Quand Davos découvre Porto Alegre

Cette année, au Forum économique mondial, on a parlé pauvreté, sida et Afrique. Et donné dans l’humanitaire. Une fois n’est pas coutume.

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Wangari Maathai, lauréate du prix Nobel de la paix 2004, a préféré se rendre au Forum économique mondial, qui s’est réuni du 26 au 30 janvier, à Davos, plutôt que de s’exprimer devant les militants du Forum social de Porto Alegre, au Brésil. La présence de la Kényane dans les Alpes suisses symbolise le changement de cap opéré par une institution considérée à ce jour comme la voix du capitalisme sauvage.
À Davos, cette année, on aura parlé pauvreté, sida et Afrique, selon la volonté des 2 250 participants. Une grande première pour cette assemblée composée majoritairement d’hommes d’affaires habitués, en d’autres temps, à disserter sur les nouvelles technologies ou la libéralisation de l’économie. Aujourd’hui, surfant sur l’effet tsunami, les grandes sociétés donnent dans la conscience sociale (les firmes américaines ont versé plus de 200 millions de dollars aux sinistrés d’Asie, et plusieurs entreprises européennes se sont fendues de dons de plus de 1 million chacune). Et ont tenu à le faire savoir, histoire de ravir la vedette à Porto Alegre, qui, depuis 2001, diabolise les grands de ce monde.
Le premier ministre britannique Tony Blair, l’invité d’honneur, a enjoint à ses homologues occidentaux d’adhérer à son « plan Marshall » pour l’Afrique (lire pp. 90-93). Dans sa croisade pour le développement, il a été jusqu’à exhorter les États-Unis à « prendre part à l’ordre du jour du reste du monde » et a provoqué Washington sur la question des émissions de gaz à effet de serre. Jacques Chirac a même honoré l’invitation des organisateurs, qu’il déclinait depuis six ans, même si les mauvaises conditions météo l’ont contraint à faire son intervention par visioconférence. Le président français ne pouvait manquer l’occasion de prolonger la petite lutte d’influence avec Londres sur les meilleures solutions pour le développement de l’Afrique. Il a donc réitéré sa proposition d’instaurer une taxe internationale pour financer la lutte contre la pauvreté et reçu le soutien du milliardaire et philanthrope américain George Soros. Le rôle d’arbitre reviendra sans doute aux États-Unis, qui peuvent s’estimer heureux que la question irakienne n’ait pas du tout été évoquée.
Davos 2005 aura donc tranché singulièrement avec les précédentes éditions. Pourtant, en 2001, lors du premier Forum, Klaus Schwab, le fondateur, annonçait que Davos voulait « améliorer le monde ». Las ! Au cours des trois grand-messes suivantes, il ne sera encore question que de croissance et de sécurité. Tout au plus mentionnait-on du bout des lèvres la question de la pauvreté sous l’angle inquiétant des hordes de miséreux susceptibles de venir grossir les rangs des terroristes. Les scandales d’Enron et de Worldcom viendront définitivement troubler la tranquillité des montagnes suisses et convaincre les patrons que le mépris et l’arrogance ne sont plus de mise dans le nouveau monde et qu’il fallait, au moins en apparence, se soucier de la misère des autres.
De club privé, Davos est devenu, au fil des ans, un centre d’influence où l’on n’invite plus seulement les chefs des entreprises les mieux cotées en Bourse, mais aussi ceux qui comptent. On a pu y croiser Bill Clinton, le nouveau président ukrainien Victor Iouchtchenko, la comédienne française Carole Bouquet, ou encore le chanteur Bono du groupe U2. Outre la Kényane Wangari Maathai, l’Afrique a dépêché, entre autres, Thabo Mbeki, Olusegun Obasanjo et le chanteur sénégalais Youssou Ndour.
Même si l’on peut craindre que les déclarations des élites sur la nécessité de partager – un peu – leur richesse restent lettre morte, les effets de Davos pourraient bien se faire ressentir a posteriori sur un autre terrain que celui du développement de l’Afrique. N’est-ce pas dans les couloirs feutrés des hôtels de la station suisse que la guerre entre la Grèce et la Turquie a été évitée en 1988, ou que Frederik De Klerk et Nelson Mandela se sont rencontrés en 1992 ? Kenneth Roth, le directeur de l’influente ONG Human Rights Watch, le reconnaît : « C’est à Davos que se décide l’agenda de l’année. »

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires