Du Togo au Ghana par la plage

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 3 minutes.

En ce dimanche où tout est fermé à Lomé pour cause de « jour du Seigneur », je décide de me rendre à pied jusqu’au Ghana. Loin de moi l’idée de réaliser un exploit sportif sous un soleil matinal qui chauffe déjà à 30 °C, mais, après tout, Lomé jouxte le Ghana. Une demi-heure de marche, tout au plus, suffit pour atteindre le poste-frontière. J’opte pour un itinéraire par la plage, au risque de voir ma cadence ralentie par l’effort de marcher dans le sable.
Surprise : il est à peine 9 heures du matin, et il y a déjà plein de monde. Des sportifs adeptes de la petite foulée, des footballeurs presque aussi sérieux que ceux du Kumasi Asante Kotoko [célèbre club ghanéen, NDLR] ou encore des amateurs de beach volley, qui se défoulent sans compter sur des terrains improvisés.
En revanche, la mer est déserte. Les quelques couples qui flânent se risquent à peine à tremper un orteil dans l’écume bouillonnante. Il est vrai que les lames qui déferlent sur le rivage invitent peu à la baignade. Seuls quelques gamins courageux osent les affronter, surveillés du coin de l’oeil par leur mère qui remplit ses bassines d’eau pour laver les pagnes.
Visiblement, cette petite famille habite sur la plage. Dans une cahute de tôle et de palmes, dont le toit n’est qu’un morceau de tissu déchiré, battu par le vent.
Elle n’est pas la seule. Sous les cocotiers, en bordure de route, sont dressées d’autres tentes sommaires. Ici, la misère investit des plages que les touristes qualifieraient de paradisiaques.
Je m’enfonce dans le sable ocre sur lequel semblent danser de petits crabes blancs. Quelques embarcations en bois sont posées là, sans amarre. À leur bord, des filets bleus encore humides témoignent d’une pêche récente. D’ailleurs, un adolescent m’interpelle : « Sister, tu veux acheter du poisson frais de ce matin ? »
Plus loin, une dizaine d’hommes alignés tirent un vaste filet jeté en bord de mer. Les muscles saillent tandis qu’un chant d’encouragement retentit dans le tonnerre des vagues. Je n’ai pas la patience d’attendre pour voir si la pêche a été bonne.
La frontière ne doit plus être loin, au vu de l’agitation qui commence à se faire sentir. Les groupes sont plus nombreux, et je capte des bribes de conversation en anglais. De la route parvient le vacarme des klaxons. On aperçoit quelques enseignes de motels. Des fumées de poisson grillé s’élèvent çà et là des maquis [petits restaurants, NDLR] qui ont poussé sur la plage. À l’arrière des cuisines, côté mer, des filles pilent des ignames pour confectionner le foufou, un plat traditionnel togolais qui ressemble au thô burkinabè.
J’arrive bientôt à une barrière de fils de fer barbelés, qui m’empêche de poursuivre ma route. Je pourrais la contourner, car elle est trouée en divers endroits, voire l’enjamber, mais un jeune homme me fait comprendre que ce serait inutile. Il me montre les militaires qui, à l’ombre de leur caserne, surveillent le rivage. « Nous, on peut y aller sans problème, ils nous connaissent, mais toi, tu ferais bien de passer par la route. » Je m’exécute en me faufilant entre les étals de pagnes, de fripes, de légumes, de beignets, sous le regard amusé des habitués. Je débouche alors dans ce qui semble être une petite gare routière. Entre une foule de taxis et de motos, quelques autobus en partance pour Accra ou pour Abidjan manifestent leur impatience à grands coups de klaxons musicaux.
Je n’ai pas l’impression qu’un quelconque douanier puisse interrompre le flot humain qui longe le bâtiment du poste-frontière. Les femmes, d’énormes ballots en équilibre sur leur tête, ne semblent même pas voir l’uniforme vert qui les dévisage. En revanche, celui-ci se lève de son tabouret quand j’approche et me demande sèchement où je compte aller.
Française sans visa, je rebrousse chemin alors que s’approchent de moi quelques gamins qui me proposent la ganja [de la marijuana, NDLR], des bracelets imitation Dior ou encore une autre route pour traverser la frontière au nez et à la barbe des soldats. Mais pourquoi tenter le diable quand le sable et les palmiers sont identiques « de ce côté-ci » ?

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires