Hery Rajaonarimampianina : « Les Malgaches sont lassés par les guerres d’ego entre leurs dirigeants »

Alors que son pays peine à sortir de la crise politique, le président malgache s’exprime pour Jeune Afrique. Manifestations de l’opposition, ultimatum de la Haute cour constitutionnelle, stratégie face à ses prédécesseurs Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana… Hery Rajaonarimampianina aborde tous les dossiers.

Le président malgache Hery Rajaonarimampianina, en 2014 à Paris. © Sandra ROCHA pour Jeune Afrique

Le président malgache Hery Rajaonarimampianina, en 2014 à Paris. © Sandra ROCHA pour Jeune Afrique

OLIVIER-CASLIN_2024

Publié le 18 juin 2018 Lecture : 8 minutes.

Hery Rajaonarimampianina tente de sortir de la crise politique. La nomination d’un nouveau Premier ministre au profil de « technicien », en la personne de Christian Ntsay, et la formation d’un nouveau gouvernement « de consensus » dans la foulée n’ont cependant pour l’instant pas calmé l’ardeur des opposants. Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana, ses deux prédécesseurs, continuent de faire monter la pression et un parfum de fin de règne flotte avec insistance à Antananarivo.

Le président malgache, bien décidé à se maintenir au pouvoir malgré les appels pressants de l’opposition, se pose en reconstructeur d’un pays meurtri, et accuse les deux anciens présidents de chercher à le déstabiliser. « Les Malgaches sont lassés par les guerres d’ego entre leurs dirigeants », glisse Hery Rajaonarimampianina qui, s’il n’est pas encore officiellement candidat à sa succession, met tout de même en avant son Plan de croissance et de transformation. Un « programme de président », pas un programme de candidat, assure-t-il.

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Jeune Afrique : Avez-vous été surpris par la décision prise par la Haute cour constitutionnelle, le 25 mai, qui refuse votre déchéance mais vous impose la nomination d’un nouveau gouvernement ?

Hery Rajaonarimampianina : Ce qui ne me surprend plus, c’est de voir le chemin qu’il nous reste à parcourir pour créer des institutions stables et des règles démocratiques acceptées de tous. Pour mémoire, les dates des scrutins ont été annoncées depuis mars 2017, conformément à la Constitution. Il a suffi d’une manifestation contre des lois électorales promouvant la transparence et l’équité pour tout remettre en cause. En tant que président, attaché au respect des institutions, j’accepte la solution proposée par la HCC. J’espère que les autres responsables politiques du pays feront de même.

Même si sa désignation a été plus longue que prévue, le nouveau Premier ministre – Christian Ntsay, nommé le 4 juin – semble correspondre au critère de « consensus » demandé par la HCC. Pourquoi lui ?

C’est une personnalité dont l’intégrité et l’honnêteté sont reconnues de tous. Et sa réussite à l’OIT le place au-dessus de la mêlée politique. C’est un signal fort envoyé à la population, pour leur signifier notre volonté de sortir le pays des querelles partisanes qui le plombent depuis des décennies. Au Premier ministre maintenant de faire la preuve que la satisfaction des revendications de l’opposition amènera un processus électoral apaisé.

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En quatre ans, vous avez survécu à plusieurs tentatives de destitution, comme s’il vous fallait constamment asseoir votre légitimité…

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L’opposition n’a toujours pas digéré ma victoire de 2013. Ce ne sont que des manœuvres, sans fondement, comme c’était encore le cas cette fois. Pendant que je m’attelle à la reconstruction politique, économique et social du pays, d’autres préfèrent s’évertuer à me déstabiliser.

Vous avez-même parlé de tentative de coup d’État le 21 avril…

Oui, car la démarche était clairement anticonstitutionnelle. Un groupe de députés refuse de voter des lois présentées à l’Assemblée, va faire entendre son désaccord dans la rue et très vite il demande la démission du président, du gouvernement et de plusieurs corps constitués. Comment qualifier cela autrement ? Le rejet de ces lois électorales n’était qu’une excuse fallacieuse pour d’autres revendications.

La HCC vous a quand même demandé d’en retoquer de nombreux articles jugés anticonstitutionnels, le 4 mai. Que répondez-vous à ceux qui vous accusent d’avoir voulu changé les règles du jeu quelques mois avant les élections ?

