[Tribune] : Ramadan : le Coran plus « libéral » que ses interprètes !
Voilà le mois de ramadan arrivé à son terme. On sait que le vocable « ramadan », qui, dans le calendrier musulman, désigne le neuvième mois de l’année, est construit sur la racine « RMD », qui évoque la réverbération du soleil sur le sol, et donc la chaleur. Le nom est employé une seule fois dans le texte coranique (2:185), mais ce mois est aussi le seul à être cité de façon nominative.
Tribune. Pour tout musulman – et pour la plupart des non-musulmans –, le mois de ramadan évoque aussitôt l’obligation annuelle d’un jeûne diurne de trente jours, en reconnaissance du don du Coran. Un « Qur’an » (c’est-à-dire une « transmission fidèle à voix haute ») réputé avoir été révélé en une seule fois dans le cœur de Mohammed à cette période de l’année, au début du VIIe siècle de l’ère commune (plus exactement lors d’une « nuit bénie », celle du « décret »), avant d’être, par la suite, énoncé par morceaux sur quelque vingt-deux ans.
Beaucoup, en revanche, méconnaissent le fait que le jeûne rituel de ramadan n’est pas le seul jeûne prescrit par le Coran. S’intéresser à ces « autres jeûnes » apporte des éclairages riches d’enseignement, qui témoignent du lien profond qui existe entre la première énonciation coranique et le milieu humain qui a fait l’objet de cette énonciation.
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Le terme arabe désignant dans le Coran le jeûne est surtout « siyâm », utilisé douze fois, et aussi « sawm » (19:26), employé une seule fois mais justement avec une signification singulière (« s’abstenir de parler »). En dehors de la séquence de la sourate 2, qui traite du jeûne du mois de ramadan (2:183-187), les autres emplois se réfèrent presque tous à des situations où il est nécessaire que soient accomplis des actes de repentance pour compenser ou effacer de mauvaises actions, ce qui s’appelle, dans le Coran comme dans la société de l’époque de la révélation, la « kaffâra ». La racine de ce terme, « KFR », porte en elle le sens de recouvrir, et le mot « kaffâra » correspond exactement au « kippûr » hébraïque.
Jeûner ou compenser
La société de La Mecque et celle de Médine étaient des sociétés tribales obligées de composer avec un milieu naturel particulièrement hostile. Dans ce contexte, on ne pouvait pas se permettre de perdre des hommes, et tout était fait pour que le moins possible de sang humain soit versé. Dès lors, en cas de conflits entre fractions tribales, et même en cas de crimes, la compensation apparaissait préférable à la vengeance. C’est ce que montre le passage coranique de 4:92, qui a trait au meurtre non intentionnel. Sont prescrites différentes compensations possibles selon les cas, en particulier l’affranchissement d’un esclave, mais aussi l’observance d’un jeûne consécutif de deux mois quand le coupable n’a pas d’esclave à libérer.
Jeûner deux mois
Une autre injonction à jeûner deux mois se trouve en Coran 58:4, à propos de ceux qui, après avoir répudié leur épouse, font « machine arrière ». Ceux-là sont encore condamnés à affranchir un esclave, ou bien à jeûner. S’ils ne sont pas en état de jeûner, alors leur reste la possibilité de « nourrir soixante pauvres ». Dans le passage 5:89, il est question du manquement à la parole donnée. Dans ce cas, la « réparation » (« kaffâratu-hu ») peut être accomplie par un jeûne limité à trois jours (« thalâthata ayyâm »). Enfin, en Coran 33:35 est célébrée la vertu de celles et ceux (« al-sâ’imûn » et « al-sâ’imât » : féminin et masculin sont associés) qui jeûnent et font ainsi preuve de conduites sociales solidaires : une grande rétribution leur est promise dans l’au-delà.
L’instauration du jeûne du mois de ramadan en Coran 2:183-187 rejoint les habitudes des tribus arabes du VIIe siècle. De même que celles-ci avaient l’habitude de célébrer annuellement les alliances qu’elles avaient contractées oralement pour signifier qu’elles étaient toujours d’accord sur leur contenu, de même le jeûne de ramadan se présente comme une réaffirmation annuelle de l’alliance des partisans de Mohammed avec le divin. Le texte coranique fait allusion (2:183) à des jeûnes prescrits auparavant. Il peut s’agir aussi d’une évocation de la pratique juive du jeûne de Kippour (Lévitique 23:26-32) qu’observaient les tribus juives de Médine, mais qui ne dure que vingt-cinq heures.
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Même si le jeûne de ramadan est, de nos jours, observé de manière massive, chaque musulman sait que le Coran prévoit des cas de dispense, en particulier pour ceux qui sont malades, ou en voyage (ce qui, au moment de l’énonciation coranique primitive, concernait les caravaniers mobilisés par un dur travail). La plupart des fidèles, cependant, ne sont pas attentifs au fait que le verset qui fait état de ces cas (2:184) énonce également que « ceux qui sont en capacité [d’accomplir le jeûne mais qui ne le font pas pour autant] s’acquitteront d’une compensation en pourvoyant un pauvre en nourriture ». Une fois de plus, le Coran se révèle beaucoup plus « libéral » que ses interprètes !
Idée reçue
En fait, contrairement à une idée reçue et, plus encore, contrairement aux interprétations religieuses postérieures, le message coranique de la première énonciation se montre davantage incitatif que contraignant. Les sociétés tribales arabes du VIIe siècle étaient, en effet, des sociétés où peu de contraintes étaient acceptées. Pour pouvoir être reçue, la parole portée par Mohammed ne pouvait, dès lors, que « faire avec » la culture dominante des Arabes de l’époque.
Le message de la première énonciation est davantage incitatif que craingnant
C’est pourquoi le Coran dit simplement, dans ce même verset 2:184 : « jeûner est un bien pour vous : puissiez-vous le comprendre ! » Si donc l’énonciation coranique première témoigne du souci de rejoindre les gens dans leur culture propre, pourquoi devrait-il en aller autrement de nos jours ?
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