Affaire Bolloré – Port de Conakry : Jean-Pierre Grenier donne sa version des faits
Opérateur historique au port autonome de Conakry, où il est présent depuis 1989, l’agent maritime Jean-Pierre Grenier livre sa version des relations entre Getma, Necotrans, le groupe Bolloré Africa Logistics et les occupants du palais Sékhoutouréya, de Lanssana Conté à Alpha Condé, en passant par Moussa Dadis Camara.
Depuis la mise en examen, le 25 avril, de Vincent Bolloré et de deux de ses collaborateurs par la justice française, dans le cadre des mises en concession des ports de Conakry et de Lomé, les langues se délient et les documents sortent des coffres en Guinée. Après Sory Camara, l’ancien directeur général du port autonome de Conakry, c’est au tour de Jean-Pierre Grenier, opérateur historique, arrivé en 1989 sur les quais, d’apporter sa contribution au dossier.
S’il préfère se taire sur les pratiques du groupe Bolloré Africa Logistics (BAL) en Afrique en général, et à Conakry en particulier, l’agent maritime est plus loquace lorsqu’il s’agit de son ancien associé, Richard Talbot, avec lequel il gérait la société Guinéenne d’entreprise de transport maritime et aérien (Getma) jusqu’en 1996.
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Le malentendu Getma / Necotrans
Cette année-là, il conserve difficilement les activités guinéennes de la société, pendant que Richard Talbot convainc quelques armateurs et part créer Getma International, qui deviendra par la suite Necotrans en 2012. Une confusion des noms qui s’est révélée handicapante pour Getma Guinée quand Richard Talbot a commencé à faire jouer ses appuis politiques dans le pays pour que sa société puisse travailler à Conakry.
« Une guerre commerciale a alors démarré, appuyée justement sur ce malentendu », confirme Jean-Pierre Grenier. Elle durera jusqu’au renvoi de Getma International/Necotrans du port, en mars 2011, avec l’aide de la troupe.
Entre temps, Richard Talbot avait réussi son coup. Il a même fait son retour à Conakry de la plus belle des manières puisque son groupe, un peu à la surprise générale, remporte en septembre 2008 le contrat de mise en concession du terminal à conteneurs.
Getma International n’avait pourtant aucun fait d’arme significatif à mettre en avant dans le domaine portuaire pour remporter la mise face à des groupes internationaux tels que le danois Maersk ou le français Bolloré. « Ils ont utilisé les termes de référence du projet MSC à Lomé pour monter leur offre sur Conakry », croit se souvenir le patron de Getma Guinée.
Dossier géré à la Primature
Le dossier semble avoir été directement géré par les services du Premier ministre de l’époque, Lansana Kouyaté, dont le gouvernement, représenté par le ministre des Transports, Mohamed Check Touré et son collègue de l’Économie et des Finances, Ousmare Dore, contresigne la convention de concession, passée le 22 septembre 2008 avec Getma International, après avoir encaissé, au nom du Trésor public guinéen, un chèque de 7,5 millions d’euros, soit la moitié du ticket d’entrée promis lors de l’appel d’offres par Richard Talbot.
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La proposition de Getma International est loin de faire l’unanimité chez les techniciens du port qui, dès les premières semaines de l’entrée en concession, tirent la sonnette d’alarme auprès des pouvoir publics pour casser le contrat.
Le mort du président Lassana Conté, quelques mois plus tard, empêche toute suspension de l’accord que son successeur, Moussa Dadis Camara, brandit dès son arrivée au pouvoir. Jusqu’à l’entrée en scène de Gilbert Diendéré, chef d’état-major du président Blaise Compaoré, envoyé à Conakry pour défendre les intérêts de Getma International. « Il discute avec les Guinéens comme s’il était le patron du port », se souvient Jean-Pierre Grenier.
L’influence des Burkinabè est suffisamment forte pour faire fléchir un Dadis Camara en mal de reconnaissance internationale
Le couple présidentiel burkinabè serait partenaire de Richard Talbot dans les activités guinéennes de sa société, « qui s’occupe notamment de la fourniture en véhicules des services de sécurité de la présidence ».
Le tournant Condé
L’influence des Burkinabè est suffisamment forte pour faire fléchir un Dadis Camara en mal de reconnaissance internationale. Pourtant, sur les quais, rien ne change et aucun des investissements prévus dans la convention ne voit le jour. L’opérateur augmente même dans un premier temps ses tarifs portuaires de 25 %, « pour se constituer la trésorerie qui lui aurait ensuite permis de développer le terminal », suppose Jean-Pierre Grenier.
Il n’en a pas le temps, puisque l’arrivée d’Alpha Condé à la présidence, fin 2010, redistribue une nouvelle fois les cartes, en faveur donc de BAL, deuxième mieux-disant lors de l’appel d’offres de 2008.
« C’était la meilleure procédure à suivre, tout le monde était pressé de redémarrer les activités du terminal, Bolloré comme les autorités publiques », estime le patron de Getma Guinée qui, en se concentrant sur les trafics de bauxite, a conservé toute sa place sur les quais de Conakry. Contrairement à Getma International, rentré donc dans le giron de Necotrans, lui-même mis en liquidation judiciaire courant 2017. Un naufrage auquel aura échappé Richard Talbot, décédé en novembre 2013.
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