Présidentielle au Mali – Moussa Mara : « Je suis prêt à m’effacer et à soutenir un autre candidat »

L’ancien Premier ministre d’Ibrahim Boubacar Keïta fait partie de ses challengers déclarés à la présidentielle du 29 juillet. Membre de la « Convention des bâtisseurs », une coalition d’opposants, il se dit aujourd’hui prêt à se ranger derrière un autre candidat pour assurer une qualification au second tour.

Moussa Mara, président du parti Yéléma, en octobre 2014 à Paris. © Vincent Fournier/JA

Moussa Mara, président du parti Yéléma, en octobre 2014 à Paris. © Vincent Fournier/JA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 13 juin 2018 Lecture : 8 minutes.

Il est présenté comme un des plus sérieux prétendants à la succession d’IBK. Après une première candidature en 2013, où il avait récolté 1,5 % des voix, Moussa Mara, ex-Premier ministre du président sortant d’avril 2014 à janvier 2015, a annoncé son intention de se présenter à l’élection présidentielle du 29 juillet.

À moins que l’ambitieux expert-comptable de 43 ans ne s’efface au profit d’un autre candidat de la « Convention des bâtisseurs », la coalition d’opposition dont il fait partie. Dans l’entretien accordé à Jeune Afrique dans son bureau de Bamako, il lance notamment un appel à Cheick Modibo Diarra, l’ancien Premier ministre de la transition, dont il se dit proche.

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Jeune Afrique : C’est la deuxième fois que vous vous présentez à l’élection présidentielle. Qu’avez-vous de plus à proposer aux Maliens qu’en 2013 ?

Moussa Mara : Il y a cinq ans, il s’agissait d’une candidature de témoignage et de découverte. Nous savions que nous partions de très loin pour prétendre gagner. En 2013, j’avais présenté une candidature unique, pour découvrir le pays, présenter mes idées aux Maliens, me distinguer, me faire connaître et prendre date pour le futur.

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. J’ai été ministre puis Premier ministre. Nous avons aussi obtenu des députés à l’Assemblée nationale, ce qui nous a permis d’implanter davantage notre parti Yelema (le changement, en bambara) et de nous préparer pour 2018. Cette fois, nous nous présentons pour gagner, seul ou en groupe.

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Cheick Modibo Diarra pourrait être notre candidat, car il est installé dans la tête de nos compatriotes comme quelqu’un de crédible

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Vous êtes une des figures de la « Convention des bâtisseurs », une plateforme qui regroupe plusieurs candidats de l’opposition. Où en sont vos discussions ? Allez-vous présenter un candidat unique dès le premier tour ? 

Mon objectif est que le prochain président de la République sorte de ce groupe. Nous sommes plusieurs à en faire partie : Modibo Sidibé, Housseini Amion Guindo, Mountaga Tall, Moussa Sinko Coulibaly, Clément Dembélé, Hamadoun Touré, Modibo Koné… Pour l’instant, aucun consensus ne se dégage pour une candidature unique dès le premier tour.

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Personnellement, je souhaiterais que Cheick Modibo Diarra, l’ancien Premier ministre de la transition, adhère à cette convention. Je suis en train de travailler pour qu’il soit membre des « bâtisseurs ». Il pourrait être notre candidat, car il est installé dans la tête de nos compatriotes comme quelqu’un de crédible sur lequel on peut compter. Il illustre aussi le changement auquel nous aspirons : il est « neuf », non issu du sérail politique, et il a un corpus idéologique proche du notre, notamment en matière de lutte contre la corruption.

Cela signifie que vous accepteriez de retirer votre candidature à la présidentielle à son profit ou au profit d’un autre membre de cette « Convention des bâtisseurs » ?

Tout à fait. Comme nous l’avons dit en novembre à l’issue du congrès ordinaire de Yelema, le changement auquel nous aspirons ne peut pas être porté par un seul parti. Il nécessite que des personnalités se regroupent et choisissent l’une d’entre elles pour incarner ce changement. Nous avons toujours dit que nous étions prêts à la soutenir, même si elle n’est pas issue de nos rangs.

