Mgr Milingo ou la bête noire du Vatican

Guérisons miraculeuses, exorcismes, mariages et ordinations de prêtres mariés ?La dernière provocation du prélat zambien était celle de trop pour Rome. Il vient d’être excommunié. Retour sur une controverse entre un archevêque et sa hiérarchie.

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 4 minutes.

La longue histoire de désamour entre le Saint-Siège et Mgr Emmanuel Milingo, l’ancien archevêque de Lusaka, en Zambie, a connu son épilogue le 26 septembre. Le Vatican a annoncé l’excommunication du prélat, accusé d’avoir abusé de ses prérogatives en ordonnant quatre évêques mariés. L’Église catholique et sa brebis zambienne s’affrontent depuis le milieu des années 1970. Motif : le refus de la hiérarchie, fidèle au dogme, de laisser Milingo vivre sa foi comme il l’entend. Commentaire d’un prêtre africain basé à Rome : c’est une « blessure dans les flancs de l’Église ».

Mgr Emmanuel Milingo est né le 13 juin 1930 à Mnukwa, en Zambie, à l’époque Rhodésie du Nord. Berger à 8 ans, il conduit les troupeaux de ses parents au pâturage. L’occasion d’apprendre, notamment, à faire du feu en frottant deux pierres ou deux morceaux de bois. Ou à traverser un fleuve en crue en tenant les vaches par la queue. De cette vie il gardera un amour pour les grands espaces, synonymes pour lui d’évasion et de liberté. À 12 ans, pour la première fois, il va à l’école, chez les pères blancs de Chipata, dans l’est du pays. Il fréquente ensuite les petits séminaires de Kasina et de Chipata. Ordonné prêtre en 1958, il est affecté au diocèse de Chipata. Trois ans plus tard, ?en 1961, il arrive à Rome pour parfaire sa formation.?Il étudiera également à Dublin, en Irlande.
De retour en Zambie, l’abbé Milingo ne se contente pas de prêcher la bonne parole de l’Évangile. Il s’intéresse aussi à la vie de ses compatriotes. Et réalise que son pays, indépendant en 1964, est constitué d’analphabètes. Pour les aider à accéder au savoir, le prêtre crée une structure, la Kapata Adult Liberacy School, dont la particularité est d’alphabétiser en trente jours. Cette initiative déplaît à sa hiérarchie. Sanctionné, il est muté à Lusaka, la capitale, où, en cette année 1966, il est néanmoins nommé secrétaire de la Conférence épiscopale zambienne, chargé de la communication sociale. Il se voit confier une émission radiophonique qui aborde sans détour les travers du pays. Son nom devient célèbre à travers la Zambie. En même temps, le sort des plus démunis – les habitants des bidonvilles de Lusaka comme Kalingalinga – le préoccupe. Il s’engage alors à les aider en fondant la Zambia Helper’s Society. Celle-ci se dote de véhicules transformés en « cliniques mobiles », pour apporter une assistance sanitaire aux déshérités. Pour les besoins de la cause, il crée une congrégation, les Filles du rédempteur. En 1969, à 39 ans, le pape Paul VI le nomme archevêque de Lusaka.
Ses ennuis commencent en 1973. Il vient de prendre conscience que sa mission ne doit plus se limiter à la prédication. Il lui faut également « guérir les malades et chasser les démons ». Et le prélat de joindre l’acte à la parole. En 2001, dans un entretien au bimensuel italien Città Nuova, il raconte l’une de ses toutes premières expériences : « Il y avait à Lusaka une femme très malade, qui n’était plus qu’un squelette. Elle éprouvait une véritable haine pour son gamin. Elle avait une peur irraisonnée de ce petit garçon, qu’elle considérait presque comme un animal. Le 13 avril 1973, alors que grandissait en moi la conscience de la mission que je devais accomplir, on me les amena tous deux. J’ai cherché à comprendre de quoi elle souffrait et l’idée m’est venue qu’elle pouvait être possédée par un démon. J’ai lu une page extraordinaire de l’Évangile de Matthieu. [] J’ai béni cette femme, j’ai imploré la Trinité et j’ai compris que je devais la regarder intensément dans les yeux, et qu’elle devait faire de même. C’est ce que j’ai fait. Puis la femme s’est endormie, et j’ai prié intensément. À son réveil, elle a dit qu’elle se sentait finalement libérée de l’esclavage qui l’opprimait depuis tant de mois. Elle a repris une vie normale. »

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Des séances de ce genre se multiplient. Mgr Milingo assoit sa réputation d’exorciste et de guérisseur. Et il va encore plus loin en introduisant dans la liturgie catholique des éléments de la culture zambienne. Il traduit des chants dans sa langue, recourt au tam-tam et à la danse durant la célébration eucharistique. Il croit d’autant mieux faire que le mot inculturation, c’est-à-dire l’adaptation de l’Évangile aux cultures locales, est à la mode depuis le concile Vatican II. Erreur : des prêtres de son propre diocèse écrivent au Saint-Siège pour dénoncer sa nouvelle façon de servir Dieu. En 1982, le pape Jean-Paul II le convoque. En attendant son procès, il célèbre à Rome et ailleurs des messes auxquelles assistent des milliers de personnes. Au programme : exorcismes et guérisons.
Pour le Vatican, c’en est trop. Les évêques italiens ne l’autorisent plus à officier sans leur accord. Qu’à cela ne tienne, un hôtel, à la manière des évangéliques, fera l’affaire. Son cas s’aggrave. Le pape décide alors de le nommer « délégué spécial de la Commission pontificale pour la pastorale des migrants ». Une façon de l’empêcher de rentrer à Lusaka. Le prélat, pris en otage, souffre dans sa chair. Il est convaincu d’être traité comme « un moins que rien », un « phénomène de foire ».
En 2001, il défraie la chronique non seulement en se retrouvant dans l’Église de l’unification de Sun Myung Moon, aux États-Unis, mais également en se mariant avec Maria Sung Ryen Soon, membre de cette Église qualifiée par le Vatican de « radicalement non chrétienne ». Sous la pression du Saint-Siège, le mariage fait long feu et Milingo rentre dans le rang. Jusqu’à cette nouvelle affaire d’ordinations qui vient de lui valoir une excommunication. Pour toujours ? Au Vatican, un prêtre africain répond simplement : « Nous souffrons parce qu’il va se retrouver entre les mains de Moon. Si c’était n’importe qui, on aurait compris. Mais c’est un archevêque ! La porte reste néanmoins ouverte. » Pour un énième repentir ?

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