Débats : l’identité virtuelle, une étape vers l’inclusion financière
Dans son essai L’Afrique à l’heure des choix, le secrétaire executif du Nepad dresse la révolution digitale en rempart contre les freins de l’économie informelle.
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Ibrahim Assane Mayaki
Ibrahim Assane Mayaki est le secrétaire exécutif du NEPAD.
Publié le 28 juin 2018 Lecture : 4 minutes.
Quand on parle du secteur informel africain, on a vite tendance à oublier que les transactions du quotidien avaient encore lieu en monnaie traditionnelle pendant une bonne partie du XXe siècle dans la majeure partie du continent. Les puissances coloniales avaient installé les premières infrastructures financières au service exclusif de leur système économique parallèle, si bien que les interconnexions étaient limitées entre les deux mondes. Cette dichotomie s’est prolongée et a muté jusqu’au système que nous observons aujourd’hui dans nos pays. Les ponts se sont multipliés, mais il est clair que deux économies continuent de coexister sans guère échanger.
Il faut bien comprendre que l’informel est plus qu’une simple dénomination administrative désignant les activités échappant au contrôle de l’État ; il est un mode de vie, une tradition. Il est l’économie africaine endogène. Selon une étude du FMI parue en 2017, le secteur informel est d’ailleurs une composante essentielle de la plupart des économies subsahariennes, où sa contribution au PIB s’échelonne entre 25 et 65 % et où il représente entre 30 et 90 % de l’emploi non agricole. Ce sont des artisans, des mécaniciens, des tailleurs, des marchands, des chauffeurs de taxi, des maçons… Le plus souvent, le secteur informel n’est autre que l’employeur de dernier recours.
Un secteur dysfonctionnel
Si le secteur informel fonctionnait plus efficacement, il pourrait améliorer le sort de centaines de millions de nos concitoyens. Pour l’instant, malheureusement, le secteur informel a crû plus rapidement que le reste de l’économie. On peut en vanter la vitalité, mais la vérité, c’est que l’informel est le lieu où s’exercent les forces de marché les plus brutales sans les institutions et l’État de droit pour les contenir et les orienter. L’informel est fondamentalement dysfonctionnel et ne peut pas dans sa forme actuelle permettre à nos économies d’émerger.
La solution réside selon moi dans les nouvelles technologies. Pourquoi ?
Quelques mots sur la révolution technologique en Afrique. Le continent comptait plus de 350 millions d’internautes au début de 2017, soit un taux de pénétration d’environ 30 %. C’est beaucoup, même si cela reste insuffisant pour provoquer immédiatement cette révolution.
Cependant, la tendance à court et moyen terme est inéluctable. Si l’on ajoute la tendance à l’équipement massif de la population en smartphones de plus en plus puissants et bon marché, ou encore les projets de réseaux comme Facebook et son initiative internet.org, il est clair que, tôt ou tard, chacun aura son identité virtuelle, qui s’accompagnera plus tôt que tard d’une identité financière.
La technologie comme remède
Cette identité virtuelle est tout ce qui manque au secteur informel pour s’insérer pleinement dans l’économie formelle. Cela commence par l’accès au crédit, qui reste l’un des problèmes les plus pressants pour les entrepreneurs africains. Déjà, une nouvelle génération de banques digitales propose des prêts fondés sur des analyses big data du comportement des emprunteurs.
Par exemple, une start-up du Botswana a constaté que, lorsqu’une personne classe son répertoire téléphonique en utilisant les noms et prénoms au lieu de patronymes uniques, elle fait moins défaut (16 %) pour le remboursement d’un crédit. Au Rwanda, des agriculteurs se sont rassemblés en association pour proposer leurs récoltes à des grossistes mis en concurrence au sein d’un même groupe WhatsApp. Ces progrès sont très prometteurs.
Il faut mener en parallèle des politiques incitatives et originales. Le Brésil a par exemple instauré une « loterie de tickets de caisse ». Chaque semaine, un numéro de ticket de caisse, qui ne peut donc exister que dans une entreprise inscrite au registre du commerce, est tiré au sort, et celui qui peut le produire gagne une grosse somme d’argent ou bien le droit d’apparaître dans un jeu télévisé à succès. On estime que les revenus déclarés par les commerçants de São Paulo ont crû de plus de 20 % dans les quatre ans qui ont suivi cette mesure. Les autorités fiscales peuvent également avoir recours à des plateformes numériques pour surveiller l’activité économique.
Une nouvelle interaction économique
Le moyen le plus incontournable et le plus évident aujourd’hui consiste à faire du haut débit généralisé le déclencheur de cette nouvelle ère de croissance. Mais pour que cet effort d’investissement profite réellement à l’Afrique, il doit favoriser un dialogue et une coopération de fond entre les différents acteurs de l’écosystème – entreprises, milieux universitaires et gouvernements – en les intégrant dès le départ.
La révolution mobile ainsi que d’autres technologies émergentes telles que l’impression en 3D, les drones et l’énergie solaire offrent d’importants points de départ pour une nouvelle vague d’innovations made in Africa, si nous parvenons à former et à attirer les ingénieurs qui seront capables d’adapter ces technologies à nos besoins.
Une fenêtre d’opportunité très claire se dessine pour les dix prochaines années. Dans ce domaine comme dans d’autres, la coopération de nos communautés économiques régionales et de nos institutions panafricaines sera la clé, que ce soit pour négocier les meilleurs contrats, établir les meilleures synergies, concevoir les bonnes pratiques communes – notamment en matière de fiscalité – ou pour obtenir les meilleures conditions financières. La conjugaison des forces vives de l’informel avec la capacité presque organique des nouvelles technologies à connecter et à organiser une nouvelle interaction économique peut tout déclencher. À nous de les coordonner.
Texte adapté du chapitre XI de L’Afrique à l’heure des choix, essai paru le 13 juin (Éditions Armand Colin, Paris).
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