[Tribune] Deux Cameroun, deux perdants

Nul ne sait qui sortira vainqueur de la guerre entre militaires et séparatistes anglophones dans les forêts et les villages du nord-ouest et du sud-ouest du Cameroun, mais elle est bien partie pour ne faire que des perdants.

Dans une rue de Bamenda, au Cameroun anglophone (photo d’illustration). © Rbairdpcam/CC/Flickr

Dans une rue de Bamenda, au Cameroun anglophone (photo d’illustration). © Rbairdpcam/CC/Flickr

GEORGES-DOUGUELI_2024
  • Georges Dougueli

    Journaliste spécialisé sur l’Afrique subsaharienne, il s’occupe particulièrement de l’Afrique centrale, de l’Union africaine et de la diversité en France. Il se passionne notamment pour les grands reportages et les coulisses de la politique.

Publié le 20 juin 2018 Lecture : 3 minutes.

Face à une armée professionnelle et aguerrie par trois années de lutte contre Boko Haram, la myriade de bandes armées indépendantistes a peu de chances d’amputer le Cameroun d’une partie de son territoire. Le gouvernement, lui, a déjà perdu la bataille de l’image, d’autant que les stigmates du conflit contrarieront pour longtemps la promesse incantatoire de l’unité nationale.

Les armes feront régner l’ordre, mais l’incendie des villages, les actes de torture, les traitements dégradants et l’indifférence à l’égard du sort des personnes déplacées ont suscité un profond sentiment d’injustice.

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Modèle étatique

S’agissant du fond du problème, les autorités ne pourront pas ignorer indéfiniment les causes de cette crise. Pas plus qu’elles ne pourront remettre à plus tard les réformes exigées par les anglophones sans susciter de nouveaux épisodes de violences.

À moins de porter des œillères, il est désormais clair que ce mariage entre deux modèles de société radicalement opposés ne fonctionne pas

À moins de porter des œillères, il est désormais clair que ce mariage entre deux modèles de société radicalement opposés ne fonctionne pas. On a échoué à concilier le jacobinisme centralisateur d’inspiration française, proclamant l’indivisibilité de la nation, du haut vers le bas, et le fédéralisme anglo-saxon, orienté, lui, du bas vers le haut.

Pendant ou après les affrontements, la question de la forme de l’État doit être discutée. En vigueur depuis 1972, l’État unitaire n’a plus la cote. Toutes les régions du pays souffrent du centralisme d’Etoudi. Son pendant, l’équilibre régional, est lui aussi contesté.

On reproche à ce modèle de construction nationale d’avoir anesthésié la saine émulation dans l’accès aux emplois publics, où la méritocratie a été escamotée. Deux facteurs qui, aux yeux de la majorité des Camerounais, sont à l’origine de la corruption à grande échelle qui entrave le développement du pays.

Côté francophone, le fédéralisme n’est pas non plus plébiscité

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Si les francophones n’ont pas cédé à la tentation de prendre les armes pour faire tomber ce régime peu enclin aux réformes, ils ne partagent pas moins le constat d’échec de l’actuel mode de dévolution du pouvoir. Mais attention : le fédéralisme n’est pas non plus plébiscité.

Dénigrement du fédéralisme

Expérimenté entre 1961 et 1972, ce système pâtit de quatre décennies de dénigrement insidieusement dispensé dans les cours d’histoire des écoles francophones. Non sans démagogie, les programmes scolaires sont parvenus à faire croire aux Camerounais que cette forme d’organisation alourdirait le fonctionnement de l’État et ferait exploser les dépenses publiques. D’où l’attentisme de la majorité silencieuse.

Chez les anglophones, le fédéralisme est d’abord un rempart contre l’uniformisation

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Quant aux classes supérieures, auxquelles se joint la diaspora francophone, elles sont favorables à la décentralisation. Sauf que celle-ci ne répondra pas à la soif de reconnaissance des anglophones : elle ne garantit en rien une meilleure prise en compte de la spécificité de cette minorité dans sa culture, son système éducatif ou son organisation administrative et judiciaire.

>>> À LIRE – Cameroun : comment éviter la fracture francophone-anglophone ?

Chez les anglophones, le fédéralisme est d’abord un rempart contre l’uniformisation, pensée et voulue par le pouvoir « assimilationniste » de Yaoundé. Mais s’ils l’appellent de leurs vœux, ils sont eux aussi divisés sur ses modalités.

Il y a une gêne à évoquer un fédéralisme « identitaire » à deux États, l’un francophone et l’autre anglophone, qui donnerait raison à ceux qui y voient un stratagème destiné à faciliter l’aboutissement du projet de sécession.

Peut-être faut-il s’orienter vers un découpage en quatre blocs ethnico-régionaux (Grand Nord, Sud, Ouest et Littoral) ou alors privilégier la constitution de dix États fédérés correspondant aux dix régions du pays ? La question n’est pas tranchée.

Elle n’est pas la seule. Après les affrontements, il faudra bien envisager de réconcilier les Camerounais. « Une victoire obtenue par la guerre reste un échec d’humanité », aimait à prévenir l’abbé Pierre. Peut-être est-ce le chantier le plus ardu.

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