De banlieues en bidonvilles

Publié le 30 octobre 2006 Lecture : 3 minutes.

En 2020, de Benin City à Accra, trois cents villes de plus de 100 000 habitants se succéderont sur six cents kilomètres le long du golfe de Guinée. Cette gigantesque conurbation regroupera plus de 60 millions d’habitants, autant que la côte est des États-Unis. Mais ce sera aussi la plus grande tache de pauvreté de toute la planète.
Si les chiffres de la croissance urbaine dans le monde donnent le vertige, ceux de l’extension des bidonvilles glacent d’effroi. Un milliard de personnes vivent déjà dans ce type d’habitat, soit près de 78 % des citadins des pays en développement. Avec 10 à 12 millions de squatteurs ou de personnes résidant dans des taudis, Bombay bat tous les records, suivi par Mexico et Dacca (entre 9 et 10 millions chacune), puis Lagos, Le Caire, Karachi, Kinshasa, São Paulo, Shanghai et Delhi (de 6 à 8 millions chacun).
Dans Le Pire des mondes possibles, le chercheur américain Mike Davis explore les divers aspects de cette urbanisation aux allures de cauchemar. Après avoir retracé l’historique du phénomène, il en analyse les raisons, mettant particulièrement en accusation les thérapies de choc imposées aux États du Sud par la Banque mondiale et le FMI à partir des années 1980. Mais l’auteur de ce livre réquisitoire décrit aussi avec beaucoup de réalisme les conditions de vie épouvantables des bidonvillois, donnant même pour titre à l’un de ses chapitres « Vivre dans la merde ». Faute de latrines, les gens doivent souvent faire leurs besoins en pleine nature. Imagine-t-on le calvaire, décrit par Mike Davis, de ces dizaines de milliers de femmes de Bangalore qui doivent attendre la nuit, le seul moment où elles disposent d’un peu d’intimité, pour se soulager ?
Bidonville, taudis, gourbi, mais aussi ghetto, slum, township, favela, mocambo Les vocables ne manquent pas à travers le monde pour évoquer ces espaces qu’on pourrait qualifier d’infra-urbains. Du Brésil à la Turquie en passant par les États-Unis, la France, la Grande-Bretagne et le monde arabe, le passionnant livre collectif que publie l’Unesco propose un tour d’horizon planétaire du lexique de l’habitat populaire. Certains termes ont parfois une longue histoire. En France, celui de banlieue est attesté depuis le XIVe siècle. Il s’appliquait au départ à une étendue de territoire (d’une ou plusieurs lieues) soumise à la juridiction (le ban) d’un seigneur. Aucune idée de bannissement comme on l’affirme parfois. Ce n’est qu’avec l’industrialisation, qui a transformé les villages entourant Paris en cités ouvrières, que le mot banlieue a pris, au début du XXe siècle, la connotation péjorative qu’on lui connaît aujourd’hui.
Un transfert sémantique connu est celui de ghetto, qui, de la Venise du XVIe siècle où il dénommait un quartier juif, a été transplanté aux États-Unis pour s’identifier aux quartiers noirs. À Beyrouth, le mot arabe dâhiye, qu’on peut traduire par périphérie, a fini par désigner exclusivement la banlieue sud de la capitale, habitée par les chiites et assimilée à un espace aussi anarchique que miséreux. Un nom commun est ainsi devenu un toponyme. Au Maroc, bidonville a suivi une trajectoire inverse, puisque, réservé au départ à un lieu particulier de Casablanca, il a fini par devenir un nom générique utilisé dans la plupart des pays francophones.
Ce ne sont là que quelques exemples glanés dans un ouvrage au caractère très universitaire, certes, mais dont chaque page est une mine d’informations aussi passionnantes les unes que les autres.

Le Pire des mondes possibles. De l’explosion urbaine au bidonville global, de Mike Davis, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jacques Mailhos, éditions La Découverte, 252 pages, 21 euros. Les Mots de la stigmatisation urbaine, sous la direction de Jean-Charles Depaule, éditions Unesco/Maison des sciences de l’homme (Paris), 278 pages, 29 euros.

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