Moussa Mara, leader du parti Yéléma, le 6 août 2013 à Bamako. © Émilie Régnier pour J.A.

Moussa Mara, leader du parti Yéléma, le 6 août 2013 à Bamako. © Émilie Régnier pour J.A.

Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé n’ont pas d’autre projet que de remplacer IBK

Pourquoi ne vous-êtes vous pas entendu avec Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé ?

Car ils ne représentent pas le changement auquel nous aspirons. J’estime que leur stratégie, qui consiste uniquement à avoir le président en ligne de mire, est électoralement risquée. Cela les fait passer pour des agités qui prônent les manifestations de rue.

Les Maliens aiment le consensus, le calme et la tranquillité. Ils refusent les extrêmes. Si l’opposition adopte cette stratégie extrémiste, le pouvoir aura un boulevard devant lui pour jouer la carte de la force tranquille et de l’unité nationale.

Bref, Soumaïla Cissé et Tiébilé Dramé ne sont pas en train de prendre la bonne direction. Leurs discours pourrait se résumer par « ôte toi de là que je m’y mette », mais ce qu’ils vont y faire, ils ne le disent à personne. Ils n’ont pas d’autre projet que de remplacer IBK. Le notre est de changer le système qui a enlisé le Mali depuis une trentaine d’années et dont ils sont tous membres, IBK comme eux.

Un soldat des Forces armées maliennes lors d'une patrouille conjointe avec les Français de Barkhane, à Tin Hama, près de Gao, en octobre 2017. © REUTERS/Benoit Tessier/File Photo

Un soldat des Forces armées maliennes lors d'une patrouille conjointe avec les Français de Barkhane, à Tin Hama, près de Gao, en octobre 2017. © REUTERS/Benoit Tessier/File Photo

Vouloir régler ces problèmes avec des hélicoptères et des véhicules blindés est une erreur

Si vous entrez à Koulouba le 4 septembre, quelles seront vos premières mesures ?

Les premières mesures à prendre portent sur le Nord et le Centre. De manière symbolique, je déménagerai dans ces régions en tant que président de la République. Je n’irai pas faire une visite de quelques heures avec des motards et des trompettes, mais j’irai traiter le dossier sur le terrain avec suffisamment de temps pour que tous les acteurs de ces zones comprennent que l’État malien est venu à eux.

Il faut lancer des initiatives pour accélérer le processus de paix au Nord et pour apaiser le Centre, en s’appuyant sur les représentants des communautés locales, les leaders traditionnels, les leaders religieux…

Dans le Centre, la situation est très variable d’une zone à l’autre. Les problèmes du Macina ne sont pas les mêmes que ceux du pays dogon. Vouloir régler ces problèmes avec des hélicoptères et des véhicules blindés est une erreur. Il s’agit d’une crise sociale profonde, il faut donc la régler de manière sociale.

L’autre priorité est de poser des actes symboliques pour lutter contre la corruption des élites. Par exemple, que les cent premiers responsables du pays déclarent leur patrimoine, qu’on le contrôle, et qu’on publie les résultats. Avec ce genre de mesures, les gens sentiront que le pays a changé d’ère.

Il y a cinq ans, vous aviez appelé à voter IBK au second tour. Que ferez-vous si le président sortant se retrouve au second tour contre un autre candidat que vous ?

Je pense que le président doit être remplacé. Si nous ne sommes pas au second tour et qu’IBK se retrouve face à un opposant, je pense qu’il faudra soutenir cet opposant.

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Que reprochez-vous à IBK ?

Sa non-gouvernance. Il donne l’impression d’être étranger dans la gestion de l’État. Juste un exemple : la priorité absolue du Mali est la sécurité. Le président en est le premier responsable. Il a un outil privilégié pour cela : le conseil de défense.

Ce conseil se réunit deux ou trois fois par an depuis que le président est au pouvoir, généralement quand il y a une crise ou une attaque importante. Il se réunit, prend quelques mesures et c’est terminé. Il n’y a pas de gouvernance homogène de la sécurité.

