase de poule serait un véritable camouflet pour le chef de l’État, Vladimir Poutine, qui veut profiter de l’événement le plus suivi à la télévision à travers le monde, pour faire briller le blason russe.

La seconde menace qui pèse sur la Coupe du monde prête moins à sourire. De nombreuses délégations étrangères craignent des actes de racisme à leur encontre et même des menaces physiques dans le pire des cas. Les nombreux incidents, qui se sont produits ces dernières années dans les stades russes, ont en effet de quoi jeter un coup de froid.

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Lors de match amical opposant la France et la Russie à Saint-Pétersbourg le 28 mars dernier, l’attaquant des Bleus, Ousmane Dembélé a été ciblé par des cris de singe à deux reprises au moment de tirer des corners. La Fifa a ouvert une enquête. Un incident parmi des dizaines d’autres. En 2015, la star brésilienne Hulk, qui jouait alors pour le Zénith Saint-Pétersbourg, déclarait : « Je dois dire que je vois des actes de racisme se produire à quasiment chaque match ». Un phénomène qui a poussé l’international anglais Danny Rose à déconseiller à sa famille de l’accompagner au Mondial en raison du « racisme et des autres choses qui peuvent arriver ».

Une multiplication des chants racistes dans les stades

L’ONG Football against racism in Europe (Fare) a comptabilisé cette saison une hausse des chants discriminatoires envers les footballeurs africains dans les stades du pays. « Nous notons que malgré l’attention des médias et les efforts de la Fédération russe de football, les fans continuent à viser les joueurs noirs avec des cris de singe (…) Une nette augmentation du nombre de chants discriminatoires, dont des cris de singe, indique un enracinement profond du racisme et un manque d’éducation et de prévention de la part des clubs », note l’organisation dans son rapport sur la saison 2017-2018 en Russie. L’ONG a comptabilisé douze actes racistes anti-noirs autour des terrains lors des derniers mois.

Avec la chute de l’URSS et la fin de l’idéologie de « l’amitié des peuples », le racisme a commencé à se faire plus présent, notamment envers les étudiants africains

Comme l’indique le Fare, le racisme est un phénomène de grande ampleur dans le football russe. En 2012, plusieurs groupes de supporters du Zénith Saint-Pétersbourg avaient signé un manifeste nommé « Sélection-12 » dans lequel ils demandaient aux dirigeants du club de ne pas recruter de joueurs non blancs dans l’équipe. « Ils ont justifié ce texte en expliquant qu’ils voulaient s’identifier aux joueurs qui sont présents sur le terrain. C’est un discours identitaire qui est très partagé par les supporters de Saint-Pétersbourg », nous explique Ekaterina Gloriozova, spécialiste du football russe à l’Université libre de Bruxelles.

« Je n’ai jamais vu d’Africain »

Le racisme est un fléau largement répandu dans la société russe, même s’il s’exprime souvent de manière différente que dans les pays occidentaux. « Les personnes à la peau noire sont rares en Russie. Pour les gens, cela représente quelque chose d’exotique. J’ai été avec un ami africain me promener dans une ville de province et les gens disaient : ‘Est-ce que je peux faire une photo avec vous, je n’ai jamais vu d’Africain’ », confie Ekaterina Demintseva, chercheuse spécialiste des discriminations à la Higher school of economics à Moscou.

Christopher Samba a reçu deux matchs de suspension de la Fédération russe parce qu’il avait fait un doigt d’honneur aux supporters imitant des singes…

« Au début des années 1990, ajoute-t-elle, avec la chute de l’URSS, le racisme a commencé à se faire plus présent, notamment envers les étudiants africains, avec la fin de l’idéologie de « l’amitié des peuples ». L’Afrique est vue comme un autre monde, c’est l’esprit colonial. Cependant, j’observe que le racisme envers les Africains est moins fort maintenant. Les Russes s’en prennent davantage aux minorités d’Asie centrale, qui constituent une main-d’œuvre sans droits et sont jugés par les locaux comme une menace parce qu’ils sont musulmans ».

Le footballeur congolais Christopher Samba (Dinamo Moscou, dr.) célèbre la victoire de son club à l'Europa League face à Anderlecht, le 26 février 2015. © Pavel Golovkin/AP/SIPA

Le footballeur congolais Christopher Samba (Dinamo Moscou, dr.) célèbre la victoire de son club à l'Europa League face à Anderlecht, le 26 février 2015. © Pavel Golovkin/AP/SIPA

Le footballeur Christopher Samba a vécu ce genre de discriminations. Cet international congolais, qui a évolué dans le championnat local, a été victime à plusieurs reprises d’insultes racistes. Un jour, des fans du Lokomotiv Moscou lui ont envoyé des bananes sur la pelouse. Lors d’un autre match, les supporters du Torpedo Moscou imitaient des cris de singe dès qu’il touchait le ballon. En réponse, Christopher Samba leur a fait un doigt d’honneur. Réponse de la Fédération de football russe : deux matchs de suspension pour le joueur ! Ce qui en dit long sur la façon dont les instances russes combattent le racisme dans les stades.

Il n’y a pas de racisme en Russie car cela n’existe pas, a déclaré celui qui est aujourd’hui chargé de la lutte contre les discriminations et le racisme au Mondial

L’inspecteur chargé de la lutte contre les discriminations et le racisme pour la Coupe du monde, l’ancien joueur Alexei Smertin, avait même déclaré avant de prendre son poste : « Il n’y a pas de racisme en Russie, car cela n’existe pas ». Christopher Samba n’est évidemment pas du même avis : « En Russie, il y a quand même beaucoup plus de racisme qu’autre part (…) Si j’évite de trop sortir avec ma femme et mes enfants, c’est par rapport aux regards des gens. Je n’ai pas envie qu’on me regarde comme ça », confiait-il dans une interview accordée au magazine So Foot.

Le footballeur camerounais Samuel Eto'o et le président russe Vladimir Poutine faisant un selfie, le 1er décembre 2017. © Aleksey Nikolskyi/AP/SIPA

Le footballeur camerounais Samuel Eto'o et le président russe Vladimir Poutine faisant un selfie, le 1er décembre 2017. © Aleksey Nikolskyi/AP/SIPA

La consigne de Poutine

Un constat général qui a tout pour inquiéter les équipes africaines qualifiées pour le Mondial 2018. Même si le pouvoir russe, comme lors des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi en 2014, surveille de très près les supporters lors des grands événements sportifs. « Actuellement, les hooligans russes ne peuvent pas se rassembler dans les stades. Vladimir Poutine centralise le pouvoir autour de lui en Russie et il procède avec les groupes de supporters de la même façon qu’il le fait avec les oligarques : ceux qui ne lui font pas allégeance sont envoyés en prison ou assignés à résidence. Les groupes de hooligans qui sont liés à lui se tiendront à carreau pendant la Coupe du monde, car c’est la consigne », dit Lukas Aubin, chercheur en géopolitique à l’université de Nanterre et auteur de Quel sport power pour la Russie ?

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Le match d’ouverture entre la Russie et l’Arabie Saoudite sera un premier test concernant le comportement des fans du pays organisateur. Une défaite de la Sbornaya ferait couler des larmes sur les joues des Russes. Des insultes racistes en feraient couler dans le monde entier.

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