Madagascar en campagne

Aucun des treize candidats au scrutin du 3 décembre prochain ne semble en mesure de menacer la réélection du chef de l’État sortant. Même si son bilan reste mitigé.

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Si la réélection du président sortant, le 3 décembre prochain, ne semble pas faire de doute, la teneur des débats pourrait toutefois porter préjudice au régime. En témoigne la dégradation du climat politique consécutive à l’affaire Pierrot Rajaonarivelo. Secrétaire national de l’Arema (Action pour la renaissance de Madagascar) et opposant exilé à Paris depuis quatre ans, l’ancien vice-Premier ministre de Didier Ratsiraka a tenté à deux reprises de rallier la Grande Île. En vain. D’abord, le 7 octobre, à bord d’un appareil d’Air Austral en partance de la Réunion à destination de Toamasina (ex-Tamatave), avant que les autorités aériennes malgaches n’annoncent la fermeture de l’aéroport aux vols internationaux. Puis, le 14 octobre, en tentant d’embarquer à Maurice pour Antananarivo. Mais Air Mauritius ayant refusé de le laisser prendre place à bord, le voyageur indésirable a dû confier à son avocat le soin de déposer sa candidature à la présidentielle devant la Haute Cour constitutionnelle. Sans plus de succès : la HCC a refusé d’enregistrer son dossier en expliquant qu’il comportait « une signature légalisée par une personnalité autre que l’autorité désignée par les textes en vigueur ».
Malgré ces échecs répétés, la démarche de « Pierrot » n’a pas manqué de panache : bien décidé à rentrer au pays pour participer à la prochaine élection, il reste passible d’emprisonnement. Reconnu coupable d’indélicatesse dans la gestion des deniers publics le 8 août dernier, il a été condamné à quinze ans de travaux forcés assortis d’une interdiction d’exercer une fonction publique. Plus que cette tentative « d’infiltration », c’est la réaction des autorités qui a le plus surpris. Pour le régime, « Pierrot » constitue une menace, tout au moins sur la côte orientale de la Grande Île, d’où il est originaire. Reste qu’en empêchant coûte que coûte son retour, le gouvernement trahit une certaine nervosité, qui paraît d’ailleurs disproportionnée compte tenu de l’audience actuelle de l’Arema. En s’opposant par tous les moyens au retour de l’ex-vice-Premier ministre, le pouvoir se montre réticent à appliquer une décision de justice. Et en faisant de lui l’ennemi public numéro un, il contribue à renforcer la crédibilité de sa démarche. Une double maladresse qui risque d’attiser le vieil antagonisme ethnique et régionaliste qui oppose toujours les populations des hautes terres malgaches à celles des provinces côtières. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le trublion a d’abord choisi Toamasina pour essayer de pénétrer sur le territoire national : ville frondeuse réputée fidèle à Didier Ratsiraka, le principal port du pays compte un fort contingent de partisans de l’Arema, qui se sont d’ailleurs mobilisés en prévision du retour de leur candidat potentiel. Cette confrontation fait, là encore, le jeu de Rajaonarivelo. Dénonçant le « sectarisme du gouvernement », le candidat, qui se présente comme le représentant des côtiers, joue sur la corde sensible de la préférence communautaire.
Ces crispations ne sont pas nouvelles. Les adversaires du régime ont boycotté les « assises pouvoir-opposition » organisées le 29 mai dernier en vue de préparer cette élection. Et Ravalomanana n’a jamais fait preuve d’une habileté particulière dans ses rapports avec l’opposition. Mais cette radicalisation de la campagne révèle une appréhension réelle du pouvoir face à une opposition pourtant mal en point.
À la suite de l’arrivée au pouvoir de Ravalomanana au premier semestre 2002, les leaders les plus virulents n’ont jamais réussi à tenir le même discours. Et encore moins à mener les mêmes actions. Le 6 août 2003, Didier Ratsiraka a été condamné par contumace à dix ans de travaux forcés. Reconnu coupable de détournements de fonds publics, l’ex-chef d’État qui a été accueilli en France semble définitivement hors jeu, puisqu’il a été frappé d’une peine d’inéligibilité. Son parti, l’Arema, n’est pas parvenu à juguler sa perte d’audience consécutive au départ en exil d’une partie de ses dirigeants et à l’emprisonnement de certains autres condamnés à l’issue de la crise de 2002. Seule personnalité susceptible de rassembler ses électeurs, Roland Ratsiraka, maire de Toamasina et neveu de l’ancien président, qui pourrait capitaliser sur son patronyme pour engranger une partie des votes contestataires. De leur côté, la coalition des Forces nationales, qui, avec l’Arema, constitue l’ossature de l’opposition parlementaire, a bien essayé de faire front commun, mais elle n’a pas réussi à se trouver un chef de file suffisamment consensuel. Aussi ces formations iront-elles au front en ordre dispersé, à l’image de l’ex-ministre Ny Hasina Andriamanjato ou de l’homme d’affaires Herizo Razafimahaleo (Leader Fanilo).
Quant aux déçus de Ravalomanana, ses alliés de 2002 décidés à faire aujourd’hui cavaliers seuls (comme Jean Lahiniriko, destitué en mai de la présidence de l’Assemblée nationale), ils ne sont pas assez solides pour peser sur le scrutin. Seul l’ex-Premier ministre Norbert Lala Ratsirahonana, chef de file de l’AVI (Action, Volonté, Initiative), peut tabler sur une forte implantation dans la capitale, mais pourra difficilement bousculer les positions du parti présidentiel Tiako I Magasikara (TIM, « J’aime Madagascar »).
Dans l’écurie présidentielle, on évite de polémiquer, en préférant mettre en avant les résultats économiques de l’équipe sortante. Face à cette autosatisfaction des uns, les autres répondent sur le terrain du social. Le thème de la paupérisation revient de manière récurrente dans le discours des concurrents du président sortant, accusé d’avoir perdu la bataille contre l’inflation. C’est peut-être là l’un des points les plus dangereux pour sa popularité. Victime de dérapages incontrôlés, la monnaie nationale s’est fortement dépréciée depuis 2002. Conséquence, le prix du kilo de riz s’est envolé, et le panier de la ménagère est de plus en plus difficile à remplir. Une contre-performance que ses adversaires attribuent à la méconnaissance que Ravalomanana aurait de la gestion des affaires publiques. Mais, au-delà de son bilan, c’est surtout le style présidentiel que ses adversaires fustigent. Les attaques dirigées contre lui visent plus les intérêts de son groupe agro-industriel Tiko et l’entretien – très coûteux – de l’avion présidentiel Air Force One, que les projets de loi présentés par son gouvernement. Il est vrai que, de son côté, le Chairman a toujours dit qu’il souhaitait diriger Madagascar comme une entreprise privée.
En bon capitaine d’industrie, il ne jure que par le management, l’investissement privé et l’exaltation de la performance. Un discours qui ne convient pas forcément au citoyen lambda. Et même si le peuple de Tana a toujours gardé de l’affection pour le petit marchand de yaourt devenu richissime, Ravalomanana a surtout pour avantage de ne pas avoir trouvé d’adversaire à sa mesure. Pour le moment.

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