[Tribune] Lettre ouverte aux édiles ivoiriens

Ne trouvant pas un seul point positif dans leur mandat, le journaliste et caricaturiste Lassane Zohoré plaide pour un renouvellement des maires.

Dans un bureau de vote d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 2011. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

Dans un bureau de vote d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, en 2011. © Emanuel Ekra/AP/SIPA

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Publié le 29 juin 2018 Lecture : 4 minutes.

Le quartier du Plateau, à Abidjan, où l’entreprise rénove la tour Shell. © Jacques Torregano pour JA
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Côte d’Ivoire : deuxième souffle

Nouveaux équilibres politiques, frémissement économique, multiplication des projets d’envergure, dynamisme culturel… La métamorphose du pays, tous domaines confondus, se poursuit.

Sommaire

Monsieur le maire,

Après plusieurs reports, le gouvernement semble enfin décidé à organiser les élections municipales. Ce qui signifie que ton mandat sera remis en jeu. Tu auras à affronter plusieurs candidats qui lorgnent ton fauteuil. Sache que cela n’a rien de personnel, c’est le jeu de la démocratie. On ne peut aller au paradis sans mourir. C’est d’ailleurs par ce même mécanisme que, toi aussi, tu es devenu maire en battant dans les urnes ton prédécesseur qui avait occupé ce poste pendant une vingtaine d’années.

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Je me souviens que ta candidature avait suscité beaucoup d’espoir. Tu semblais être un homme de conviction, fougueux et rempli d’ambitions pour la commune qui t’avait vu naître. Les jeunes avaient porté ta voix et, malgré ton étiquette d’indépendant, tu avais « couché » tous tes adversaires, pourtant parrainés par leurs partis respectifs. Par ta verve, tu avais réussi à nous convaincre que la gestion de notre cité n’avait rien à voir avec la politique.

« Tu nous as tous floués ! »

Aujourd’hui, que dirais-tu de dresser ensemble ton bilan ? L’année précédant ton élection, tu avais préparé ta victoire discrètement. Tu avais écumé tous les quartiers de la cité avec ton équipe, rencontrant au passage les associations de jeunes, les grandes familles, les communautés ethniques et religieuses. Tu étais le parrain de quasiment tous les tournois sportifs, tu étais présent à toutes les funérailles aux côtés des familles éplorées, tu assistais aux baptêmes…

Bref, tu étais partout car ce fauteuil te tenait particulièrement à cœur pour mettre en œuvre ton programme de développement. C’est vrai qu’au début nous étions très méfiants, comme nous l’étions d’ailleurs à l’égard de tous les autres candidats. Mais ton engagement et ta bonne humeur contagieuse ont su nous convaincre.

Quid des idées géniales que tu voulais déployer pour résorber le chômage au sein de la jeunesse ?

Finalement, la victoire t’était revenue haut la main. Mais qu’en as-tu fait ? Quid des idées géniales que tu voulais déployer pour résorber le chômage au sein de la jeunesse ? Qu’en est-il du social hardi que tu voulais développer au profit des couches les plus défavorisées ? Des permis de conduire que tu voulais distribuer aux jeunes ? De l’insalubrité, de l’occupation anarchique des trottoirs que tu voulais combattre ? Des meilleurs élèves de la commune que tu voulais récompenser ? Ta solution alternative pour réparer les voies trouées surnommées « routes awalé » avec des pavés ?…

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>>> A LIRE – Élections en Côte d’Ivoire : municipales et régionales seront couplées, mais quand auront-elles lieu ?

Tu nous as tous floués ! Ton vieux prédécesseur, au moins, nous accordait audience. Mais toi, tu es complètement « rentré en brousse », comme disent les Ivoiriens. Au point que tes administrés, en plaisantant, affirment que quand tu avais besoin de leurs suffrages, tu étais fan comme un éléphant. Mais depuis que tu es devenu maire, tu es fan comme un fantôme. Même les mariages, tu laisses à tes adjoints le soin de les célébrer. Sauf quand tu as des affinités familiales ou amicales avec les mariés.

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« Non, merci ! »

Ton mandat n’a été qu’une succession de scandales de détournements de deniers publics, de collectes de taxes parallèles, d’expropriations et de ventes illicites de terrains, de marchés octroyés à tes proches, etc. J’ai beau me triturer les méninges pour retenir un seul point positif de ton mandat, je n’en trouve pas.

La parole est sacrée, mais hélas, la tienne ne vaut plus grand-chose

Et 2018 est une année d’élections. Te voilà encore en train de nous baratiner. En cinq ans de mandat, c’est la première fois que tu viens recueillir nos préoccupations. Non, merci ! Tu pensais sans doute que ton mandat n’arriverait jamais à expiration ? Détrompe-toi ! Cinq ans, ça passe très vite ! La preuve, nous voilà de nouveau face à face. On dit chez nous « Premier gaou n’est pas gaou… » La parole est sacrée, mais hélas, la tienne ne vaut plus grand-chose.

Monsieur le maire, je voudrais te poser une question : étais-tu obligé de présenter ta candidature si tu n’avais aucune conviction pour faire face aux grands défis que nous espérions te voir relever ? Tu aurais dû rester dans ton coin si tu n’avais pas de considération pour la gestion de la chose publique. Par ta faute, nous avons perdu cinq ans, et tu veux remettre ça, un comble ! Tu dois sans doute prendre les habitants de ta cité pour des moutons ! Mais tu as dû toi-même rectifier assez vite ce point de vue.

Souviens-toi, cette vieille dame qui a fait une chute et que tu t’es empressé de relever. Lorsqu’elle t’a demandé comment te remercier, tu lui as dit, sous forme de boutade, de voter pour toi. Sa réponse a été on ne peut plus tranchante : « Tu es fou ? Je suis tombée sur le dos, pas sur la tête ! »

Médite cela.

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