Tricolores au pays de l’Arc-en-Ciel

Colloque à Johannesburg le 12 novembre, semaine française du 13 au 16 novembre, journée « Coupe du monde » en mars 2007… Paris veut renforcer sa présence à l’autre bout du continent africain. Mais doit avant tout convaincre ses propres entreprises de la

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 7 minutes.

« Les Français qui sont là-bas ne sont pas malheureux. » À l’ouverture du colloque « Afrique du Sud : l’âge de l’espoir », le 12 octobre dernier au Sénat, à Paris, le sénateur Henri Ferrand, président du groupe interparlementaire France-Afrique du Sud, veut donner envie aux investisseurs. Pendant plus de quatre heures, les entreprises de son pays présentes en Afrique du Sud viendront ensuite à la tribune exposer leurs bonheurs et réussites au pays de l’Arc-en-Ciel devant un parterre attentif. Les Sud-Africains s’exprimeront en anglais, y compris les membres de l’ambassade d’Afrique du Sud à Paris. Un indice sur leur état d’esprit, comme pour signifier aux Français qu’ils doivent s’adapter à eux, pas le contraire.
Ce grand pays, presque deux fois plus vaste que la France, a parcouru un énorme chemin depuis 1994, date de la fin de l’apartheid. Première économie africaine, jeune démocratie stable, exemple à suivre pour un continent dévasté : les mots pour décrire l’Afrique du Sud sont toujours flatteurs. L’économie de cette nation de 50 millions d’habitants va relativement bien. La croissance du PIB est en augmentation régulière. Pourtant, aux yeux du gouvernement et de son nouveau vice-Premier ministre Phumzile Mlambo-Ngcuka, nommée en juin 2005, les 4,9 % atteints en 2005 ne sont pas suffisants. Il faut viser au moins 6 % pour réduire le chômage et faire reculer la pauvreté. Les finances publiques sont saines, avec un petit déficit. La balance commerciale est légèrement déficitaire depuis 2004, mais sans plus. Les nouveaux consommateurs sud-africains achètent beaucoup et sont friands de produits importés. L’inflation est contenue, grâce à des taux d’intérêt maintenus autour de 7 %.
Deux points inquiètent cependant les économistes. La monnaie nationale, le rand, a tendance à faire du yo-yo. Mi-octobre, il fallait presque 10 rands pour 1 euro ou 1 dollar. Huit mois plus tôt, en mars, il en fallait 7. Une dépréciation qui déroute les entreprises, car les fluctuations sont plus fréquentes depuis un an. Faut-il exporter ou s’installer ? Plus d’un patron étranger hésite. Autre problème, plus structurel celui-là, le chômage. Il touche 40 % des Sud-Africains (49 % pour la population noire), soit 8 millions de personnes. La politique très volontariste du Black Economic Empowerment (voir encadré) ne fait pas de miracle. Côté politique, Thabo Mbeki tient fermement les rênes du pouvoir, à la tête du parti du Congrès national africain (ANC), majoritaire. L’épisode fâcheux de son vice-Premier ministre Jacob Zuma, tombé pour corruption mi-2005 (voir J.A. n° 2368), est déjà oublié. Comme tout pays en développement, l’Afrique du Sud voit apparaître une classe moyenne, qui gonfle les rangs des consommateurs. Le modèle référent est américain. Les élites noires veulent montrer qu’elles ont de l’argent. Signe des temps, les Sud-Africains achètent aujourd’hui plus de Ferrari que les Français.
« Les entreprises sont trop timides, il faut venir », lance Yves de Ricaud, le chef de la mission économique française installée à Johannesburg, mais aussi au Cap. Il relève que 150 groupes français seulement sont implantés en Afrique du Sud. « C’est trop peu. » Sophie Ferrand-Hazard, directrice de la Chambre de commerce France-Afrique du Sud, avance une explication. « Durant l’apartheid, les Français sont partis, ne voulant pas cautionner le système. Les Allemands sont restés. » De fait, l’Allemagne est le premier fournisseur de l’Afrique du Sud (14 % de parts de marché en 2005), devant la Chine, en forte progression (9 %). Puis viennent les États-Unis, le Japon et le Royaume-Uni. La France n’arrive qu’en septième position, avec 4,4 % de parts de marché, en régression. Elle est suivie de l’Inde, l’Égypte, la Thaïlande et le Vietnam. Pourtant, comparé aux performances économiques françaises dans l’ensemble du continent, ce résultat est plutôt bon : l’Afrique du Sud représente 23 % du commerce extérieur français en Afrique subsaharienne, et même 73 % de ses débouchés dans la Southern African Development Community (SADC), qui compte 14 pays : Angola, Botswana, RD Congo, Lesotho, Madagascar, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Afrique du Sud, Swaziland, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe.
La France est le huitième investisseur étranger en Afrique du Sud, avec un stock de 600 millions d’euros. « Ça, c’est la statistique, mais je pense qu’on n’est pas loin du milliard », estime Yves de Ricaud, de la mission économique française. Alcatel, Total, RATP, Schneider, Valeo, Accor, Snecma, Sagem, Peugeot, Areva, Bouygues font partie des 150 entreprises implantées là-bas. « Il manque du monde à l’appel, nous sommes en train d’en dresser la liste », ajoute Yves de Ricaud. En effet, si les « classiques » multinationales françaises sont là, les petites et moyennes entreprises sont les grandes absentes. « Il n’y a pas une énorme demande en provenance de la France, explique Sophie Ferrand-Hazard, qui revendique 140 adhérents à la chambre. « Les a priori des Français sont nombreux vis-à-vis de ce pays. On pense qu’il y a un gros décalage horaire [alors qu’il est nul avec la France, NDLR], que ce pays est violent, que les contraintes liées au Black Economic Empowerment [BEE] sont insurmontables », indique-t-elle.
L’indifférence est réciproque, car les Sud-Africains connaissent très mal la France et la considèrent en outre comme un fournisseur comme un autre, ni plus ni moins. « Nous sommes sur un vrai marché concurrentiel. Si les Français apportent une véritable valeur ajoutée, ils seront choisis », explique Sophie Ferrand-Hazard. L’exemple des constructeurs automobiles français est significatif. Actuellement, les ventes de Renault et de Peugeot-Citroën explosent, car les modèles plaisent et sont compétitifs (+ 13,6 % par rapport à 2004). Idem dans le secteur des cosmétiques, pour L’Oréal.
La barrière de la langue est souvent rédhibitoire. L’anglais règne sans partage, même si Thabo Mbeki veut développer la langue française. « Il faut également avoir l’esprit aventurier, être un entrepreneur dans l’âme, car, ici, vous n’aurez pas de facilités particulières », ajoute Mme Ferrand-Hazard, habituée à des chefs d’entreprise à la recherche d’une installation « clé en main ». La corruption de l’administration ? « Pas à ma connaissance, témoigne Henri de Villeneuve, un chef d’entreprise, président des conseillers du commerce extérieur français. Le système administratif est lourd, tatillon, précis, mais pas dans un but de corruption. » Une impression confirmée par le classement 2005 de l’ONG Transparency International, qui classe l’Afrique du Sud au 46e rang sur 158 pays, première en Afrique subsaharienne, au même niveau de perception de la corruption que des pays européens comme l’Italie ou la Grèce.
L’insécurité est en revanche un vrai problème. Les statistiques s’affolent. En 2005, l’Afrique du Sud a compté quelque 19 000 assassinats, 55 000 viols, 260 000 cambriolages et 120 000 hold-up. Ce qui fait du marché des équipements de sécurité l’un des plus porteurs ! Pour les entreprises installées en Afrique du Sud, un confortable budget sécurité est à prévoir. Autre contrainte locale, le BEE, une spécificité de l’économie sud-africaine (voir encadré). Cette « discrimination positive » en faveur des « personnes historiquement défavorisées » (entendre : les populations noires) doit être bien comprise par les investisseurs. Elle doit également être bien vécue. « Quitte à le faire, autant le faire à fond », explique Gérard Farrenc, directeur des ventes pour l’Europe et le Sud chez l’équipementier français de télécommunications Alcatel. « Nous avons choisi d’être leader dans ce domaine BEE, car l’ensemble des éléments à atteindre sont primordiaux pour l’attribution des marchés », continue Gérard Farrenc. En novembre 2003, Alcatel South Africa avait cédé 30 % de ses parts à une société partenaire locale, dirigée par des personnes noires. Armé d’un esprit d’entrepreneur, ni peureux ni téméraire, parfaitement bilingue anglais, suffisamment ouvert d’esprit pour comprendre et intégrer le BEE, voilà le profil type de notre futur investisseur français.
Reste à savoir ce qui rapporte, les fameux « marchés porteurs ». « La liste est très longue », explique Yves de Ricaud. Ceux qui ne se reconnaîtraient pas tout à fait dans ce portrait-robot peuvent toujours commencer par le commerce. Sur ce plan, la présence française en Afrique du Sud est dominée par de grands postes. L’aéronautique représente 30 % des exportations françaises. Dans le cadre du fabuleux contrat de 3,5 milliards de dollars et 41 appareils qu’il a signé en 2002 avec South African Airways, Airbus va livrer des avions jusqu’en 2010. L’automobile représente 10 % des ventes, puis viennent les technologies de l’information, les produits pharmaceutiques ou encore les cosmétiques. Au premier semestre 2006, certains secteurs ont explosé comme l’agroalimentaire, les équipements électriques et mécaniques, ou encore les biens de consommation. Malgré son développement économique, le pays souffre encore d’infrastructures insuffisamment développées, notamment en dehors des grandes villes. L’énergie, les transports, ports et aéroports sont en première ligne. Ainsi, en septembre 2005, RATP Développement, filiale de la RATP, qui gère les transports en commun à Paris et en Île-de-France, a été sélectionnée avec Bouygues et trois autres partenaires pour construire une voie ferrée rapide entre Johannesburg et Pretoria, via l’aéroport international de Johannesburg. Un projet de 700 millions d’euros, appelé Gautrain, qui durera vingt ans.
« Les Sud-Africains ne nous attendent pas, mais si l’on apporte une vraie valeur ajoutée, on a une carte à jouer. On peut monter des joint-ventures assez facilement entre bureaux d’études français et sud-africains, trouver des partenaires de génie civil sans problème », explique Jean-François Bourgeois, directeur de projet chez RATP Développement. Même enthousiasme chez Bouygues : « Le potentiel de développement est énorme. Il y aura des opportunités dans l’énergie. Songez qu’Eskom, l’équivalent local d’EDF, veut investir 2 milliards d’euros par an jusqu’en 2011. Dans les transports, le parc automobile croît de 7 % par an, le trafic aérien de 20 % », explique Jean-Pierre Margolin, de Bouygues Travaux Publics. Stabilité politique, croissance économique, rude concurrence venue du monde entier, l’Afrique du Sud fait donc figure de pays idéal pour bon nombre d’investisseurs. À l’instar des jeux Olympiques de Pékin, la Coupe du monde de football dans moins de quatre ans sera un formidable coup de projecteur sur ce pays, figure de proue et référence pour toute l’Afrique.

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