La HCC a pris ses responsabilités et en signe d’apaisement j’ai suivi leur avis et promulgué les lois débarrassées des dispositions qui posaient problème à l’opposition. Et de mon point de vue, la démocratie en sort renforcée, sur le long terme, à Madagascar. Je rappelle également que ces lois ont été le fruit d’un long processus de concertation, démarré en 2016 et où ont été conviés les opposants, la société civile, les médias… Tout le monde était présent.

L’opposition vous reproche de n’avoir tenu aucun compte de ses propositions…

Ils sont de très mauvaise foi. Des milliers d’avis ont été donnés. Il fallait bien en faire une synthèse. J’estime, moi, que nous avons écouté l’opposition. Ce n’est pas de la faute du gouvernement s’ils ont ensuite préféré quitter l’hémicycle plutôt que d’en débattre lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale, dans le respect du jeu démocratique.

L’armée n’a pas tiré et je peux vous affirmer qu’elle n’a jamais reçu l’instruction d’ouvrir le feu

Quand connaîtra-t-on les conclusions de l’enquête ouverte au lendemain des événements du 21 avril [qui se sont soldés par au moins deux morts] ?

Elle est toujours en cours. Mais nous avons déjà les premiers résultats de l’autopsie, qui montre qu’une des personnes est décédée par chevrotine. L’armée n’a pas tiré et je peux vous affirmer qu’elle n’a jamais reçu l’instruction d’ouvrir le feu. Elles étaient présentes sur les lieux pour assurer la protection des biens et des personnes et elles se sont retirées pour éviter une escalade. Les forces armées n’ont joué que leur rôle dans cette histoire. Et le mien est d’apaiser le contexte, pas de l’enflammer.

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N’était-ce pas une maladresse de votre part, de quitter le pays pendant 48 heures au même moment ? [On sait aujourd’hui que le président était à Paris, pour s’entretenir avec Franck Paris, le « Monsieur Afrique » de l’Élysée]

Qui pouvait prévoir de tels débordements ? Un président n’est pas un devin et son agenda est préparé longtemps à l’avance. Je suis d’ailleurs rentré le soir même. Cela n’a rien à voir avec les rumeurs de fuite propagées par l’opposition. J’étais déjà parti depuis 24 heures quand les événements sont survenus dans la capitale.

Vous comprenez la frustration et le mécontentement affiché aujourd’hui par une partie de la population ?

Je comprends et j’explique. On ne peut pas, en quelques jours, redresser un pays marqué par 55 années de crises cycliques. Il faut se souvenir d’où nous revenons. Le taux de pauvreté était de 92 % à mon arrivée au pouvoir et Madagascar était alors au ban des nations. Bien sûr les attentes de la population sont importantes, mais les défis sont énormes. Prenez le cas du riz, qui est la principale cause d’inflation dans le pays, nous avons subi l’an dernier une sécheresse, suivie d’une inondation, qui ont causées la perte de 70 % des récoltes.

Des manifestants à Antananarivo, le 25 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

Des manifestants à Antananarivo, le 25 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

Les Malgaches sont lassés par les guerres d’ego entre leurs dirigeants

Vous dites que vous expliquez, mais beaucoup de gens vous reprochent justement de peu vous exprimer. Pourquoi ne prenez-vous pas davantage la parole ?

Je l’ai toujours fait quand il le fallait, pour apaiser et non pas attiser, comme d’autres. Je m’adresse à la population chaque vendredi via les réseaux sociaux. Je profite de chaque inauguration, comme pour la pose de la première pierre du port de Tamatave, le 23 avril, pour expliquer aux gens qu’il faut la stabilité pour assurer le développement économique. C’est ma pédagogie.

Ne pensez-vous pas que les Malgaches auraient également aimé vous entendre sur les différents scandales intervenus ces dernières années et mettant parfois en cause vos proches ou vos ministres ?

J’ai déjà donné ma position sur ces différentes affaires. Il ne faut pas donner plus d’importance à ces histoires qu’elles n’en méritent. J’estime qu’un président à mieux à faire que de revenir constamment sur ce genre de dossier.

Quels rôles jouent, selon vous, vos deux prédécesseurs dans la crise actuelle ?

Ils en sont les principaux acteurs. Comme toutes les crises qui secouent ce pays depuis ces quinze dernières années. Ils doivent aussi se regarder dans un miroir et réfléchir à leurs actes. Les Malgaches sont lassés par les guerres d’ego entre leurs dirigeants. L’avenir du pays ne peut être prisonnier d’une lutte passionnelle entre les deux hommes de 2009.

Andry Rajoelina, ancien président malgache, dans la foule à Antananarivo, le 23 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

Andry Rajoelina, ancien président malgache, dans la foule à Antananarivo, le 23 avril 2018. © REUTERS/Clarel Faniry Rasoanaivo

Andry Rajoelina a une conception très personnelle du pouvoir

Pensez-vous, comme de nombreux observateurs, qu’Andry Rajoelina est le principal bénéficiaire des décisions annoncées par la HCC ?

Non, au contraire. Le plan de l’ancien président de la transition était d’une toute autre nature, puisqu’il s’agissait d’imposer à Madagascar un gouvernement sans passer par les urnes, en me poussant à démissionner pour installer une nouvelle transition. Mais les Malgaches n’en veulent pas. Ces périodes ont toujours fait reculer le pays.

Andry Rajoelina a une conception très personnelle du pouvoir. Il est obsédé par l’image de putschiste qui lui colle à la peau et qu’il veut effacer. Je m’interroge également sur la nature de son alliance avec le TIM [Tiako i Madagasikara, parti de Marc Ravalomanana, ndlr]. J’ai du mal à croire que Marc Ravalomanana se retirerait en faveur de celui qui l’a condamné aux travaux forcés et à l’exil.

Et vous, seriez-vous prêt à vous entendre avec lui pour avoir le soutien de son camp ?

La démocratie ne se marchande pas, ni dans la rue, ni dans les coulisses. Si le TIM pense pouvoir travailler au bien commun avec d’autres partis politiques, qui pourrait refuser leur concours ? Une démocratie se construit à plusieurs et le TIM a évidemment voix au chapitre. Tous ceux qui veulent se présenter peuvent le faire.

Hery Rajaonarimampianina a été élu à la présidence de Madagascar en 2014. © Sandra Rocha pour Jeune Afrique

Hery Rajaonarimampianina a été élu à la présidence de Madagascar en 2014. © Sandra Rocha pour Jeune Afrique

Les fondamentaux sont là et je souhaite encore les renforcer comme je l’ai exposé dans le Plan de croissance et de transformation

Quand comptez-vous annoncer votre propre candidature ?

Je prendrai ma décision au moment le plus opportun. Le plus important, pour l’instant, est de mettre en place un environnement apaisé en m’assurant que le nouveau gouvernement ne tombe pas dans les travers des coalitions de circonstance. Le Premier ministre doit préparer les élections en bon ordre. Il en est responsable devant le peuple.

Sur quel bilan comptez-vous vous appuyez pour vous représenter ?

J’ai renforcé les institutions et renouer avec les bailleurs de fonds, ce qui était la condition impérative pour voir revenir les investisseurs. Nous avons reconstruis les bases, et je veux croire qu’elles sont solides, dans la santé, l’éducation.

Nous avons remis plus d’un million d’enfants dans le système scolaire. Nous avons mis l’agriculture, l’énergie et les infrastructures au cœur de nos préoccupations, en construisant des routes, des ports, un nouvel aéroport…

Les fondamentaux sont là et je souhaite encore les renforcer comme je l’ai exposé dans le Plan de croissance et de transformation, « Fisandratana 2030 » que j’ai présenté au pays en avril.

Et qui ressemble beaucoup à un programme de candidat…

C’est un programme de président, pour reconstruire le pays sur le long terme. Ce n’est pas une simple recette de cuisine. Aucun président n’a jamais proposé un tel document à la population malgache.

Comment voyez-vous évoluer la situation d’ici aux élections ?

J’espère que les choses vont se calmer. Pour asseoir notre démocratie, nous devons aller vers ces élections. C’est pour cela que j’invite tout le monde à passer au révélateur des urnes. Mesurons-nous et écoutons la population s’exprimer. La nomination du gouvernement de consensus vient de clore la séquence ouverte par les contestations du 21 avril. Il est temps de préparer l’avenir et ces élections, aujourd’hui attendues par l’ensemble de la nation malgache.

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