[Tribune] Les chemins de la restitution des biens culturels africains

Afin d’encadrer le processus de restitution du patrimoine culturel africain, pillé lors de la conquête coloniale, Abdou Latif Coulibaly, ministre de la Culture du Sénégal, propose cinq conditions essentielles.

Des statuettes béninoises exposées au Quai Branly, à Paris. © CC/Wikimedia Commons

Des statuettes béninoises exposées au Quai Branly, à Paris. © CC/Wikimedia Commons

abdoulatifcoulibaly

Publié le 12 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

La conquête coloniale a été accompagnée de nombreux pillages et de désacralisations douloureuses qui ont laissé des traces profondes dans les sociétés africaines qui ont vu partir en Europe des objets d’art ou des œuvres sacrées exceptionnelles. Il y a eu aussi, et elles sont nombreuses, des collections acquises par la fourberie, le mot n’est pas exagéré, par des personnes dont les apports à la connaissance des sociétés africaines sont pourtant reconnus.

Dans L’Afrique fantôme, ouvrage paru pour la première fois en 1934, Michel Leiris rend compte, avec un réalisme saisissant, des stratagèmes mis au point par Marcel Griaule au cours de sa mission Dakar-Djibouti (1931-1934) pour spolier littéralement les Africains. Avec une remarquable lucidité, Leiris dit ceci : « On pille les Nègres, sous prétexte d’apprendre aux gens à les connaître et les aimer, en fin de compte, à former d’autres ethnographes, qui iront eux aussi les aimer et les piller ».

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Depuis l’électrochoc de Ouagadougou et la nomination de l’équipe Felwine Sarr-Bénédicte Savoy, les lignes sont en train de bouger en France, un des gros dépositaires du patrimoine africain. D’autres initiatives ne manqueront certainement pas pour revisiter, ensemble, cette douloureuse page d’histoire.

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Les cinq points de préoccupation

Dans ce contexte, il est heureux que l’Unesco, dont le rôle devra être central dans la période qui s’annonce, ait pris l’initiative d’organiser la rencontre du 1er juin 2018 à Paris sous le thème : « Circulation des biens culturels et patrimoine en partage ». Cette réunion permit aux acteurs politiques, institutionnels ainsi qu’aux professionnels d’échanger dans un format très libre. La partie africaine a profité de cette tribune internationale pour exprimer ses préoccupations.

Lors de la Biennale de l’art contemporain africain qui s’est déroulée à Dakar du 3 mai au 2 juin 2018, une dizaine de ministres en charge de la Culture dans leurs pays respectifs ont eu l’avantage, dans le cadre des activités organisées dans divers ateliers de réflexion, d’entendre une communication du professeur Felwine Sarr. Ce dernier leur a fait un compte rendu sur l’état d’avancement de leurs travaux. Les ministres présents à la rencontre de Dakar ont, à la suite de l’intervention du professeur Sarr, exprimé de sérieuses préoccupations qui pourraient être résumées en cinq points.

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J’ai eu le privilège et le plaisir de les transmettre à la conférence de Paris :

• éviter que la restitution ne serve comme moyen de déstockage d’œuvres mineures qui encombrent les musées en Occident ;

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• éviter l’adoption de procédures complexes et non réalistes ;

• éviter de considérer des difficultés juridiques ou techniques comme des obstacles insurmontables ;

• éviter de se montrer trop frileux par rapport à la question des collections privées ;

• enfin, pour les Africains, la mise en application du concept de partage de patrimoines, devrait leur donner les moyens d’accéder sans formalités administratives trop contraignantes, ni frais financiers indus à des patrimoines historiques constitués sous la période coloniale. Nous pensons, ici, aux documents audiovisuels enregistrés par la France dans ses colonies et dont l’exploitation est aujourd’hui confiée à l’Institut national de l’audiovisuel (INA).

Une exigence légitime

Le premier mérite de la communication présentée par Mme Bénédicte Savoy devant la conférence de l’Unesco, vendredi 1er juin 2018, a d’abord été de rappeler les termes de l’appel de l’ancien directeur général de l’Unesco qui disait dans son discours du 7 juin 1978 « Les peuples victimes de ce pillage parfois séculaire n’ont pas seulement été dépouillés de chefs-d’ œuvre irremplaçables : ils ont été dépossédés d’une mémoire qui les aurait sans doute aidé à mieux se connaître eux-mêmes, certainement à se mieux faire comprendre par les autres ».

Nous pensons que quand le rapport Sarr-Savoy sera déposé en novembre prochain, nous devrions, de part et d’autre, faire l’économie de nouvelles et d’interminables discussions

Son second mérite a ensuite été de poser de façon lucide avec des termes actuels, le problème de la restitution. Et, enfin, d’avoir conclu que cette restitution se présentait comme une exigence légitime que, du reste, la France avait déjà reconnue, au début des années 1980. Au regard de tout ce qui a été dit ou rappelé à Paris, nous pensons que quand le rapport Sarr-Savoy sera déposé en novembre prochain, nous devrions, de part et d’autre, faire l’économie de nouvelles et d’interminables discussions.

Conditions pour un dialogue serein

Dans cette perspective, il s’agit d’explorer, dans un cadre apaisé, les conditions d’un dialogue serein pour revoir et faire évoluer le statut des collections actuellement conservées dans les musées européens et d’envisager, le cas échéant, une circulation dont la finalité devrait être le retour à chaque fois que les propriétaires légitimes en exprimeraient le besoin.

Pour encadrer ce processus, qui sera nécessairement long et complexe, certains préalables me paraissent indispensables. Il s’agit, entre autres :

1. d’inventorier les collections détenues dans les musées publics, ce qui sera plus facile avant de s’intéresser aux collections privées ;

2. de déterminer le statut de chaque collection, notamment les conditions de son acquisition, afin de savoir si elle a été bien ou mal acquise ;

3. de travailler à la mise en place d’un instrument normatif spécifique pour encadrer les modalités de circulation et de restitution ; nonobstant le fait que des États souverains puissent le faire spontanément ;

4. d’encourager les pays d’origine à développer des infrastructures à même d’accueillir les collections dans des conditions appropriées ;

5. de développer, en collaboration avec le Conseil international des musées (Icom) et les institutions universitaires, des programmes rénovés de formation de techniciens de qualité. C’est donc un processus qui peut prendre un certain temps.

Mais à terme, la restitution est inévitable pour les objets qui ont été « mal acquis » ; d’où la pertinence et la justesse associées à la notion de restitution dans sa bonne acception latine « restituere », remettre à sa place, replacer, et c’est bien de cela qu’il s’agit car la bonne place de ces exilés est l’Afrique mère. Les chemins seront longs mais ils méritent d’être parcourus.

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