Le triomphe des « Indigènes »
Depuis sa sortie, le film sur les anciens combattants maghrébins fait un carton, enregistrant déjà plus de deux millions d’entrées en France.
Belle performance pour Indigènes ! Sorti le 27 septembre sur 581 écrans français, il avait déjà réalisé, le 25 octobre, 2 200 000 entrées. Aussi populaire soit-il, le succès du dernier film de Rachid Bouchareb est boosté par un vacarme médiatique sans précédent pour un film réalisé et joué par des Franco-Maghrébins. Les raisons du succès en sept points.
Raison numéro un : un casting en béton en tête duquel arrive Jamel Debbouze. Cet acteur sait se métamorphoser instinctivement en une redoutable machine promotionnelle. Les autres comédiens qui tiennent le haut de l’affiche, Roschdy Zem, Sami Bouajila et Samy Naceri, tous fils d’immigrés dont les parents ou grands-parents étaient d’anciens combattants, ne manquent pas non plus de notoriété ni de talent.
Deux : les émeutes qui ont embrasé les banlieues de l’Hexagone en novembre 2005 ont surpris par leur violence. Et, conséquence, ils ont favorisé l’éveil d’une conscience collective au sein de la population française. « Ce film vient à point nommé rappeler d’où viennent ces jeunes que l’on dit issus de l’immigration en oubliant qu’ils sont avant tout français. Il illustre également l’engagement (tardif) de personnes qui ont l’immigration pour héritage pour en dénoncer les ratages », souligne le sociologue Moncef Labidi.
Trois : le film doit sa grande visibilité médiatique à sa sélection officielle au Festival de Cannes 2006 et au Prix d’interprétation masculine qui a été décerné collectivement aux principaux interprètes. La montée des marches de Bouchareb accompagné de ses principaux acteurs, mais aussi d’anciens combattants a renforcé la dimension émotive.
Quatre : la décision de Jacques Chirac de débloquer les pensions le jour même de la sortie du film est un formidable coup publicitaire pour le gouvernement français à l’approche des élections – mais aussi pour Indigènes. Une telle mesure confirme l’importance de l’enjeu et attise l’effervescence médiatique. Parce qu’il a servi de catalyseur à une mesure positive, ce film donne bonne conscience à un pays qui voudrait en finir avec le repentir colonial.
Cinq : l’acuité du débat sur la colonisation et sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, alimenté tant par la loi controversée sur le rôle positif de la colonisation que par la loi Sarkozy sur l’immigration, a accru l’intérêt du public pour ces questions.
Six : avec Indigènes, les soldats des anciennes colonies font leur première incursion dans le septième art catégorie grosse production. Il y a certes eu Camp de Thiaroye (1998), du Sénégalais Ousmane Sembene, mais il est resté confidentiel. La participation de soldats africains à la libération de la France restait ignorée du grand public d’autant plus qu’elle est passée sous silence dans les manuels et livres d’histoire. Le dernier film de Bouchareb vient donc combler ce vide. Il est en outre porteur d’un discours positif, débarrassé de toute rancur, et ouvert sur l’avenir. Selon le critique de cinéma Olivier Barlet, c’est l’une des forces d’Indigènes que d’affirmer, en substance : « Notre histoire commune comporte les bases d’un devenir possible. »
Sept : le besoin d’identification à des héros et la quête de la glorification des origines sont particulièrement forts chez les jeunes issus de l’immigration. Indigènes répond parfaitement à ce besoin puisqu’il présente « des héros qui ressemblent aux gamins des cités » (dixit Jamel Debbouze). Avec ce film, nous sommes dans « la logique d’une équipe de France black-blanc-beur qui se proclame française tout en représentant visuellement la diversité culturelle qui fait la richesse de notre société », explique Barlet.
Et dans les pays d’origine des indigènes ?
En Algérie, Indigènes a été montré en avant-première et a suscité une grande émotion mais aussi des réserves notamment parce que le film omet de préciser que les soldats enrôlés « l’ont été de force ». Au Maroc, le film connaît un certain succès. Programmé au Mégarama de Casablanca, il enregistrait déjà 7 000 entrées au 18 octobre dernier. C’est loin des performances parisiennes, mais l’exploitant n’est pas mécontent de cette fréquentation – surtout en plein ramadan, où les Marocains ont tendance à bouder le cinéma.
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