Dîners d’affaires hors normes

Le point fort du pays – sa popularité – est devenu sa faiblesse : il est trop souvent classé parmi les destinations « premier prix ». L’objectif aujourd’hui est de conquérir une clientèle plus huppée, quitte à verser dans l’originalité.

Publié le 31 janvier 2005 Lecture : 4 minutes.

Pour préserver leurs parts sur le marché européen face à leurs concurrents directs, notamment égyptiens, turcs et marocains, les professionnels tunisiens du tourisme se sont employés, au cours des dix dernières années, à développer des « produits » haut de gamme destinés à une clientèle plus huppée : thalassothérapie – où leur pays occupe désormais le deuxième rang mondial après la France -, thermalisme, navigation de plaisance, plongée sous-marine, sports nautiques, golf, tourisme saharien – Douz et Tozeur, deux villes oasiennes situées à la lisière du désert, attirent chaque année plus de 250 000 touristes -, écologique et archéologique… Ils ont aussi développé des « produits » plus spécifiques, comme les rallyes automobiles, l’exploration des chotts, le trekking et les sports extrêmes pour les amateurs de sensations fortes. Autre « produit » actuellement en plein boom : le tourisme médical, qui attire chaque année près de 20 000 patients étrangers, intéressés par la qualité et le faible coût des soins dans les cliniques locales, mais aussi par l’opportunité de joindre l’utile (la santé) à l’agréable (les vacances au soleil).
Pour rehausser l’image de leur destination et améliorer leurs recettes, les professionnels tunisiens du secteur essayent de développer un autre « produit » haut de gamme : les voyages événementiels. Leader sur ce marché, la société française Croisière jaune est parvenue à s’imposer en moins de trois ans, grâce à une bonne connaissance du pays, à la créativité de ses équipes et, surtout, à un précieux partenariat avec Carthage Tours, numéro un des agences spécialisées dans l’organisation de réceptions. La quarantaine élégante, son président, César Saint-Ouen, est persuadé que l’avenir du tourisme en Tunisie réside dans le développement de ce filon très porteur. Mais que recouvre cette appellation de « tourisme événementiel » ?
« En 2002, les responsables de la société Évian-Volvic ont voulu réunir 650 de leurs commerciaux. Nous leur avons proposé de venir à Tozeur, qui dispose d’excellentes infrastructures hôtelières, et d’aider à la mise en valeur d’une petite oasis au nord de la ville. L’idée les a vite séduits. Les 650 commerciaux se sont ainsi mis ensemble pour reconstruire le réseau d’irrigation de l’oasis, y ont creusé un nouveau puits et monté une éolienne. Le dernier jour, le patron de la société a tenu à se déplacer lui-même en jet privé pour assister à l’événement », raconte Saint-Ouen. Qui ajoute : « Il disposait d’un énorme budget pour cet événement, qui lui aurait permis d’amener ses employés au bout du monde. Une idée très simple, mais assez fédératrice – pour une entreprise qui commercialise l’eau -, l’a convaincu de changer de destination. Il ne l’a pas regretté. Ses employés non plus. »
Autre exemple : une chaîne hôtelière internationale voulait réunir, pour sa convention annuelle, tout son staff de direction, environ 600 personnes, « ailleurs que dans un hôtel ». Croisière jaune lui a proposé d’organiser son séminaire en plein désert tunisien. Au prix d’un véritable tour de force. Des dunes ont été arrosées, le sable tassé pour former des gradins ensuite recouverts de centaines de tapis, une tente de 800 m2 dressée, divers matériels installés (audio, vidéo, liaisons satellitaires, groupes électrogènes, etc.). À côté de la grande salle plénière, on a aussi aménagé un salon de 2 000 m2, 35 salles de réunion – pour les sous-commissions -, des WC, des tentes pour dormir, d’autres pour se doucher, se restaurer, etc. Une radio locale a même été installée, ainsi qu’un village d’artisans. « Près de 280 personnes ont travaillé d’arrache-pied pendant un mois pour tout mettre au point, raconte Saint-Ouen. Pendant les deux jours de la convention, un homme en costume était planté en haut d’une dune, en train d’observer tout ce beau monde. Je lui ai demandé les raisons de sa présence. Il s’est alors présenté. C’était le patron de l’agence locale pour l’emploi. Il n’avait plus rien à faire au bureau ! »
Croisière à la recherche des dauphins sur les côtes de l’île de Djerba, déjeuner pique-nique à l’ombre des oliviers dans une crique du cap Bon, rallye culturel avec GPS et road-book à travers les ateliers d’artistes à Sidi Bou Saïd, Carthage et La Marsa, dîner de gala dans l’ancienne maison du bey de Tunis : l’équipe de Croisière jaune ne manque pas d’idées pour « vendre la Tunisie… autrement ». Son président est un vieux routier de la profession. En 1993, il avait fondé, avec un ami d’enfance, le Tunisien Karim Loukil, un tour-opérateur devenu célèbre, Couleurs locales. En 2000, la société était vendue au groupe français Accor, dont César Saint-Ouen dirige désormais le département Incentive. Un an plus tard, en novembre 2001, les deux hommes d’affaires créaient Croisière jaune. L’ancienne équipe de Couleurs locales a été appelée à la rescousse. La société s’est développée assez rapidement. De 2 900 clients en 2002, elle est passée à 6 800 en 2004, avec une augmentation du chiffre d’affaires de 1,1 million à 3 millions d’euros et du résultat net après impôts de 4 782 à 80 000 euros (prévisions). La société emploie 10 salariés en France et 18 en Tunisie, directement rattachés à l’entreprise mère.
Pourquoi Croisière jaune s’est-elle spécialisée dans la Tunisie ? Réponse de César Saint-Ouen : « Je ne connais pas bien les autres destinations. Ici, j’ai beaucoup d’entrées et un partenaire bien implanté, Tunisie Voyages. C’est très important. Car, lorsqu’on organise des voyages événementiels, on sort nécessairement des sentiers battus, et on bouscule les habitudes. L’organisation de chaque événement nécessitant un ensemble d’autorisations spéciales, il faut donc absolument connaître des gens haut placés et avoir des entrées au sein de l’administration. »
Croisière jaune organise entre 60 et 70 événements par an. Ses tarifs varient entre 800 et 1 200 euros par personne et par opération (frais d’avion compris). C’est du sur mesure et du cousu main. Donc du haut de gamme. Bien loin, en tout cas, du tourisme bon marché, image encore trop associée à la destination Tunisie.

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