En Côte d’Ivoire, le conseil de défense se réunit deux fois par mois. Et pourtant les enjeux sécuritaires n’y sont pas les mêmes qu’au Mali. Nous devrions avoir un tel conseil au moins une fois par semaine, comme les conseils des ministres.

Le président fonctionne comme s’il n’était pas intéressé par son pays. Sur tous les grands dossiers – le Nord, la lutte contre la corruption… -, nous ne sentons aucune prise en main. Je lui reproche donc sa gestion, qui ne changera pas. La situation se dégrade. L’avenir même de notre pays est en cause. Si le président est opposé à quelqu’un d’autre, il faudra choisir cette personne. C’est une question d’urgence nationale.

Vous avez pourtant été son ministre de l’Urbanisme puis son Premier ministre… Que répondez-vous à ceux qui vous accusent aujourd’hui de trahison ?

Je n’entre pas dans ce débat. Je raisonne très froidement. Si le président m’a pris comme ministre, ce n’est pas par charité, mais pour l’aider à réussir. J’ai fait ce que j’ai pu comme ministre puis comme Premier ministre. C’est comme un emploi : vous êtes recruté pour faire un job, vous finissez ce job et vous partez. Un employeur ne va pas reprocher à un salarié de travailler pour quelqu’un d’autre après avoir travaillé pour lui.

Enfin, je m’étais engagé à soutenir le président pour un mandat, pas deux. Ce mandat s’achève dans quelques semaines. Pour le prochain, je suis libre de choisir qui je veux. Si je pense que l’intérêt du pays est ailleurs, j’irai ailleurs.

Moussa Mara, candidat à l'élection présidentielle au Mali prévue pour 2018 © Vincent Fournier/JA

Moussa Mara, candidat à l'élection présidentielle au Mali prévue pour 2018 © Vincent Fournier/JA

Si nous nous mettons d’accord sur un candidat qui nécessite que je m’efface, je m’effacerai

Ces mêmes détracteurs vous décrivent comme un jeune ambitieux guidé par ses objectifs personnels…

Mais comment peut-on concevoir la vie sans ambition ? Après avoir été maire, ministre, Premier ministre, je ne vois pas en quoi vouloir devenir président serait illégitime. Et je vous l’ai dit : nous sommes en train de discuter au sein de la « Convention des bâtisseurs ». Si nous nous mettons d’accord sur un candidat qui nécessite que je m’efface, je m’effacerai. Beaucoup de procès d’intention sur ma soi-disant ambition démesurée tomberaient alors à l’eau. Certains seront surpris.

Êtes-vous satisfait de l’organisation de l’élection présidentielle ?

Pour l’instant, cela ne se passe pas mal. C’est une des raisons pour lesquelles je n’ai pas bien compris la récente marche organisée par l’opposition. Cela dit, la marche est un exercice démocratique et le gouvernement n’a pas eu raison de l’interdire la première fois.

Partagez-vous les inquiétudes de certains sur des risques de fraudes ?

Je n’ai pas de preuves indiquant qu’une fraude est en préparation. En travaillant avec le gouvernement sur les détails du scrutin – identification des électeurs, accueil dans les bureaux de vote, inviolabilité des bulletins, comptage des voix et intégrité du système de comptage, conservation des bulletins… -, nous arriverons à améliorer le processus électoral.

Au début de l’année, l’opposition, la majorité et l’administration ont constitué une équipe d’experts qui se réunissait toutes les semaines. Cette équipe a rédigé la loi électorale, a travaillé sur la question des cartes d’électeurs, a organisé l’audit du fichier électoral… Il faut aller dans ce sens.

Le pays n’a pas besoin de rapports de force ni de tensions plus ou moins suscitées. Nous avons tous intérêt à ce que ce scrutin soit apaisé. Quel que soit le vainqueur, il aura besoin d’un cadre serein. Il ne faut pas de troubles, sinon c’est tout le Mali qui sera perdant.

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