Le procès du siècle

Les 461 personnes, entreprises ou organisations mises en cause dans les attentats du 11 septembre 2001 sont convoquées devant un tribunal new-yorkais à partir du mois d’avril. Les avocats des plaignants leur réclament 18 000 milliards de dollars !

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 6 minutes.

« Kathleen Ashton, au nom des ayants droit de Thomas Ashton, décédé… Josephine Alger et Frederick Alger, au nom des ayants droit de David D. Alger, décédé… » Suivent les noms d’Angelica Allen, de George Andrucki, d’Alexander Paul Aranyos, et de beaucoup d’autres, tous représentant les 2 996 victimes des attentats du 11 septembre 2001, à New York et à Washington. Les plaintes déposées depuis trois ans devant divers tribunaux américains ont en effet été regroupées en une seule, le 9 décembre 2003, afin d’être traitées par une juridiction unique, le tribunal du district sud de New York. Entre la liste des ayants droit, celle des 461 présumés coupables, l’acte d’accusation et les demandes de dommages et intérêts, le document compte environ 250 pages.
Le 15 septembre 2004, le juge Richard Conway Casey a ordonné la publication judiciaire de la liste des présumés coupables, pendant quatre semaines consécutives, dans trois journaux – deux quotidiens américains nommément désignés (USA Today et International Herald Tribune) et un quotidien arabe « largement diffusé au Moyen-Orient » -, ainsi que sur Internet*. Les deux journaux américains ont obtempéré en décembre, puis en janvier. Aucun quotidien arabe ne l’a fait à ce jour.
Cela n’empêchera pas le « procès du siècle », comme le qualifient certains, de se tenir à partir du mois d’avril (la date de l’ouverture des débats n’a pas encore été fixée). Plusieurs centaines d’avocats défendront la cause de plus de cinq mille victimes ou ayants droit, parmi lesquels les propriétaires du World Trade Center (WTC), les entreprises qui avaient leurs bureaux dans les tours jumelles ou à proximité, les compagnies d’assurance, ainsi que toute société commerciale ou toute personne privée ayant déclaré avoir subi des pertes matérielles et/ou physiques lors des attentats commis, faut-il le rappeler, par dix-neuf terroristes membres du réseau al-Qaïda, que dirige le Saoudien Oussama Ben Laden.
Les 461 prévenus sont tenus de se présenter devant le tribunal fédéral, au 500 Pearl Street, 10007 New York, afin de répondre aux accusations portées contre eux. Ils ont soixante jours pour le faire, à défaut de quoi ils seront jugés et condamnés par contumace. Les avocats leur réclament la somme véritablement astronomique de 600 millions de dollars par victime – 18 000 milliards au total. Ce qui représente une fois et demie le Produit intérieur brut des États-Unis, la moitié du PIB mondial ou encore la valeur globale des réserves de pétrole et de gaz de l’Arabie saoudite ! L’indemnité réclamée est soixante fois supérieure à celle que la Libye a versée à chacune des 270 victimes de l’attentat de Lockerbie (10 millions de dollars).
Outre les personnes privées, trois États (l’Irak, le Soudan et l’Iran) figurent parmi les prévenus, aux côtés de dizaines d’entreprises et de fondations caritatives. Même s’ils sont domiciliés dans des pays très divers (Arabie saoudite, Iran, Irak, Soudan, Algérie, Tunisie, Maroc, Bosnie, Canada, Liechtenstein, Bahamas, Suède, Suisse, Autriche, Afghanistan, Somalie, etc.), tous sont musulmans ou dirigés par les musulmans.
Est-il imaginable que des indemnités aussi vertigineuses puissent un jour être versées ? Sans doute pas, mais les avocats, selon une tactique éprouvée, placent la barre le plus haut possible afin d’obtenir le maximum.
Quoi qu’il en soit, un juge new-yorkais vient d’estimer que l’attentat contre le WTC comporte en réalité deux attaques distinctes, donc deux sinistres. Conséquence : neuf compagnies d’assurance ont été condamnées, le 8 décembre, à verser 2,3 milliards de dollars de réparation, au lieu de 1,15 milliard initialement prévu. Toutes ont fait appel. Pour les quatorze autres compagnies qui assurent les tours jumelles, le verdict a été plus clément : elles n’ont dû payer que pour un seul sinistre (2,35 milliards de dollars). Si le premier jugement fait jurisprudence, les propriétaires des tours recevront donc des vingt-trois compagnies d’assurance 7 milliards de dollars, au lieu de 3,5 milliards. Reste à savoir si cette jurisprudence s’étendra au « procès du siècle » ?
