Acquittement de Jean-Pierre Bemba : les victimes centrafricaines entre colère et incompréhension

À Bangui, l’acquittement et la mise en liberté provisoire mardi 12 juin du Congolais Jean-Pierre Bemba a suscité l’incompréhension des victimes centrafricaines des razzias commises par les miliciens de l’ancien vice-président congolais. Fatou Bensouda, procureure de la CPI, a fait part de sa « déception » après la décision de la cour.

Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RDC, le 29 septembre 2015 à La Haye. © Peter Dejong/AP/SIPA

Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de la RDC, le 29 septembre 2015 à La Haye. © Peter Dejong/AP/SIPA

Publié le 13 juin 2018 Lecture : 3 minutes.

Seize ans après les faits, les souvenirs sont encore à vif. « Ils ont attrapé deux de mes sœurs et les ont tuées », se rappelle depuis Bangui Ghislain Bertrand Bouanga. « Ils ont tué ma mère aussi et ils ont pris tout ce qui était dans la maison. Ils ont ligoté ma sœur cadette, l’ont fouettée et l’ont violée. Depuis, elle est handicapée, ses bras ne marchent plus car ils ont serré les liens trop fort. Elle a passé une année à l’hôpital, en traumatologie. Elle saignait à cause du viol », témoigne-t-il.

Comme Ghislain Bertrand Bouanga, des victimes ont laissé éclater leur colère quelques heures après l’annonce de la libération provisoire de Jean-Pierre Bemba, acquitté vendredi 8 juin par la Cour pénale internationale (CPI), à la surprise générale, de « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité ».

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Des exactions « impunies »

Entre octobre 2002 et mars 2003, appelés à la rescousse par le président centrafricain Ange-Félix Patassé pour contrecarrer la tentative de coup d’État lancée par le général (et futur président) François Bozizé, les miliciens « banyamulenge » du MLC de Jean-Pierre Bemba se sont livrés, sans retenue et pendant plus d’un mois, à de terribles sévices dans la capitale centrafricaine.

Nous allons nous adresser au gouvernement pour sortir immédiatement de la CPI. La Centrafrique n’est plus dupe !

Des exactions restées « impunies », selon Bernadette Sayo, fondatrice de l’Organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse (Ocodefad, ONG créée en 2004 en soutien aux victimes des « Banyamulenge »).

« Dépenser des dizaines et des dizaines de millions de dollars de fonctionnement de cette CPI pour en arriver à ce résultat, alors que ça ne change rien au sort des victimes… », rage-t-elle.

La « déception » de Fatou Bensouda

Consciente de la colère provoquée en Centrafrique à l’encontre de la CPI, Fatou Bensouda, procureure de la Cour de La Haye, s’est dite préoccupée « par certains aspects de la décision rendue » dans « la plus grave affaire de violences sexuelles et à caractère sexiste sur laquelle la Cour ait dû se prononcer à ce jour ».

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« Mes pensées vont tout d’abord aux victimes de ces terribles crimes, à leurs familles et communautés.  Nous ressentons la même déception à l’égard de cette décision et des conséquences qu’elle aura, avant tout, pour les victimes », a écrit la procureure dans un communiqué publié mercredi.

« La CPI ne vaut rien ! »

« La CPI ne vaut rien ! », s’exaspère Ghislain. Lui craint que cette décision ne favorise l’impunité des chefs de guerre du pays, dont l’État ne contrôle qu’une mineure partie du territoire et où les groupes armés se battent pour le contrôle des ressources et de l’influence locale.

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« Nous croyons que [la CPI] est en train d’encourager les criminels, les grands criminels tel qu’Ali Darassa [chef du groupe armé Union pour la paix en Centrafrique], Noureddine Adam [chef du groupe armé Front populaire pour la renaissance de la Centrafrique] et les « comzones ». Ils tuent, ils pillent, ils violent, ils font tout dans le pays et par la suite on va dire qu’ils ne sont pas coupables ! », s’énerve-t-il.

Ils ont violé ma fille et m’ont violée

Dans la mémoire de nombreux habitants de Bangui, l’intervention des combattants du Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba – qui deviendra en 2003 vice-président de la RDC puis sera battu à l’élection présidentielle de 2006 par Joseph Kabila – a laissé des traces indélébiles.

« Quand les Banyamunlenge sont arrivés chez nous, près de la concession de l’école Begoua, ils ont violé ma fille. J’ai commencé a pleurer, et d’autres sont arrivés et m’ont violée. Quand mon mari s’est interposé, ils l’ont tué », raconte d’une voix tremblante Marie (le prénom a été changé) en se grattant compulsivement le bras. Cela faisait des années qu’elle n’avait plus parlé de son calvaire.

Aujourd’hui, elle veut oublier, et ne nourrit aucune colère contre la décision de la CPI. Pour elle et d’autres victimes, Jean-Pierre Bemba n’est pas responsable, puisqu’il n’était pas là au moment des faits.

Dédomagements

« C’est la faute du commandant des « Banyamulenge » à Bangui et non de Bemba. Bemba n’est jamais venu sur le terrain. C’est la personne sur le terrain qui devait surveiller ses éléments », explique Joséphine (le prénom a été changé), une autre femme violée par les combattant du Mouvement de libération du Congo (MLC).

Nelly (le prénom a été changé), également victime d’un viol, partage cet avis, mais souhaiterait être dédommagée. « Si Jean-Pierre Bemba est conscient de ce qui nous est arrivé, il n’a qu’à nous dédommager des viols et des pillages ».

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