Algérie : elle voulait faire son footing, il la frappe et lui dit que « sa place est dans une cuisine »

L’agression d’une jeune joggueuse, début juin, suscite l’émoi en Algérie. Des centaines de femmes ont organisé une course, samedi 9 juin, pour dénoncer le harcèlement de rue.

Une course féminine contre le harcèlement de rue a eu lieu vendredi 8 juin 2018 à Alger. © Zahra Rahmouni

Une course féminine contre le harcèlement de rue a eu lieu vendredi 8 juin 2018 à Alger. © Zahra Rahmouni

Publié le 11 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Des centaines d’Algériennes se sont rassemblées sur le front de mer d’Alger, samedi 9 juin, pour faire un footing collectif. Elles ont répondu à des appels lancés sur les réseaux sociaux après l’agression au début du mois d’une jeune coureuse, Ryma, dont le coup de gueule a fait le tour des réseaux sociaux.

Dans une vidéo, publiée sur son compte Instagram elle lance : « Je voudrais savoir s’il est interdit qu’une fille fasse du sport une heure avant le maghrib (heure de rupture du jeûne) ? ». En pleurs, elle raconte son agression par un jeune homme qui l’aurait invectivé et frappé en lui reprochant de faire un footing pendant le ramadan alors que sa « place est dans une cuisine ».

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Inaction des forces de l’ordre

Et toi, pourquoi tu sors faire un footing maintenant ?

« Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours fait du sport toute seule avant le maghrib, poursuit-elle. Ce qui me dérange le plus, c’est que lorsque je suis allée chez les gendarmes pour me plaindre et leur indiquer comment il était habillé, ils m’ont répondu “Et toi, pourquoi tu sors faire un footing maintenant ?“», se désole la jeune fille.

Depuis la mésaventure de Ryma, des femmes excédées s’emparent des réseaux sociaux et racontent, pêle-mêle, les agressions qu’elles ont subies dans leur environnement proche, en pleine rue ou dans les transports en commun. « Tout le monde s’est senti à la place de Ryma. « On le vit au quotidien et pas seulement lors d’un footing », explique Melissa, jeune médecin qui participe à l’événement. « Les gens se permettent de faire des commentaires insensés. On ne se sent pas du tout soutenues par les policiers. Si on se plaint, il n’y a pas de réponse et c’est ça qui est encore plus déprimant », assure sa collègue Meriem, 27 ans.

Droit à l’espace public

Des influenceuses algériennes ainsi que des membres d’associations et d’ONG étaient présents au footing de vendredi dernier. L’agression de Ryma a également suscité l’émoi chez de nombreux jeunes hommes qui y ont participé aussi. « La situation se dégrade de plus en plus. La première cause c’est la frustration et le manque de communication », tente d’expliquer Amine, étudiant de 21 ans. «On peut trouver quelqu’un qui a une sœur et qui refuserait qu’elle soit agressée mais de son côté, cette même personne va agresser physiquement ou verbalement d’autres jeunes filles. J’en connais dans mon entourage », se désole le jeune homme.

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En Algérie, de nombreuses femmes, victimes d’agression ou de harcèlement ne déposent pas plainte ou abandonnent tout simplement les procédures. La faute à un environnement hostile. Dans beaucoup de cas les violences ont lieu en milieu familial et les victimes refusent d’engager des poursuites contre un proche ou un membre de la famille. Souvent, elles sont confrontées à la réticence des services de police, à l’image de la situation rapportée par la jeune Ryma ou la celle dénoncée récemment par  la youtubeuse algérienne Nahla.

Malgré l'entrée en vigueur d'une loi criminalisant la violence à l'égard des femmes, celle-ci ne dispose toujours pas librement de l’espace public . © Zahra Rahmounui

Malgré l'entrée en vigueur d'une loi criminalisant la violence à l'égard des femmes, celle-ci ne dispose toujours pas librement de l’espace public . © Zahra Rahmounui

Les femmes savent que l’accès à la justice est très difficile, donc elles s’auto-censurent

« Il y a eu des formations pour la police afin d’accueillir les femmes qui sont agressées ou violées, mais il semblerait que ce ne soit pas suffisant », souligne Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International Algérie. « Il est important qu’il y ait une enquête afin de savoir ce qu’il s’est passé à la gendarmerie quand elle a voulu déposer plainte. »

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Malgré l’entrée en vigueur d’une loi criminalisant la violence conjugale et le harcèlement de rue en 2016, la femme ne dispose toujours pas librement de l’espace public. « Nous avons tous compris que l’État algérien a adopté ce type de loi pour se mettre au diapason des conventions internationales mais il faudrait agir sur d’autres secteurs d’une extrême importance, à savoir l’Éducation », soutient Me Seddat Fetta, députée du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition) pour la wilaya d’Alger, présente lors la manifestation de soutien.

7 500 cas de violences faites aux femmes à Alger

Fadila Boumendjel-Chitour membre fondateur du réseau Wassila, qui milite pour mettre fin à la violence à l’égard des femmes, indique que lorsque les victimes sont accompagnées et assurées d’un suivi juridique à moindres frais, les demandes de prise en charge augmentent. « Il ne faut pas continuer à répéter que les femmes ne connaissent pas leurs droits. Les femmes savent que l’accès à la justice est très difficile, que souvent l’accueil dans les tribunaux est loin d’être bienfaisant, donc elles s’auto-censurent et s’évitent des violences supplémentaires », affirme cette militante de longue date.

Le réseau, qui dispose d’un centre d’écoute, a enregistré près d’un millier d’appels (dont 747 provenant de femmes ayant déjà appelé une première fois), et a reçu 250 femmes victimes dans sa permanence. Des chiffres qui restent cependant loin de la réalité puisque, rien qu’à Alger, les services de police judiciaire ont recensé 7 500 cas de violences faites aux femmes, dont 730 abandons de procédures, durant les neuf premiers mois de l’année 2017.

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