Le gouvernement américain a pris les devants en gelant les avoirs bancaires de tous les supposés terroristes et leurs complices, avec le soutien de l’Union européenne et des Nations unies. Ces deux dernières organisations ont établi leur liste des « personnes, groupes et entités liés à Oussama Ben Laden, au réseau al-Qaïda et aux talibans, auxquels doit s’appliquer le gel des fonds et des ressources économiques ». 147 millions de dollars ont été bloqués à ce jour, selon le Foreign Terrorist Assets Tracking Center (FTAT), l’organisme américain chargé de lutter contre le financement des réseaux terroristes.
Au bout de trois ans de recherches, cette somme peut paraître très insuffisante, eu égard aux indemnisations déjà versées aux victimes par les compagnies d’assurance (19,6 milliards de dollars), le Fonds spécial mis en place par le gouvernement américain (15,8 milliards) et les organisations caritatives (2,7 milliards).
Le procès permettra aux familles des victimes qui s’estiment lésées (le fonds d’indemnisation leur a accordé entre 500 dollars et 7 millions de dollars, selon l’importance des dommages subis), aux entreprises et aux compagnies d’assurance d’obtenir davantage en poursuivant, cette fois, les héritiers des dix-neuf terroristes, ainsi que tous leurs complices. Pour une société comme Cantor Fitzgerald, qui a perdu 658 de ses employés dans les Twin Towers, le procès qui s’ouvre revêt une importance cruciale. De même pour Goldman Sachs, qui s’apprête à dépenser 2 milliards de dollars pour reconstruire son siège, sur le lieu même de l’attentat. L’inauguration est prévue au début de 2006.
En attendant, de Djeddah à Dubaï, les grandes entreprises du Moyen-Orient tremblent, tout comme leurs filiales établies dans des paradis fiscaux. Plusieurs groupes financiers et immobiliers saoudiens – et leurs dirigeants figurent sur la liste des suspects. Parmi eux, le holding Al-Baraka (banque, finances, télécommunications, bâtiment, import-export et autres services), dont le fondateur, le milliardaire (en dollars) Cheikh Salah Kamel, nie farouchement toute accointance avec les terroristes. En fait, pour établir leur liste des prévenus, les avocats américains n’ont pas fait dans le détail : ils ont rassemblé tout ce qui, vrai ou faux, a été dit ou écrit sur le financement de la nébuleuse al-Qaïda. Il suffit de figurer sur la liste des donateurs d’un centre culturel islamique en Europe par lequel a transité de l’argent destiné aux terroristes pour être accusé de complicité et poursuivi par le juge Casey.
Les prévenus sont classés selon l’ordre alphabétique de leur prénom, sans aucune précision concernant leur profession, leur nationalité ou leur lieu de résidence. Parmi les personnalités connues figurant sur la liste : Ahmed Zaki Yamani, l’ancien ministre saoudien du Pétrole, aujourd’hui consultant ayant pignon sur rue, à Londres ; Abdelaziz al-Ibrahim, un proche de la famille royale saoudienne ; Saddam Hussein et ses deux fils (Oudaï et Qoussaï) tués par les soldats américains, ainsi que Taha Yassin Ramadan, l’ancien vice-président irakien. On y trouve aussi, bien sûr, tous les chefs ou membres présumés d’al-Qaïda (Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri, Mohamed Atef, Zacarias Moussaoui, Abou Moussab al-Zarqaoui), mais aussi ceux des talibans afghans, des Frères musulmans (l’Afghan Gulbuddin Hekmatyar et le Soudanais Hassan al-Tourabi), du Hezbollah libanais, du Hamas et du Djihad islamique palestiniens, du groupe Abou Sayaf (Philippines), des Groupes islamiques armées (GIA) algériens et d’autres mouvements plus ou moins connus. Les membres de la tribu Ben Laden ne sont pas davantage épargnés. Plusieurs parents du chef terroriste se trouvent sur la liste : Abdallah, Bakr, Haydar, Mohamed, Omar, Saleh, Salem, Tarek…
À tous ces noms s’ajoute une ribambelle de mosquées et de centres culturels islamiques en Arabie saoudite et en Europe, d’organisations caritatives, de bureaux de change, de sociétés spécialisées dans les transferts d’argent (les « Hawalas » de Somalie), de centres multimédias de télécommunications et d’Internet…
Tous, absolument tous, sont convoqués par le juge Casey, exception faite de ceux qui sont déjà incarcérés aux États-Unis et dont on ne connaît pas encore l’identité. On peut imaginer que beaucoup d’inculpés ne déféreront pas à la convocation. À leurs risques et périls.

* Sur le site www.september11terrorlitigation.com, toujours en construction à la date du 28 janvier 2005.

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