De l’eau bénite

Systèmes traditionnels de canalisation, les foggaras sont menacées. Elles jouent pourtant un rôle crucial dans la lutte contre la désertification.

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

La pluie, dans le désert, c’est tout ou rien. À Timimoun, dans la région du Gourara, à 1 500 km au sud d’Alger, on en sait quelque chose. Le vieux ksar (ville fortifiée) garde encore les stigmates des inondations de 2004 pendant lesquelles il avait plu, en vingt-quatre heures, autant qu’en une année… Dans les ruelles silencieuses, ocre comme la terre, certaines maisons se sont effondrées, les briques d’argile fondant comme neige au soleil sous l’effet du ruissellement. « Contrairement à ce que l’on pense, il y a de l’eau à Timimoun, mais elle est souterraine, assure Bachir, un enfant du pays. D’ailleurs, dans les palmeraies de la région, on rationalise son utilisation depuis des siècles. » Et pour cause, le Gourara est situé entre l’Erg occidental et le Tadémaït : deux déserts Pour gérer au mieux l’or bleu, les habitants du Gourara utilisent depuis des siècles l’ingénieux système de la foggara, dont la date et le lieu d’invention restent un mystère.
La foggara est une galerie souterraine permettant de drainer l’eau du sous-sol et de l’amener, par gravité, jusqu’à la surface. Les galeries de la région ont une taille variable, mais certaines dépassent les 10 km de long et les 45 m de profondeur. Elles ont nécessité de formidables travaux de terrassement, « effectués aux Xe et XIe siècles par les esclaves », explique Bachir. La galerie, d’un diamètre de 1,20 m, est jalonnée de puits d’aération (un tous les 10 mètres en moyenne), visibles de l’extérieur et suffisamment larges pour qu’un homme puisse s’y glisser afin d’entretenir l’ouvrage. Au débouché de chaque canalisation, l’eau est reçue dans un bassin. Son débit est alors soigneusement mesuré pour être redistribué entre les différentes parcelles cultivées. À la sortie du bassin de réception, l’eau passe dans le kesra – littéralement « peigne à eau » -, qui joue le rôle de répartiteur. Elle file ensuite dans des petites rigoles (seguia) qui parcourent la palmeraie. Arrivée dans les jardins, elle est stockée dans des bassins en argile (majen), en attendant d’être utilisée. Filtrée par le sable, l’eau est pure et douce.
À quelques kilomètres au sud-ouest de Timimoun, le village de Guentour vit encore au rythme de cette invention qui offre de nombreux avantages : débit d’eau constant, possibilité de l’accroître en allongeant la galerie, arrosage par gravité, évaporation limitée. Selon Bachir, le débit moyen d’une foggara est de quelques centaines de litres par minute. À l’ombre des palmiers, l’or bleu coule entre les concessions tirées au cordeau, puis serpente dans les potagers : fèves, oignons, tomates, concombres, petits pois chaque famille possède sa parcelle. La foggara sert aussi à irriguer des plants de culture plus importants, pour le maïs, le tabac ou l’arachide. La répartition des volumes attribués à chaque bénéficiaire est fixée avec précision par le droit coutumier.
Le réseau des foggaras concerne les trois grandes régions de la wilaya (préfecture) d’Adrar : Touat, Gourara et Tidikelt. Il s’étendrait sur 3 000 à 4 000 km2, avec une densité maximale sur les plateaux du Touat et dans la région d’In Salah (où sa longueur dépasserait celle du métro parisien). Les régions qu’il parcourt se trouvant sur la route des caravanes, il s’est développé en même temps que le commerce transsaharien.
Si les ksour (villes) de la wilaya ont pu se maintenir et développer une véritable culture oasienne grâce aux foggaras, ce procédé hydraulique est aujourd’hui menacé. L’accroissement démographique et la demande de confort poussent les villageois à se tourner vers les nouvelles techniques d’acquisition de l’eau, comme les forages ou les motopompes. L’Agence nationale des ressources hydrauliques recense 1 400 foggaras dans la wilaya d’Adrar : 907 sont en service et 493 taries. Les foggaras requièrent un entretien constant et difficile : elles ont notamment besoin de curages réguliers à cause des éboulements. Mais la main-d’uvre destinée à cette tâche se fait de plus en plus rare. Conséquence : beaucoup de foggaras se sont ensablées. « Les jeunes ne veulent pas prendre la relève », se lamente un paysan de Timimoun. Pourtant, malgré l’arrivée des techniques modernes d’extraction de l’eau, les foggaras ont encore un rôle important à jouer dans la lutte contre la désertification. À l’instar des palmeraies désertées chaque jour davantage, simplement surveillées par leurs forteresses en ruine, les foggaras doivent être protégées.

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