Pour une Moudawana des esprits
Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 1 minute.
La Constitution de l’Union soviétique de Brejnev était la plus libérale du monde, mais, dans les faits, le pays était une dictature. À l’opposé, la reine Élisabeth dispose de pouvoirs très étendus mais elle s’abstient de les exercer, moyennant quoi son royaume est une démocratie. Tout est donc dans l’interprétation des textes et de la façon dont ils sont appliqués. Plus fondamentalement, les textes restent lettre morte s’ils ne sont pas au diapason des mentalités. La Moudawana marocaine est, de ce point de vue, un cas d’école. Il est bien beau de vouloir décourager la polygamie, par exemple, mais tant que celle-ci dépendra en dernière instance de l’approbation – ou non – d’un juge, le pays restera aussi progressiste que le plus borné de ses magistrats, et ce n’est pas peu dire. Tant qu’il y aura des dérogations à l’âge légal du mariage et tant que le rêve de tout barbon sera d’épouser une sweet sixteen, on peut être sûr que des centaines de gamines continueront chaque année de passer devant Messieurs les adouls.
Fallait-il, pour autant, « resserrer » la Moudawana en interdisant explicitement la polygamie, comme l’ont fait la Turquie et la Tunisie ? Fallait-il n’admettre aucune dérogation à ses autres dispositions ? Pas sûr. Le Maroc est au fond un pays très traditionaliste et qui se hâte lentement. Un corset trop étroit aurait étouffé le corps social et provoqué un mouvement de rejet qui aurait sans doute fait le lit des islamistes.
La Moudawana est donc un vêtement un peu lâche, qui tient compte des contorsions et des mouvements divers qui peuvent saisir un peuple à la psyché aussi complexe que l’agencement des rues de Fès. Cette djellaba des droits et des devoirs n’est en aucune façon une panacée et elle ne peut pas l’être. Ce dont le Maroc a besoin, c’est une évolution « tunisienne » des mentalités, une sorte de Moudawana des esprits qui précéderait l’inscription dans la loi de la stricte égalité de ses citoyens, hommes et femmes. On peut rêver.
