La CIA court-circuitée

Le Pentagone a secrètement manoeuvré pour créer son propre service de renseignements et sa propre école d’espionnage. Émoi au Congrès !

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

Une unité du département de la Défense américain spécialisée dans le recueil de renseignements à l’étranger opère secrètement, depuis plus de deux ans, dans des pays comme l’Afghanistan et l’Irak, révèle Barton Gellman dans le Washington Post du 25 janvier. Le Pentagone n’avait pas attendu que soient publiquement reconnues les insuffisances de la CIA pour mettre en place ses propres services. Dès le 17 octobre 2001, une note du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, dont le Post publie une photocopie, demandait au président du comité des chefs d’état-major, le général Richard Myers, s’il était « concevable que le département puisse ne pas être en position de dépendance quasi totale vis-à-vis de la CIA ». Le caractère alambiqué de la formule donne à penser qu’elle est l’oeuvre du « Sec-Def » en personne. Copie de la note était adressée à ses trois collaborateurs les plus proches, les « néocons » Paul Wolfowitz, Douglas Feith et Steve Cambone.
L’affaire est suffisamment délicate pour que le département de la Défense ait tenté de s’expliquer, dès le lundi après-midi, au cours d’une conférence de presse. Cela n’a pas empêché le déclenchement d’une sévère polémique entre les démocrates, qui dénoncent l’ignorance dans laquelle a été tenu le Congrès, et les républicains, pour qui les équipes de renseignements sont « vitales pour la sécurité nationale ».
Selon le Washington Post, l’unité créée par Rumsfeld a été baptisée Strategic Support Branch (Branche de soutien stratégique, SSB). Elle est constituée d’équipes réunissant des officiers, des linguistes, des spécialistes des interrogatoires et des techniciens. Sa fonction est de fournir au Pentagone de la human intelligence – « humint », dans le jargon des services. Autrement dit du « renseignement humain », par opposition aux informations recueillies par des moyens technologiques. Elle doit apporter aux troupes du champ de bataille de meilleures informations sur leur ennemi direct. Mais aussi s’arranger pour infiltrer les organisations clandestines comme al-Qaïda, qui représentent une menace pour les États-Unis dans des domaines ne relevant pas de la guerre conventionnelle.
Manifestement, de telles activités empiètent sur les attributions de la CIA. Contactée par Barton Gellman, cette dernière (comme d’ailleurs le général Myers) s’est refusée à tout commentaire. Au Pentagone, le sous-secrétaire adjoint au renseignement, le général William Boykin, soutient que Rumsfeld n’a nulle intention de priver la CIA de ses responsabilités, mais reconnaît que le « Sec-Def » a bien « l’intention de diriger certaines missions confiées à l’Agence ». Le département de la Défense prévoit d’ailleurs de créer une école d’espionnage pour former ses propres agents. Elle ferait évidemment double emploi avec le centre d’instruction que gère la CIA à Camp Ferry, en Virginie. Le Pentagone envisage par ailleurs de créer des commandements spécifiques pour les opérations de renseignement dans chaque région du monde.
D’autres sources au Pentagone ont informé Gellman que des « membres du personnel de la Défense » ont déjà travaillé à l’étranger sous de faux noms et de fausses nationalités. Ce qui relèverait de la « non official cover », à cheval entre l’action « clandestine » et l’action « covert ». Lorsqu’une action covert est découverte, le gouvernement américain nie farouchement y être impliqué. En principe, elle doit être autorisée par écrit par le président et notifiée aux leaders des deux partis au Sénat et à la Chambre des représentants.
C’est dire que le « Sec-Def » semble décidé à pousser assez loin le cavalier seul. Y compris dans ses rapports avec le Congrès. Selon le code des services armés, tous les départements de l’exécutif ont obligation de « tenir le Congrès pleinement et régulièrement informé de toutes les activités de renseignement… à l’exception des activités militaires traditionnelles ». De proches collaborateurs de Rumsfeld n’ont pas caché au Washington Post que ce dernier donne au mot « traditionnel » une interprétation beaucoup plus souple que ses prédécesseurs.

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