Rap ivoirien : noushi, sonorités africaines et clashs… les ingrédients d’une renaissance

Depuis 2014, l’arrivée du groupe Kiff no beat a considérablement relancé le rap ivoirien, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle génération plus que déterminée à conquérir la scène internationale.

Kiff ni beat, Kozak, Himra et Suspect 95

Kiff ni beat, Kozak, Himra et Suspect 95

Publié le 25 juillet 2018 Lecture : 5 minutes.

En Côte d’Ivoire,  depuis les années 1980, les clashs en rimes et vers ont longtemps raisonnés dans les rues d’Abidjan. Des artistes tels que Almighty, Stezo, Crazy B, ou encore R.A.S ont popularisé ce style  qui mélange des flows modernes « à l’américaine » et un style très « old school » inspiré des rappeurs comme 2PAC ou Notorius BIG.

Mais l’arrivée du coupé-décalé dans le début des années 2000 avec Douk Saga,  Molare et la Jet Set a considérablement contribué à une baisse du mouvement hip-hop. Les punchlines et le style US ont laissé la place aux « Atalakus » et aux chaussures « croco ».

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Le rap ivoirien devient « rap ivoire »

En 2013, Kiff no beat donne un second souffle au mouvement. Le rap ivoirien devient alors « rap ivoire ». Avec une moyenne d’âge de 25 ans, ce groupe marque la différence de part son style de rap trash, hardcore et provocateur. Elown, Didi B, Eljay, Joochar et Black K doivent leur succès à un clip : « Tu es dans pain » (dans les problèmes). Dès sa sortie, la chanson suscite la curiosité. Le groupe provoque ses concurrents, leur assurant qu’ils ne font pas le poids  : « Tu es dans pain / Tu rappes fort, mais tu n’as rien / Pas de cachet / Tu es dans pain ! », leur lance les rappeurs.

« C’est le single sur lequel nous avions fait le moins de calcul. Et ce titre nous a ouvert énormément de portes », raconte Didi B. Avec l’artiste et beatmaker Shado Chris, ils proposent dans la foulée une multitude de titres, qui engrangent les vues sur internet, tels que « Ça gâte cœur » ou « Pourquoi tu Dab ».

Des lors, le groupe se fait une place de choix dans l’industrie du rap africain. Kiff No Beat part pour des tournées dans tout le continent. Au Congo en 2015,  au Tchad en 2017, on les retrouve au Togo, en 2018…

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En mars 2017, ils deviennent les premiers artistes africains à signer au sein du Label Universal Music Africa. Leur musique s’internationalise, le groupe débarque en France et effectue son premier showcase dans la salle parisienne du VRP. Et les rappeurs de Kiff No Beat viennent tout récemment d’annoncer un featuring avec le rappeur français Fianso.

Une palette d’artistes

 Je ne m’habille pas comme un rappeur et pourtant je fais du rap , c’est peut être ce qui me différencie des autres

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Le succès de Kiff No Beat a ouvert la voie. Suspect 95, 22 ans et originaire de la commune de Cocody, a été propulsé par son titre «Enfant de boss c’est boss ». Il est aujourd’hui l’un des artistes les plus en vogue de Côte d’Ivoire. Son style vintage, ses chemises fleuries et sa coiffure toujours soignée lui valent les faveurs de la gente féminine. « Je ne m’habille pas comme un rappeur , pourtant je fais du rap. C’est peut être ce qui me différencie des autres », explique Suspect 95.

« Oko Sissi » – c’est le surnom qu’il se donne – dévoile au public un style de rap plein d’autodérision et d’humour. Dans ses punchlines, il s’inspire d’histoires vécues, souvent des amours, des ruptures ou des trahisons, le tout accompagnés de textes humoristiques. « J’aime vraiment aborder des thèmes qui touchent tout le monde. Dans ma chanson « Promesse » par exemple, je parle de ces hommes qui font des fausses promesses aux femmes pour obtenir ce qu’ils veulent », explique-t-il.

Suspect 95

Et il y aussi le groupe Kozak, produit par Kiff No Beat. Trois jeunes de 21 ans déterminés dont le petit air apparemment innocent est vite oublié dès qu’on les entend rapper… « Les Kiff No Beat sont d’abord et avant tout nos producteurs, ils nous donnent des conseils et n’hésitent pas à nous remonter les brettelles quand ça ne va pas » explique Nifa, qui forme le trio avec Kirikou et Drams.

KOZAK

Dans cette nouvelle vague, Bop de Narr se différencie par sa posture moralisatrice. Maître des punchlines engagées, il dénonce des faits de société que personne n’ose évoquer. Au point de faire polémique, comme avec « C’est payant », une chanson dans laquelle il aborde la question des femmes qui se font entretenir par des hommes, qui a été censurée par plusieurs radios. « Le rap à la base c’est fait pour dénoncer, je chante tout ce que je vois autour de moi. Je ne fais pas de rap, je fais du Bop de Narr », lance l’artiste.

Un autre rappeur, Mc One, âgé de 18 ans et poulain de la star du coupé-décalé DJ Kedjevara, a fait sa place dans le milieu grâce à son audace. Malgré son jeune âge, il n’hésite pas à se lancer dans des clashs virulents avec d’autres rappeurs plus galonnés.

Le plus célèbre celui qu’il a engagé avec… Kiff No Beat. Dans sa chanson « Opi Ona aka Fai koi » ( Que veux-tu que l’on fasse ?), il accuse le groupe d’avoir cédé aux sirènes de la musique commerciale. « C’est plus des rappeurs c’est des commerçants. Ils sont à la recherche de publicité, je les ai vu au grand marché d’Adjamé en train de crier « approchez ! regardez ! », lance-t-il dans le morceau.

J’essaie de mélanger différents différents styles, de la trap avec du coupé-décalé par exemple

« Noushi » et sonorités africaines

Si le rap ivoire se renouvelle c’est parce que la majorité des artistes utilisent le « Noushi », l’argot ivoirien, des mots dérivés du français. « Le noushi c’est ce qui nous représente et qui définit notre rap aujourd’hui », explique Suspect 95. « Jahain » (jamais), « lahan » (argent), « daba » (manger)… Autant d’expressions qui font partie du dictionnaire propre aux artistes de cette scène. Au point que les rappeurs de Kiff No Beat se surnomment les « Noushi Boys ».

Le rap ivoirien aura un avenir glorieux

Côté instrumental, le rap ivoire puise la majeure partie de son inspiration dans les sonorités africaines. Zouglou , coupé-décalé, afrobeat… Tout y passe et s’y mixe. « J’essaie de mélanger différents différents styles, de la trap avec du coupé-décalé, par exemple », explique Mr Behi, beatmaker du groupe Saba.

Pour l’heure, une grande partie de ces rappeurs évolue quasi uniquement sur la seule scène africaine. Des collaborations à l’international pourraient définitivement relancer la machine et amener le rap ivoire vers d’autres horizons.

« Le rap ivoirien aura un avenir glorieux, car en tant que devanciers de la nouvelle génération, nous ferons tout pour aller plus loin », conclut Didi B, qui a récemment institué des « battles » régulières qui voient s’opposer deux rappeurs, l’un et l’autre profitant de leur notoriété respective pour mieux se faire connaître.


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