Transactions sans frontières

En l’espace de dix ans, la société de transferts financiers est devenue une référence en Afrique et dans le monde.

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 7 minutes.

Qui, aujourd’hui en Afrique, ne connaît pas Western Union ? En l’espace de dix ans, cette société de transferts financiers est devenue une référence sur le continent et dans nombre de régions en développement. « Western Union, c’est 200 000 agences à travers le monde, soit trois fois le nombre de McDonald’s, Burger King, Walmart, Kmart, Sears et Starbucks réunis », proclame fièrement le site Internet. Filiale de First Data Corporation (spécialisée dans les services de paiement) depuis 1994, Western Union détient un des plus grands réseaux au monde pour le transfert d’argent. Elle assure l’envoi et la réception d’espèces, le règlement de factures et d’achats ainsi que la transmission de télégrammes – le produit historique de Western Union.
Créée en 1851, sous le nom de New York and Mississippi Valley Printing Telegraph Company, la société devient la Western Union Telegraph Company en 1856 après la fusion des lignes télégraphiques entre l’ouest et l’est du pays. En 1871, elle lance le transfert d’argent pour le marché nord-américain. Ce n’est qu’en 1989 qu’elle étend ses services à l’étranger. En 1994, la première agence ouvre en Chine, en 1995 en Afrique, au Ghana. Dès lors, la progression est fulgurante. Elle acquiert la firme Orlandi Valuta, leader du transfert d’argent au Mexique en 1997, et, six ans plus tard, elle devient actionnaire majoritaire de Eposs, firme britannique spécialisée dans le paiement électronique pour les téléphones portables. Le nombre d’agences explose : 50 000 en 1998, 140 000 en 2001 et 202 000 en 2004, établies dans 195 pays. Le chiffre d’affaires atteint 3,6 milliards de dollars en 2003, soit 15 % de plus que l’année précédente. À l’international, la croissance enregistre même un bond de 24 %. De nouveaux produits sont développés, comme le transfert d’argent liquide vers un compte en banque plutôt qu’à un particulier. Ce service existe déjà aux États-Unis et dans certains pays européens, et sera prochainement disponible en Afrique. Il permettra par exemple à une personne en France d’utiliser Western Union pour déposer de l’argent sur son compte bancaire au Sénégal. C’est « une façon d’aider les Africains qui veulent épargner en prévision de la retraite ou, par exemple, d’un achat immobilier », indique la société. Le produit phare reste cependant le transfert d’espèces de particulier à particulier. Le service est rapide et simple puisqu’il suffit de se munir d’une pièce d’identité lors de l’envoi et de la réception. En quelques minutes l’argent est disponible chez le receveur, même s’il se trouve à l’autre bout de la planète.
Le modèle fonctionne à merveille dans les pays en développement, et notamment en Afrique, où le taux de bancarisation est très faible. Western Union travaille dans 44 pays africains, et fête, en 2005, ses dix ans de présence sur le continent. Pour des « raisons de concurrence », Western Union refuse de publier des informations détaillées par pays ou région, mais indique cependant que si l’Europe et l’Amérique du Nord sont les premières régions émettrices, l’Afrique arrive en seconde position après l’Amérique latine en termes de réception. « Le marché se développe rapidement. Les flux intercontinentaux, notamment avec l’Asie, mais aussi les flux interafricains progressent, surtout en Afrique de l’Ouest. Une tarification spéciale est en vigueur dans la zone CFA », indique Hervé Chomel, ex-directeur Afrique de Western Union, nommé à d’autres fonctions au 1er janvier.
En Afrique comme ailleurs, l’avenir est prometteur, déclare Danielle Pereira, directrice de la communication de First Data. « Notre objectif est d’atteindre entre 300 000 et 500 000 agences. Il y a 175 millions d’immigrants dans le monde, et les transferts financiers liés à cette population sont estimés à plus de 100 milliards de dollars par an. Aujourd’hui, Western Union représente 14 % de ce marché. Nous avons encore une marge de développement importante. » D’autres opérateurs se disputent cependant cette clientèle. « Notre principal concurrent, c’est l’informel ainsi que les autres sociétés de transferts financiers », indique Hervé Chomel. Parmi ces dernières, MoneyGram, créée aux États-Unis en 1988. Très présente à l’international, notamment dans les pays du Sud, elle a conclu des partenariats avec des établissements bancaires, comme la Caisse d’épargne en France. C’est le principal rival de Western Union. Viennent ensuite Travelex, PayPal, Money Express – une entreprise sénégalaise créée en 2002 -, ainsi qu’une multitude de petites sociétés. Toutes proposent le même type de produit, mais leur réseau d’agences est beaucoup plus restreint.
