Algérie : « Matoub Lounès est la voix qui libère et qui inspire »
Vingt ans après la mort de l’artiste kabyle Matoub Lounès, un concert aura lui au Bataclan, ce 22 juin, en hommage à son oeuvre. À l’initiative de l’événement, Nadia Matoub, la veuve du chanteur.
« Lounès Matoub, la voix de la liberté », c’est avec cette affiche que le concert en mémoire du célèbre artiste kabyle, assassiné le 25 juin 1998, a été annoncé. Des chanteurs tels que Oulahlou, Ali Amrane ou encore Karim OSM viendront lui rendre hommage au Bataclan, ce 22 juin.
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Militant de la cause identitaire berbère et fervent défenseur de la démocratie et de laïcité, la vie de Matoub Lounès (parfois appelé Lounès Matoub) s’est transformée en une véritable légende. Kidnappé par un groupe terroriste en septembre 1994, il est maintenu en captivité pendant deux semaines avant d’être libéré suite à une forte mobilisation populaire. Malgré cette expérience, pendant les quatre années suivantes, le combat de Matoub ne faiblit pas. À travers des concerts et des nouveaux albums, il poursuit son oeuvre.
Jusqu’au jour où, sur une route de Kabylie, alors qu’il regagne son domicile en compagnie de son épouse Nadia et de ses deux belles-sœurs, son véhicule est attaqué par un groupe de terroristes. L’artiste est ensuite extrait de sa voiture et tué à bout portant. Les trois jeunes femmes sont elles aussi grièvement blessées. Matoub est mort, au son des cris de ses assassins qui clament « Allah Akbar ! ».
Sa veuve, Nadia Matoub, à l’initiative de ce concert hommage, continue de rechercher la vérité sur la mort de son mari.
Jeune Afrique : Quelle signification porte le concert organisé au Bataclan, en hommage à Matoub Lounès ?
Nadia Matoub : C’est une manière de faire vivre la mémoire de Lounès, de parler à nouveau de son assassinat et de faire en sorte qu’il ne soit pas oublié. Ce concert rappelle l’artiste à travers la chanson, mais aussi le combattant, par le choix du lieu, après les attentats du 13 novembre 2015. Le Bataclan est un lieu hautement symbolique, qui inscrit ce concert dans l’esprit des valeurs que défendait Lounès, telles que la liberté et la lutte contre l’obscurantisme. C’est aussi une manière de rappeler que ses combats sont toujours d’actualité. Et je suis certaine que si il avait été parmi nous lors des attentats de 2015 à Paris, il aurait affiché tout son soutien et sa solidarité. Il aurait sûrement tout fait pour participer à un concert au Bataclan.
Où en est l’enquête sur son assassinat ?
Nulle part. Après la fin du procès en 2011 et la condamnation d’Abdelhakim Chenoui, un repenti du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), et de Malik Medjnoun, un saisonnier, à 12 ans de réclusion pour complicité d’assassinat, rien n’a été fait pour découvrir la vérité. Ma plainte contre Hassan Hattab, un des émirs du GIA de l’époque, déposée en juin 2016, n’a pas abouti. Je n’ai reçu aucune justification satisfaisante de la justice.
Quelques jours après la mort de Lounès, Hattab avait revendiqué dans un communiqué remis au bureau de l’AFP à Londres son assassinat. Or, cet homme n’a jamais été poursuivi, ni même auditionné, car il a été gracié dans le cadre de la politique de réconciliation nationale. Je ne cherchais pas à travers ma plainte à accuser le GIA, je cherchais, et cherche encore, uniquement la vérité et je n’exclus aucune piste. Pour moi, cette revendication est un élément juridique recevable qui méritait la réouverture du dossier.
Pourquoi le procès qui s’est tenu en 2011 n’a pas permis de dévoiler la vérité ?
En 2008, j’ai porté une plainte contre X au tribunal de Tizi Ouzou, en Kabylie, mais celle-ci a été rejetée. Elle a été jugée irrecevable parce qu’une instruction était déjà en cours. Je n’étais pas convaincue par la manière dont avait été traité le dossier.
Il existe une volonté politique de faire taire la vérité
Par exemple, ma plus jeune sœur, qui était elle aussi présente lors de l’assassinat, avait déclaré au moment du drame qu’elle était prête à reconnaître deux des assaillants. Pourtant, elle n’a jamais été reconvoquée. Surtout, avant la tenue du procès en 2011, le juge d’instruction nous a avoué qu’il n’était pas satisfait du déroulé de l’enquête, qu’il fallait tout reprendre à zéro. Cela n’a jamais été fait. Lorsque le juge d’instruction est lui-même favorable à une nouvelle enquête, sans que sa volonté ne soit respectée, il paraît évident que des zones d’ombre persistent, mais surtout qu’il existe une volonté politique de faire taire la vérité.
En Algérie, pour tenter de rouvrir le dossier, je dois attendre l’apparition d’un nouvel élément juridique
Comptez-vous vous en remettre à d’autres juridictions ?
J’ai bien sûr pensé à porter cette affaire sur le plan international, après le refus de mon dépôt de plainte en 2016. Patrick Baudouin, avocat pénaliste et président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), m’a clairement indiqué qu’il était inutile de persister dans ce sens. Selon lui, pour saisir les instances internationales, il faut que l’affaire concerne un crime collectif, et encore… En Algérie, je dois donc attendre l’apparition d’un nouvel élément juridique pour pouvoir tenter de rouvrir le dossier.
Que reste-t-il aujourd’hui de Matoub Lounès ?
Il est toujours là à travers son oeuvre, par ses chansons et ses poèmes. Il est encore un exemple pour beaucoup. Sa vie est un exemple d’héroïsme pour des milliers de jeunes car de son vivant, il a toujours su rester fidèle à ses idées. J’avais vingt ans de moins que lui lorsque je l’ai rencontré et je peux vous dire que je ne serai pas la même sans les chansons de Lounès. En Afrique du Nord, au-delà d’être le symbole de la revendication amazigh, il est la voix qui libère et qui inspire.
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