Le rêve et la méthode

Les investissements publics s’envolent, les transferts sociaux augmentent. Les recettes pétrolières offrent enfin à Alger les moyens de réaliser ses ambitions.

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Faire de l’Algérie le « dragon du Maghreb ». Abdelaziz Bouteflika n’a jamais fait mystère des ambitions qu’il nourrit pour son pays. En battant campagne, en février 1999, le candidat Boutef a paraphrasé, à sa manière, Martin Luther King et son fameux : « I have a dream ». La dette extérieure frisait alors les 30 milliards de dollars, le baril de pétrole, principale richesse du pays, plafonnait à 23 dollars, alors que la décennie de violence islamiste avait fait plus de 100 000 morts, des millions d’orphelins, des dizaines de milliers de veuves et de handicapés. L’économie algérienne était exsangue. Les dégâts provoqués par les actes de sabotage et de terrorisme se chiffraient à 20 milliards de dollars, et les institutions étaient gangrenées par la corruption, le népotisme et la prévarication. Au plan diplomatique, l’isolement de l’Algérie était total. Le manque de compassion internationale était aggravé par la lourde suspicion qui pesait alors sur l’armée, la justice et le gouvernement. C’est dans ce contexte qu’un candidat à la présidentielle, ancien chef de la diplomatie, personnage historique du mouvement national, dauphin naturel du président Boumedienne après son décès en décembre 1978, écarté de la succession par l’armée, victime d’une cabale politico-judiciaire au début des années 1980 et revenu dans son pays après une longue traversée du désert, annonça son rêve : faire de l’Algérie le dragon du Maghreb. Les plus charitables firent semblant d’y croire, d’autres raillèrent le compagnon de feu Houari Boumedienne. Sept années et une réélection plus tard, le rêve de « Boutef » n’est plus aussi fou qu’il en avait alors l’air.
Dans certains secteurs de l’économie, les réalisations accomplies en un mandat et demi égalent, voire dépassent celles réalisées au cours des quarante années précédentes, peu « productives » il est vrai On pourrait citer une litanie de chiffres pour le prouver, tels ces indicateurs de développement humain : une espérance de vie de plus de 76 ans, un médecin pour 757 habitants, un Algérien sur trente est universitaire, diplômé ou en voie de l’être, dans ce pays où l’on dénombre un cybercafé pour 6 000 habitants et où 10 % de la population se compose d’internautes chevronnés. L’Algérien fait partie, en outre, du club des moins endettés de la planète.
Les performances macroéconomiques – croissance soutenue, inflation maîtrisée, monnaie nationale confortée, engouement des investisseurs (plus de 4 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de 2006) – équivalent à celles des pays émergents. Hommes d’affaires et dirigeants de la planète considèrent désormais Alger comme une escale importante, et la diplomatie que dirige Mohamed Bedjaoui prend de plus en plus de place sur la scène internationale. Tout cela ne fait pas un dragon, objecterez-vous ? Que ceux qui en doutent fassent un tour en Algérie.
Jamais l’argent du pétrole algérien n’a été géré d’une manière aussi transparente, c’est-à-dire affecté aux dépenses les plus utiles, avec des investissements publics de l’ordre de 100 milliards de dollars en sept ans. Quant aux transferts sociaux, ces programmes de solidarité et de lutte contre la pauvreté, ils frisent la moyenne vertigineuse de 5 milliards de dollars par an. Transformés en chantiers à ciel ouvert, villes et villages sont méconnaissables. L’Algérie dispose de quinze aéroports internationaux et de seize ports capables de recevoir des navires de gros tonnage. Chaque année, de nouveaux tronçons autoroutiers sont inaugurés et des centaines de milliers d’Algériens sortent de l’enclavement. Les derricks ne sont plus les seuls à fleurir le désert, l’agriculture saharienne y fait des miracles, remplit les silos de céréales, fixe les nomades et améliore les conditions de vie des sédentaires.
D’une semaine à l’autre, les villes changent physiquement. Échangeurs, centres commerciaux et immeubles dédiés aux affaires sortent de terre. Quant au monde rural, déserté par la population du temps des émirs sanguinaires, il se repeuple à un rythme effréné, dynamisant une agriculture moribonde après deux décennies de révolution agraire (le slogan « la terre à ceux qui la travaillent » ayant abouti à la fonctionnarisation des cultivateurs au détriment de la production).
N’est-il pas plus facile de transformer son pays en dragon quand on a du pétrole et que le baril flirte avec les 70 dollars ? Peut-être, mais de mémoire d’Algérien qui a vécu les deux chocs pétroliers (1973 et 1979), jamais l’argent public n’a été aussi « apparent ». La seule trace visible de ces deux opportunités historiques pour l’Algérie est Riad el-Feth, le jardin de la victoire, un monument aux morts qu’abhorrent les Algérois en l’affublant ironiquement du nom de Houbel, divinité antéislamique. C’est la preuve que l’argent ne suffit pas. Outre les pétrodollars, il y a la méthode « Boutef ». Celle qui consiste à tancer publiquement ses ministres en cas de non-maîtrise des dossiers, de retards inexplicables sur un chantier, ou de toute autre défaillance. Aux Conseils des ministres, qui sont devenus une véritable épreuve pour les membres du gouvernement, s’ajoutent les visites d’inspection sur le terrain. Bouteflika aime voyager et il ne s’en prive pas. Il lit ses dossiers et s’en va vérifier leur contenu sur place. Gare aux décalages ! Autre innovation : durant le ramadan, le président, que l’on dit très pieux, a consacré ses longues soirées à auditionner ses ministres. Ces « oraux » sont de véritables revues d’inspection, secteur par secteur. Les ministres potassent leurs dossiers comme des étudiants à la vieille d’examen. Comme le « professeur Boutef » prépare lui aussi ces séances nocturnes, la tâche du ministre « examiné » n’est pas simple. Les auditions sont également une forme inédite de communication. Chacune est sanctionnée d’un long communiqué rendu public et diffusé par les médias (agence de presse, télévision et radio). Du coup, elles deviennent une opportunité pour passer en revue tout ce qui a été réalisé, ce qui est en cours de réalisation ou ce qui est en projet. Bref, un bilan sans cesse énoncé, répété et ressassé. Le 4 juillet, le président Bouteflika a affirmé son intention de solliciter le suffrage universel pour une révision de la Constitution par voie référendaire avant la fin de l’année. À soixante jours de cette échéance annoncée, le contenu de cette révision n’a toujours pas été rendu public, et le corps électoral n’a pas encore été convoqué. Mais la campagne a bien eu lieu. À travers les auditions. Qui a dit que Boutef n’était pas un animal politique ?

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