[Tribune] UA, es-tu là ?
Pour les citoyens ordinaires, l’UA peine à prouver sa pertinence. Une chose est nécessaire quand les gens ne peuvent faire sans elle, nous dit le dictionnaire. L’UA est-elle nécessaire ? La réponse est non.
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Nanjala Nyabola
Écrivaine et éditorialiste politique kényane.
Publié le 27 juin 2018 Lecture : 3 minutes.
En 2017, 171 635 personnes ont débarqué sur les côtes européennes – pour la plupart, des jeunes Africains qui ne vivaient pas dans des zones de conflit mais dans des régions incapables de leur offrir l’opportunité espérée. Les embarcations de plus de 3 000 autres ont été vaincues par la Méditerranée. Des trois grandes routes qui permettent aux migrants de tenter de gagner l’Europe via la mer, celle reliant la Tunisie et la Libye à l’Italie est de loin la plus dangereuse.
En avril 2017, je suis allée à Palerme, en Italie, pour parler à certains de ceux qui ont survécu. Je voulais savoir ce que leur gouvernement avait fait pour eux, s’ils reviendraient au Sénégal ou au Nigeria s’ils en avaient l’occasion. Tous ou presque m’ont répondu que c’est à contrecœur qu’ils avaient quitté leur foyer. « Je me suis réveillé un matin, j’ai regardé autour de moi et j’ai compris qu’il n’y avait pas de place pour moi en Afrique. Alors je suis parti », m’a dit l’un d’eux.
Silence meurtrier
Ce qui se passe en Méditerranée est, pour l’Union africaine, une occasion manquée de prouver qu’elle ne travaille pas uniquement pour les puissants. Son silence et la réaction aussi lente que limitée de ses membres peuvent donner l’impression qu’il s’agit là d’une crise européenne. Un sommet UA-UE a d’ailleurs été organisé et financé par les Européens, et le document qui en est sorti est évidemment axé sur les besoins de l’Europe.
Il n’y a pas eu de proposition politique de l’Afrique, et aucun effort n’a été fait pour protéger la jeunesse de ce continent
Et pourtant, ce sont des Africains qui meurent. Quelques rapatriements d’urgence ont bien été décidés quand CNN a révélé que des migrants étaient réduits en esclavage en Libye, mais c’est tout. Il n’y a pas eu de proposition politique de l’Afrique, et aucun effort n’a été fait pour protéger la jeunesse de ce continent.
L’UA pourrait ne pas être, la vie des Africains n’en serait pas affectée. Elle pourrait disparaître que des millions de personnes continueraient à traverser les frontières, à commercer les unes avec les autres et à risquer leur vie pour échapper à la précarité. Pourquoi ? Parce que l’UA n’a pas fait de leur survie une priorité.
« Un club de présidents » ?
Chaque fois qu’une crise a éclaté en RD Congo, au Burundi ou au Zimbabwe, l’utilité de l’UA a été mise en question. Moi-même, alors que je préparais une table ronde sur le sujet pour The Africa Report, j’ai posé la question sur Twitter : l’UA est-elle nécessaire ? Aucun de mes followers n’a répondu oui. L’OUA devenue UA devait être l’occasion d’un renouveau de l’alliance continentale. Mais au lieu de cela, nous avons assisté à une prolifération de la bureaucratie, qui s’explique en partie par le fait que l’UA a toujours été soumise aux États qui la composent et réticente à se mêler de leur politique intérieure.
« L’UA est un club de présidents », entend-on parfois. Mais les clichés sont parfois fondés. Pour qui l’UA parle-t-elle et quand le fait-elle ? Lorsqu’il s’agit de défendre le droit d’un dirigeant africain à rester au pouvoir, elle est très rapide et très claire… Mais l’entend-on s’inquiéter pour les milliers de migrants qui tentent de trouver leur chemin vers l’Europe ?
Pour une organisation différente
La pérennisation des États et des frontières est l’une des pires erreurs que l’Afrique ait commises. La création de la forteresse Europe est l’une des pires erreurs que les Occidentaux aient commises. Quant à nous, Africains, nous ne pouvons pas nous définir en fonction de ce que l’Europe est ou n’est pas. Une union politique qui préfère regarder les gens mourir plutôt que de leur donner la chance d’avoir une vie différente ne vaut pas la peine d’être imitée. Quitte à copier ce que fait l’Europe, inspirons-nous plutôt des réglementations en matière de respect de la vie privée ou de liberté d’organisation politique.
J’ajoute ne pas être convaincue que l’État soit le moyen le plus efficace de mettre de l’ordre dans nos sociétés. Compte tenu du caractère relativement récent des frontières africaines, nous devrions penser l’UA comme une manière de nous organiser différemment. Et peut-être que si elle commençait par donner la priorité aux populations africaines qu’elle prétend défendre, elle pourrait redéfinir la notion même d’organisation étatique. Mais tout cela demande du courage… et prendra donc beaucoup de temps.
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