Western Union reste leader du secteur. Ils sont 24 millions à l’avoir utilisé (en tant qu’émetteur ou receveur) en 2003. À l’agence du boulevard Magenta, dans le nord de Paris, se pressent des gens de toutes origines. Dans les files d’attente, certains comptent et recomptent des liasses de billets. Au mur, des grilles de tarifs et des affiches en français, arabe, espagnol et turc. On y voit un ouvrier de chantier et son fils écolier, sourire aux lèvres. Un jeune homme studieux et sa famille africaine restée au pays. Partout, le même slogan : « Avec Western Union, j’envoie beaucoup plus que de l’argent. »
Maria, une Colombienne de 45 ans, utilise Western Union pour la première fois. D’habitude, elle passe par des réseaux informels ou des amis pour envoyer de l’argent au pays. Mais cette fois-ci, elle est dans une situation urgente et Western Union lui semble être la « meilleure solution ». À côté d’elle, Ibrahim Sylla, un jeune Ivoirien émigré en France il y a trois ans, est un habitué. Chaque mois, il expédie environ 150 euros à ses parents restés à Abidjan. Il est gardien de sécurité et avoue qu’« il doit se serrer la ceinture », car pour chaque envoi, il paye une commission de 19 euros. « C’est très cher, mais on n’a pas le choix », lâche-t-il. Mohamed, un Marocain originaire de Berkane, est plus remonté : « C’est vraiment une arnaque ! » s’exclame-t-il, après s’être acquitté de 42 euros de frais en plus des 750 euros qu’il a envoyés, pour la fête de l’Aïd, à sa famille au Maroc. « Ils ont court-circuité la Poste, poursuit-il. Avant que Western Union ne conclue un partenariat avec elle, les mandats étaient beaucoup moins chers ! » Debout, au milieu de la pièce, vêtu du blouson jaune de la société, Murat est sollicité de toutes parts. « Nous avons des personnes de toutes les nationalités ici, explique-t-il, mais les plus nombreux sont les Turcs. » Lui-même originaire de Turquie, il a été embauché pour accueillir les clients et aider ses compatriotes à remplir les formulaires, car la plupart ne parlent pas français. Orhan est l’un d’eux. Il travaille en France depuis deux ans, dans une entreprise de bâtiment. Sa femme et ses enfants sont en Turquie, et il leur envoie entre 2 000 et 3 000 euros tous les deux mois. Il est satisfait du service et estime que les frais « ne sont pas trop élevés ». Il faut dire que les tarifs sont dégressifs. La commission est de 10 euros pour un transfert de 50 euros, soit 20 % du montant, mais seulement de 50 euros pour un envoi de 1 000 euros, soit 5 %. La grande majorité des transactions ne dépassant pas les 300 euros, le modèle est vite rentable.
D’autant plus que les agents Western Union (banques et bureaux de poste pour la plupart, mais aussi petits commerces et supermarchés) ne sont pas des salariés de la société, mais sont rémunérés sur la base de commissions. Est-ce là une porte ouverte à la corruption et aux trafics en tout genre, comme le prétendent certains ? Dans le Wall Street Journal du 20 octobre, Glenn R. Simpson indiquait notamment que certains membres de l’administration américaine et israélienne au Moyen-Orient soupçonnaient des agents de Western Union de financer des organisations terroristes palestiniennes. Interrogée par J.A.I., la société répond n’avoir jamais été contactée par l’État américain ou israélien à ce sujet. Elle précise également que tous ses prestataires ont une licence et se conforment aux lois antiblanchiment en vigueur.
Cela étant, les détournements existent. En 2000, Carlos Rivera, un agent Western Union, était arrêté à Philadelphie et inculpé pour avoir transféré, entre 1998 et 2000, 300 000 dollars d’argent sale dérivé du trafic de drogue vers la République dominicaine. L’instruction est toujours en cours. De même, en mars 2003, Western Union a dû s’acquitter de 11 millions de dollars d’amende aux autorités fédérales américaines. Aux États-Unis, le « Bank Secrecy Act » précise que toutes les transactions provenant d’une même personne et qui totalisent plus de 10 000 dollars dans la même journée doivent être déclarées aux autorités. Or Western Union s’y conformait en partie seulement, car les envois effectués par la même personne, le même jour, mais depuis différentes agences n’étaient pas pris en compte. Reste que, d’une manière générale, la société collabore volontiers avec les gouvernements. En France, par exemple, elle rapporte à Tracfin (l’organisme chargé de la lutte contre le blanchiment d’argent) tout mouvement de fonds jugé suspect.
Le principal avantage de Western Union est la sécurité de la transaction. C’est une incitation forte pour les migrants à rapatrier des capitaux. D’ailleurs, ces fonds intéressent de plus en plus les pays d’origine tout comme les pays développés, les premiers pour l’apport à l’investissement national qu’ils peuvent constituer, les seconds comme complément de l’aide publique au développement. En juin 2004, à Sea Island, les pays du G8 ont rappelé l’importance de ces transferts et insisté sur la nécessité de développer des moyens de les encourager.

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